6 — Les Vipères des tunnels (2)

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L’épaisseur et l’abondance de la végétation qui entourait l’entrée de la mine jouaient en la faveur d’Alessia. Accroupie, elle progressa à tâtons, parfaitement camouflée. À une vingtaine de mètres, elle apercevait déjà les lueurs du feu de camp des Vipères. Que faisaient-ils ? Alessia n’en savait rien et n’en n’avait cure. Bien trop préoccupés à boire, ils ne remarquèrent pas l’ombre d’un instant sa présence fantomatique.

Elle avança sur le côté, le long d’une rangée de coffres et de caisses tout en prenant soin d’être le moins visible possible. Elle mit à profit ses années de service parmi les equites de la Legio Imperatorii et ses vieilles habitudes lui revinrent en un éclair. Son objectif était tout proche. À moins d’une dizaine de mètres trônait la tour de guet, guère haute, elle pourrait l’escalader sans aucun problème. Non, la difficulté de sa périlleuse entreprise résidait ailleurs. Neutraliser le tireur ? Un jeu d’enfant, un coup de dague bien placé suffirait. Mais parvenir jusqu’à lui sans attirer son attention, une autre histoire. Le terrain découvert qui la séparait de son objectif ne laissait place à aucune cachette et l’arbalétrier s’acharnait à faire le tour de son perchoir pour chasser le sommeil. Si elle décidait de courir elle devrait s’en remettre à la chance, ou elle pouvait faire le grand tour à la lisière de la forêt, ce qui lui prendrait bien trop de temps. Elle s’en tiendrait donc au plan initial et attendit que Lex ouvre les hostilités.

Le capitaine des Lames de Castell ne se fit pas attendre. Friedrich émergea en premier de l’entrée de la mine, bâillonné et le tranchant de la rapière contre sa carotide. Doucement, ils commencèrent à avancer vers le feu de camp. L’arbalétrier les repéra immédiatement et les mit en joue.

— Ne bouge pas, bâtard !

Alessia se glissa dans la pénombre. Du coin de l’œil, elle aperçut les deux autres vauriens se lever et dégainer leurs coutelas. Elle se rapprocha de plus en plus. Elle atteint la tour de guet.

— N’approchez pas ! fit Lex d’une voix claire et forte. Sinon je le plante comme j’ai planté l’autre !

Les soudards s’immobilisèrent, depuis le haut de son perchoir le tireur se mit à douter. Le doigt sur la gâchette, il estimait ses chances de réussite. La mercenarii commença son ascension, attrapa une à une les planches et se hissa sans un bruit.

— Ramenez-moi Baldur ! Tout de suite !

Alessia entendit le déclic du mécanisme de l’arbalète. Elle se jeta par-dessus la balustrade de la tour. Tel un fauve aux griffes acérées, elle bondit sur le tireur, plante la dague dans son dos recouvert. Elle le heurta à toute vitesse. Le carreau bien que dévié de sa trajectoire partit en trombe. Elle se rendit compte qu’elle s’était précipitée et avait pris trop d’élan. L’homme poursuivit sa chute vers l’avant, fracassa la balustrade avant de tomber dans la vide. Et elle avec.

Alessia rouvrit les yeux. Plus de peur que de mal finalement. Elle avait de la chance, le crane sanguinolent du tireur ne pouvait pas en dire autant. Il s’était fracassé sur une grosse pierre en contrebas. Elle s’empara de son arbalète, l’arma d’un nouveau trait et se hâta de rejoindre Lex.

Elle découvrit un peu plus loin le corps de Friedrich, son torse transpercé par le tir raté de l’arbalétrier. Lex luttait contre ses deux adversaires, faisait voltiger le tranchant d’acier de sa rapière. Une simple formalité en temps normal pour un duelliste aguerri tel que lui. Pourtant, les soudards commençaient progressivement à prendre l’avantage. Ses blessures récentes l’entravaient et l’empêchaient de contre-attaquer correctement. Il para une frappe sur sa gauche un poil trop tôt et découvrit sa garde à l’opposée. Son second adversaire sauta sur l’occasion.

Alessia releva son arbalète, appuya sur la gâchette sans même prendre le temps de viser. Elle fit confiance à son instinct. Le soudard s’écroula à terre, la tempe transpercée par le carreau. L’autre eut un moment d’hésitation, se figea après le trépas de son camarade. Lex profita de l’ouverture, d’une fente fulgurante, il perfora son torse, puis son cœur. L’affrontement était terminé.

— Bien joué, sucre d’orge, lança Lex en direction d’Alessia après avoir dégagé son épée puis reprit son souffle. Je crois qu’on a fini avec ces vauriens.

— Maintenant, allons-nous occuper de ce fameux Baldur, fit Alessia, sombre.

Elle rechargea l’arbalète une nouvelle fois puis prit la direction de la chaumière. Lex attrapa son bras.

— Doucement, on va faire les choses à ma manière. Compris ? On doit savoir à qui a engagé ces salauds.

La mercenarii acquiesça sans la moindre conviction et laissa son capitaine prendre la tête. Pourquoi tout le monde s’acharnait à lui dicter sa conduite ? Jusqu’à présent, elle avait servi les Castellans avec brio. Et là encore elle venait de sauver la vie de Lex.

Ils pénètrent dans la demeure, Lex l’arme au clair et Alessia prête à tirer au cas où Baldur déciderait de se jeter sur eux. Il n’en fit rien, à l’autre bout de la pièce assis sur un tabouret face à une table. Il leva la main droite pour leur signifier d’approcher. Elle était dépourvue d’annulaire et d’auriculaire et son majeur laissait entrevoir une grosse chevalière. Le chef des Vipères des tunnels était un homme trapu de taille modeste, son crâne rasé dévoilant un tatouage en forme de serpent sur sa tempe droite. Ses prunelles, allongées d’un ambre claire, dévoilaient un regard carnassier et calculateur.

— Maudit sois ce bâtard… soupira-t-il. J’aurais dû vous tuer dès votre arrivée ici au lieu de vous faire prisonnier. Vous avez de la chance que les autres soient partis livrer la marchandise. Ça faisait un bail, Hiéronym, pas vrai ?

— Je vois que tu te souviens encore de moi malgré les années, rétorqua Lex. J’avais quoi, quatorze ans la dernière fois que tu m’as envoyé faire le sale boulot des Vipères ?

— Je garde toujours un œil sur mes précieux poulains. Regarde-toi, c’est grâce à moi que tu occupes une position aussi prestigieuse.

— La ferme, je ne dois rien à un bâtard de ton espèce, s’emporta Lex en avançant d’un pas.

Baldur se leva d’une traite et dévoila une arbalète de poing dans sa main gauche. Il visa aussitôt le mercenarii qui se jeta à terre pour éviter le tir. Alessia essaya d’ajuster son angle pour éviter de tuer le chef des Vipères. Il bondit sur elle et évita de juste le coup d’arbalète qui frôla son crâne. De sa dextre, il fit remonter une courte lame d’un coup pénétrant.

La dague de Baldur déchira sa surcote. La jeune femme s’écroula sur le mur, une vive douleur étreignant sa panse. Mais elle ne saignait pas. Au contraire de son adversaire. Le chef des Vipères laissa échapper un cri de douleur, le dos de sa main et son avant-bras entaillés par des débris métalliques. Alessia comprit. Le poignard s’était écrasé contre les mailles de la cotte. Et un acier de si mauvaise qualité n’avait aucune chance de percer de l’astelryte. Bien au contraire, c’était elle qui s’était brisé et Alessia n’en ressortirait qu’avec une belle ecchymose.

La mercenarii se releva alors que Baldur s’apprêtait à recharger son arbalète de poing pour achever Lex. Un premier uppercut le cueillit en plein dans la mâchoire et le deuxième le fit défaillir à son tour. Il baissa sa garde. Alessia lança son genou vers l’avant. Elle le toucha en plein milieu du plexus solaire. Le brigand s’écroula à terre, vaincu.

— Merci, Alessia. Tu viens à nouveau de nous sauver la mise, soupira Lex alors qu’il venait de se relever. Je suis à bout de forces. Aide-moi à l’installer à nouveau sur la chaise et attachons-le. Nous avons encore le temps de l’interroger avant que les autres Vipères ne soient de retour.

Ils s’exécutèrent et une petite dizaine de minutes suffit pour tout mettre en place. Alessia jeta un regard en dehors de la chaumière pour être personne ne viendrait les déranger lors de l’interrogatoire. Tandis que Lex s’apprêtait à réveiller Baldur en l’aspergeant d’eau, elle en profita pour fouiller la bâtisse et ne tarda pas à retrouver ses dæmorias posés contre l’un des coffres.

— Hé, putain mon nez est cassé ! Elle cogne fort, ta donzelle, vociféra Baldur qui venait de se réveiller. — Il essaya de se relever de la chaise puis il remarqua qu’il était attaché à celle-ci par une épaisse corde — Eh bien, je crois qu’une petite discussion s’impose, Hiéronym

— Toujours aussi grande gueule, Baldur, pas vrai ? énonça Lex. Mais tu ne sais pas dans quelle merde tu t’es foutu cette fois — Lex se dirigea vers la table en bois qui trônait dans la chaumière et commença à prendre en main plusieurs outils rassemblés par Lex auparavant — Je vois que tu nous as mâché le travail, sur qui tu comptais te servir de tout ça ? — Il lui montra une poire d’angoisse — C’est une vraie, pas la camelote qu’on peut trouver à tous les coins de rue ou ça — Il pointa un objet plus imposant sur la table, un dispositif constitué de plusieurs lames de métal rougies par la chaleur et garnies de dents qui une fois rapproché par le mécanisme broyait les doigts de la victime — Sinon on peut simplement s’en tenir au classique. La cure par l’eau, c’est quelque chose de commun pour les pourritures comme toi.

— Parle-donc Hiéronym. Tu me menaces, mais je ne vois pas en quoi je suis coupable. Tu t’es introduit sur le territoire de ma bande et tu as tué mes gars !

— Bah voyons, Baldur. Tes hommes nous sont tombés dessus en plein centre de Vlaken. Ils nous attendaient.

— Ça arrive souvent que les blancs-becs dans votre genre s’aventurent par chez nous. Ils doivent apprendre qu’on ne se mêle pas en toute impunité des affaires des Vipères. Ce village nous appartient.

— Je ne vais pas tourner autour du pot, Baldur. Ce matin, toi et tes gars aviez pris en embuscade un chariot escorté par des mercenare à la solde de Varius de Castell. Où se trouve le coffret dont vous vous êtes emparés ainsi que la femme que vous avez capturée ?

— Je ne dirais rien. Je ne balance pas les miens, rétorqua-t-il suivit d’un crachat.

— Comme tu voudras. Alessia enfonce lui la bande de cuir dans la bouche. Ce fils de pute est capable de se mordre la langue.

La jeune femme s’exécuta sans faire preuve d’aucune délicatesse. Elle ressentait de la pitié envers l’homme, mais s’abstenait de le montrer. Lex attrapa un banc et positionna les grésillons face à Baldur puis glissa ses doigts sous l’étau en fer. Lentement, il commença à serrer le mécanisme. Si le voleur resta impassible, il commença à se débattre après deux tours, le fer commençant à brûler sa peau. Alessia resta derrière afin de maintenir la chaise immobile. Baldur se mit à grogner de plus belle. Lex s’arrêta au troisième tour puis arracha le bâillon de sa bouche.

— Bâtard de salaud ! Tu aurais pu me poser une question avant de commencer !

— C’est pour te mettre dans l’ambiance. Je ferai un tour plus pour chaque mauvaise réponse. Qui vous a engagé pour intercepter le convoi ?

— Va te faire foutre !

— D’accord ! — Il tourna une fois de plus les grésillons, Baldur jura et se débâtit, mais ne cria pas cette fois-ci. — Où sont partis les autres membres du gang ? A Dalata ? Dans les marais ?

— Je passe mon tour, enfoiré !

— Combien en faudra-t-il pour te broyer les phalanges ? — Demi-tour de plus — Combien pour faire un collier avec tes doigts ? — Tour complet, Baldur hurla et se mit à trembler, la partie brûlante maintenant en contact avec sa chair — Le nom de ton employeur ? Qui t’a payé pour intercepter le convoi ? Réponds !

— Rien ! vociféra le voleur en crachant sur Lex. Tu essayes de jouer les durs, mais tu n’es qu’une mauviette ! Je te connais !

Si jusqu’à présent le capitaine des Lames de Castell avait fait preuve d’un sang-froid remarquable, ce n’était plus qu’une question de secondes avant que le masque ne se fissure. C’est ce que voulait Baldur comprit Alessia, son mystérieux lien avec Lex, son unique point de pression. Ce dernier réitéra ses questions et perdit toute patience après une énième volée d’insulte du brigand. Il serra de nouveau le mécanisme et cette fois-ci d’un coup sec, sans pause. Il enchaîna les tours rapidement et Baldur se contorsionna dans tous les sens, grogna et jura, le regard fou.

— Ça suffit, Lex ! s’emporta la jeune femme. Ça ne sert rien, on va le perdre si tu continues.

Elle poussa le bras de son capitaine et actionna le petit levier qui désarma le mécanisme de torture.

— Comment oses-tu ? l’invectiva Lex. Il la toisa, son regard envahi par la colère, tel un chien fou prêt à bondir. Tu y connais quoi en matière de torture ?

— Plus que toi en tout cas, rétorqua-t-elle avant d’ajouter. J’étais dans la Legio Imperatorii autrefois, j’ai eu l'occasion d’assister à plus d’un interrogatoire.

Cette révélation sembla clouer pour de bon le bec de Lex, car il n’ajouta pas un mot. Il se tourna et se mit à marmonner dans sa barbe. Baldur gémissait bruyamment, les doigts de sa main gauche réduits à un tas de chair fumante en lambeaux. Alessia prit une grande respiration. Était-elle vraiment certaine de faire ce genre de choses ? Si elle avait tout d’abord eu une confiance aveugle en Lex, celui-ci s’était vite révélé novice en la matière. Mais combien d’années s’était écoulé depuis sa dernière séance pratique ? Et si jamais le voleur mourrait avant de donner la moindre réponse ? D’un autre côté laisser faire son capitaine pourrait conduire à la même conclusion. Lex commençait de nouveau à tourner autour de la table de torture, à la recherche du protagoniste du deuxième round.

— Lex, j’ai une idée en tête, l’interpela Alessia de vive voix. Qui pourrait mieux marcher que ces petits jouets.

— Quoi ? Tu vas le chatouiller jusqu’à mort s’ensuive ? lâcha-t-il sans cacher son ton méprisant.

— Fais-moi confiance. Prends un linge, mouille-le et donne-le-moi. Ensuite, asperge-le de la tête au pied.

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