7 — La Villa des Valentii (1)

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La journée du lendemain se révéla tout aussi normal que celles qui avaient précédé son excursion à Vlaken, la mercenarii reprenant la routine habituelle des patrouilles dans les propriétés de la famille De Castell. Ce n’est que le jour d’après que Rodan vint la chercher alors qu’elle venait de prendre son repas au réfectoire du domaine. D’après le Nordien, Lex les attendait dans le centre de Dalata. Alessia suivit Rodan jusqu’aux portes de la cité se demandant dans quelle situation le capitaine des Lames de Castell allait l’entraîner cette fois-ci. Ils traversèrent la grand allée jusqu’à atteindre les Thermes de Frajan devant lesquels le Nordien s’arrêta. Il pointa du regard une grande bâtisse à proximité et la mercenarii l’observa. Une grande villa aux murs d’un beige immaculée de deux étages bordées de colonnes de marbre aussi somptueuses que celle des Castellans. Un grand portail noir fermait l’accès à une cour intérieure dans laquelle se trouvait un immense chêne dont la cime fleuretait avec les tuiles rouges qui garnissaient la toiture. Deux mercenare en gardaient l’entrée, hallebardes en main, leur tabard d’une aigue-marine profond blasonné d’une sirène d’argent.

— J’imagine qu’il s’agit du domaine de la gens Valentii, glissa Alessia à Rodan. Et que les gardes nous laisseront pas gentiment entrer pour saluer le maître des lieux.

— En effet, tu as vu juste, répondit le Nordien. J’y ai accompagné une fois Sire Arenius en compagnie de notre capitaine lors d’une entrevue avec Orél Valentii. Lex voulait que je te montre l’endroit avant que nous le rejoignions.

Ils continuèrent de remonter les ruelles de Dalata, plutôt tranquille en ce 29e jour du mois de Célestiel, un Caldr plus précisément. À force, elle s’était habitué au charme de la cité aux travées étroites pour la plupart peuplées de demeures bien plus modestes que les villas patriciennes, de pierre et de colombages en bois. Si elle avait de prime abord ressenti une espèce de claustrophobie, à la différences des grandes avenues des villes de l’Arthédas, où la densité de population moindre permettait à ses habitants de s’y établir sans contrainte d’espace, ce sentiment avait fini par s’évanouir.

Au contraire, cela avait déclenché en elle une sorte d’appel à l’aventure. À quoi pouvait ressembler Lancâstre, ville la plus peuplée de la province ? Peut-être aurait-elle l'occasion de s’y rendre si les affaires des Castellans l’y emmenaient ? Et même pourquoi pas plus au sud, en Illyr ? La côte Rhodanienne et ses nombreuses cités portuaires abritaient bien des criques où l’azur des flots de la mer d’Abondance surpassait celui de l’empyrée. Un rêve pour elle qui n’avait connu que les flots tumultueux et glacés du Bras d’Améthiel le long de la Côte Spectrale.

Alors qu’Alessia était encore égarée dans ses pensées, ils finirent par s’arrêter devant un établissement qu’elle reconnut aussitôt. C’était en ces lieux qu’elle était venue se restaurer le jour de son arrivée à Dalata après son combat dans l'arène. Rodan lui fit signe de le suivre à l’intérieur. L’auberge, moins remplis que lors de sa dernière visite, abritait toute de même son lot d'irréductibles habitués. Il était vrai que la mercenarii n’aurait guère refusé une pinte d’hydromel, mais le pas pressé du Nordien lui indiqua rapidement que ce n’était ici que se trouvait Lex. Ils traversèrent la grande salle et cette fois-ci Alessia n’eut le droit qu’à de simples coups d’œil au lieu de regards noirs de la part des clients. Tout le monde en ville connaissait et redoutait la Tour de Castell, à cela s’ajoutait la carrure impressionnante de Rodan.

Une fois dans la cour intérieure de l’auberge, ils passèrent devant la fontaine et sa statue de Jouvencelle pour se rendre dans un établissement d’un tout autre genre ce qui ne fit que confirmer la première intuition d’Alessia. Pourquoi diable Lex avait-il décidé de lui donner rendez-vous dans un bordel ? Alors qu’ils descendaient les escaliers, le Nordien prit la parole.

— Je me serais attendu à plus de questions de ta part, fit-il d’un ton presque railleur. Tu n’as pas l’air surpris de l’endroit où je m’apprête à te conduire.

— Je connais déjà les lieux, et sa fameuse danseuse aux serpents, rétorqua la mercenarii. L’aubergiste d’au-dessus s’est dit que ma présence y serait plus recommandable que dans son établissement. Puis j’ai failli me faire dépouiller pendant mon bain.

— C’est tout à fait étonnant, Catalina fait régner l’ordre d’une main de fer en ces lieux, énonça le Nordien. Pour ce qui est de l’aubergiste, j’irais lui toucher quelques mots.

Une fois à l’intérieur de la Jouvencelle, tandis qu’ils remontaient le long couloir, l’odeur d’encens aux flagrances florales se répandit aussitôt dans les narines de la mercenarii. Elle en profita pour jeter un œil aux cellules aux rideaux bordeaux, la majeur partie d’entre elles inoccupés aussi tôt dans la journée. Ce constat s’étendit à la salle principale, dénué du moindre client. Seul demeurait Hiéronym Lex, étendu dans l’un des canapés, une chope de bière dans la main. Lui faisait face une femme d’un âge mûr qu’Alessia reconnut aussitôt comme la maquerelle dont elle avait fait la connaissance lors de sa première visite. Sur la table basse trônait un imposant narguilé en bronze.

— C’est un service des plus risqués que tu me demandes là, Hiéronym, déclara-t-elle alors qu’elle aspirait une bouffée via le tuyau. Elle laissa échapper une volute de fumée puis poursuivit. La pérennité de mon établissement dépend de nos relations avec les grandes familles de Dalata, dont les Valentii font partie. Quel soutien de la part d’Arenius de Castell ai-je reçu par le passé ?

— Alors pense au bénéfice d’un tel partenariat, Catalina, énonça Lex. Les élections approchent, Cælis vit ses dernières semaines en tant que Prætor de Dalata. Arenius sera son successeur à n’en point douter. Avec son appui, toi et tes filles ne seriez plus obligés de vous terrer comme des rats dans les entrailles de la cité. Vous pourrez vous établir dans un nouvel établissement, près l’allée principale de Dalata par exemple. — Il leva les yeux en direction de la jeune femme et de Rodan qui venaient de se rapprocher — Ah vous voilà enfin, nous n’attendions plus que toi, Alessia.

Lex lui fit signe de s’asseoir à côté de lui tandis que le Nordien rebroussait chemin pour gagner le comptoir. Alors qu’elle prenait place, les prunelles d’un olive profond de la maquerelle se posèrent sur elle. Elle avait troqué son chapeau de naguère pour un châle d’un bleu pâle en adéquation avec la robe vaporeuse qu’elle arborait, sa longue chevelure de jais nattée avec soin.

— Au moins, elle sera tout à fait capable de faire illusion, fit remarquer Catalina en battant des paupières. Enfin, tant qu’elle se contente de rester vêtue. Les muscles ne sont guère au goût de nos clients. Nous nous croisons à nouveau, chaton. Tu as l’art de t’entourer des bonnes personnes.

— Ce n’est donc pas la première fois que vous vous rencontrez, glissa le capitaine des Lames de Castell. Je ne savais pas que tu connaissais la Jouvencelle, Alessia.

— Et c’est une longue histoire, le coupa la mercenarii. Dans quel traquenard es-tu encore en train de me piéger ? Je peux savoir ce qu’il se passe ici ?

— Rodan ne t’a pas expliqué sur le chemin ? s’enquit Lex puis il ajouta après avoir aspiré une bouffée du narguilé. Ce soir, Orél Valentii organise une soirée dans sa villa où il réunira ses principaux soutiens dans la cité. Tu imagines bien que ces mondanités sont interdites aux pauvres mercenare que nous sommes… Contrairement à Catalina et ses filles. Les Valentii comptent parmi les clients les plus réguliers de la Jouvencelle. Quoi de mieux que des prostituées et des danseuses pour divertir les nantis de Dalata ? Je souhaite que tu te mêles à ce cortège de réjouissance et que tu sois nos yeux dans l’antre d’Orél Valentii. Alors avons-nous un accord, Catalina ?

— Oui, Hiéronym, mais c’est bien la dernière fois que je te rends service, en souvenir du bon vieux temps, acquiesça la maquerelle avant de se lever. Ton maître a intéret à tenir ses promesses et je veux un coffre rempli à ras bord d’Ast. Maintenant je vais vous laisser régler les détails de votre entreprise, je ne veux rien savoir de vos complots. Quant à toi, chaton, rejoins-nous dans les coulisses quand tu seras prête. Nous devons te rendre présentable pour ces festivités.

Catalina s’éloigna d’un pas tranquille pour regagner le comptoir de la Jouvencelle. Alessia laissa échapper un soupir, se laissa tomber dans le canapé rouge et dévisagea Lex d’un puissant regard noir quand celui-ci tourna le chef dans sa direction.

— Pour quelle foutue raison devrais-je accepter de participer à une telle mascarade ? s’emporta-t-elle avec véhémence. Devoir à nouveau risquer ma peau pour le bon plaisir de notre employeur ne fait pas partie de mes prérogatives.

— Quelqu’un de plus pragmatique que je ne le suis répondrait qui s’agit de ton devoir en tant que mercenarii, commença Lex. Je me contenterai de dire que si tu réussis cette mission, Arenius te rémunérera à hauteur des risques encourus.

— S’il est au courant de ton petit plan machiavélique, rétorqua Alessia. Elle attrapa le tuyau du narguilé et aspira une bouffée pour calmer ses nerfs. La fumée irrita de suite sa gorge inexpérimentée. Et que devrais-je faire à cette soirée ?

— Que tu localises le coffret qu’Orél a récupéré auprès des hommes de Baldur et que tu trouves Daguefilante si elle est bien retenue prisonnière à l’intérieur de la villa, comme je le présume, poursuivit-il d’un ton calme.

— Tu l’as si bien dit, il ne s’agit que d’hypothèses ! Rien ne nous garantit que l’un comme l’autre se trouvent au sein de la villa Valentii. N’y a-t-il aucune autre solution plutôt que de m’envoyer dans la gueule du loup ?

— Non, le domaine d’Orél est une véritable forteresse impénétrable, situé en plein cœur de la cité, comme tu as pu le constater. Il n’a aucun intérêt à avoir fait déplacer le coffret. Serviteurs comme mercenare sont loyaux envers les Valentii. De plus, tu es la seule femme parmi les Lames de Castell et ton arrivée parmi nous est récente. Ils ne te démasqueront pas.

— Et que se passera-t-il si les choses tournent mal ? s’enquit Alessia, loin d’être convaincu. Je serai seule, sans armes et entourés d’ennemis.

— Je serais à la tête d’un groupe de Lames de Castell posté dans une maison abandonné de la ruelle, expliqua son capitaine. On l’utilise souvent comme quartier général intra-muros. Mais ne t’attends pas à des miracles de notre part. Tu devras compter sur le soutien de Daguefilante avant tout. Enfuyez-vous par les tunnels si les choses se gâtent. C’est par ce biais que les prostituées comptent rejoindre la villa.

Si Lex lui laissait le choix à la jeune femme d’accomplir ou non cette mission, il agissait par simple politesse. Car maintenant qu’il connaissait son secret, elle devait tout faire pour rester dans ses bonnes grâces.

— Tu me racontes tout cela, mais j’imagine que je n’ai pas vraiment le choix, Lex, conclut Alessia d’un ton ferme et résolu. Entendu, Je vais m’introduire dans la villa des Valentii mais je ne te promets pas de réussir cette satané mission suicide.

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