Réponse à "En avant la musique !"

de Image de profil de OiseauniriqueOiseaunirique

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Il s’est tourné sur son tabouret de cuir noir, il s’est tourné vers moi, cachée derrière ce paravent d’où personne d’autre ne me voyait et il s’est jeté sur moi avec ses yeux. Ses yeux gris, verts, bleus, ses yeux qui savent pas se décider entre toutes les couleurs froides qui existent. Des yeux trop vrais pour ne pas être fous, qui s’en foutent de faire peur. Dans la bulle d’appréhension où je me trouvais, il a tout explosé sans même s’en apercevoir, quand il m’a regardée à ce moment-là. Il a détruit une à une toutes les craintes et le trac qui s’amoncelaient sous ma peau, il a enfoui mes tremblements sous terre et m’a projetée sur la grève, à l’heure bleue. La pluie inondait mon visage et l’eau salée, verte, presque tiède éclaboussait mes jambes pendant que je courais sur le sable gris et les galets, sans bouger, dans ses prunelles. De l’autre côté du paravent, il y avait un discours qui se faisait et il y avait plein de gens assis partout où ils pouvaient, qui m’attendaient. Qui nous attendaient, tous les deux.

Il souriait, un peu, pendant que ses yeux mettaient mon cœur tout nu pour s’y attacher très fort, un moment. Seulement un moment. Je crois que ça l’a amusé, je crois qu’il ne savait pas. Je crois, parce que jamais je ne saurais ce qu’il pensait, vraiment. J’étais pétrifiée, le corps entièrement figé dans cette eau rageuse où mon esprit courait, cette eau pleine de galets qui crissent sous les pieds, sourdement. Il a continué à me tenir en joue pendant quelques secondes, sa bouche fermée sur plein de mots qu’il n’avait pas besoin ni envie de dire, ces mots qui débordaient de son sourire en coin. Et puis le discours s’est terminé, les applaudissements ont arraché ses yeux des miens et il s’est tourné vers le piano, me laissant gentiment me rappeler où j’étais. Ce regard-là, depuis, il ne me l’a plus refait.

Mais là, pendant que je reprenais mon souffle après cette course effrénée sur le rivage pluvieux, j’ai continué à le regarder. De profil, il se laisse approcher de l’œil, mais de l’œil seulement. Tu peux toujours le regarder, en fait, mais tu le toucheras jamais s’il ne le veut pas. Les sourcils doucement froncés, il jouait, laissant partir ses mains comme si elles savaient toutes seules où aller, les surveillant seulement de loin, du bout des cils. Parfois il relevait la tête, les yeux fermés, une expression de concentration extatique, presque douloureuse cachée dans ses lèvres qui savent tellement, tellement bien se taire. Ses mâchoires se crispant imperceptiblement sur certaines notes, sur ses joues mangées par l’ombre d’un feu tendre, il donnait l’impression de retenir très fort tout ce qu’il y a d’émotion en lui, avec la même difficulté que lorsqu’on dompte un fauve sans vouloir le blesser. Je me souviens l’avoir trouvé très beau, dans cet effort, dans cet instant. Prodigieusement intense.

Aujourd’hui, je me dis qu’il doit penser que le piano parle pour lui. Que tout ce qu’il ne dit pas, on l’entend quand même, quand on écoute bien et quand il le veut, lui.

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En réponse au défi

En avant la musique !

Lancé par Nicodico

But du défi, écrire une petite histoire en rapport avec la musique ( que ce soit avec un musicien célèbre, un instrument, un morçeau ou avec la musique en général ). Pas plus de deux cents mots et pas de genre littéraire imposé. Bonne écriture !

Commentaires & Discussions

Le pianisteChapitre3 messages | 2 ans

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