5 — Embuscade (1)

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1


Accolée à un pilier du péristyle intérieur de la domus Castellan, Alessia laissa échapper un bâillement. Elle avait mal dormi, sa nuit peuplée de songes indicibles et incompréhensible. La matinée en était à sa moitié et son estomac grognait déjà. Il fallait dire qu’elle n’avait presque rien déjeuné, ne s'étant réveillé qu’une dizaine de minutes avant l’appel matinal.

La jeune femme semblait avoir gagné la confiance de son maître, car on venait de lui confier la surveillance de la villa. Alessia regagna sa chaise et reprit son poste. De sa position, elle avait une vue privilégiée sur les pièces communes de la domus, observait chacun des faits et gestes des serviteurs, vérifiaient qu’aucuns objets de valeur ne disparaissent. Il fallait dire qu’entre les vases exotiques, la porcelaine fine, les statues aux positions lascives et les masques mortuaires, il y avait de quoi faire. Stupre et luxure au vu de ses amis, professionnels comme privés, Arenius ne s’interdisait rien en tant que jeune aristocrate influent et célibataire. Nulles enfants ni épouse dans l’ancienne villa familiale. Des maîtresses par de rares occasions. Du coin de l’œil, elle aperçut le sire Castellan et le capitaine des Lames de Castell qui venaient de descendre les escaliers de la domus.

— Est-ce vraiment les seules nouvelles que tu m’apportes Hiéronym ? Il est hors de question que la vente des Thermes soit remportée par ces maudits Valentii !

Une colère à peine contenue commençait à émerger du cadet de la gens Castellan. Il attrapa une coupe sur une commode et la jeta à terre. Alessia prêta une oreille attentive, curieuse de savoir la cause du courroux de son employeur.

— Les serviteurs de la villa ont décliné toutes nos tentatives de leur soutirer la moindre information concernant Orél Valentii. Quant aux mercenare, ils ont refusé toute forme de dialogue avec nos hommes, mais cela était prévisible. Orél est un homme volage et ses nombreuses maîtresses se pavanent nuit et jour dans les ailes de sa demeure, sous les yeux de son épouse officielle, Rhéa Valentii. Mais tout ceci reste de notoriété publique.

Cette fois Arenius s’empara d’un petit vase en porcelaine, le considéra du regard avant de le reposer au dernier moment.

— J’espère que tu as eu l’intelligence de ne pas t’arrêter à ça ? Pourquoi le Prætor Cælis a-t-il subitement décidé de favoriser les Valentii lors de la négociation alors que les De Castell ont ont proposé la meilleure offre depuis le premier jour ?

— Bien évidemment, seigneur. Une rumeur court à Dalata que Carla Cælis ferait partie des dernières conquêtes d’Orél. Rumeur que mes hommes ont confirmée après une simple filature. Peut-être que le Prætor se cherche de nouveaux soutiens en vue des prochaines élections.

— Pernicies ! J’aurais du m’attirer les faveurs de cette dinde depuis bien longtemps. Cælis sait très bien qu’il sera incapable de remporter un nouveau mandat. Sa fortune s’est délitée depuis qu’il est à la tête de Dalata. Et mon père lui a bien fait comprendre qu’il n'appuierait pas sa candidature à Lancâstre.

Il se mit à tourner dans l’atrium sans remarquer la présence d’Alessia, caché dans un angle. Il se prit la tête entre les mains, agacé. Lex le suivit.

— Ce n’est pas la première fois que les Valentii vous posent problème. Vous auriez dû m’écouter, Aren. Moi et quelques-uns de mes meilleurs éléments aurions suffi pour s’occuper de l’affaire. Un accident peut si vite se produire.

— Tais-toi Hiéronym, si tu ne veux pas être privé de solde. Les De Castell ont de l’influence, mais pas au point de prendre de tels risques.

— Alors peut-être devrions-nous focaliser nos efforts sur le Prætor ? Pour le faire revenir à la raison ?

Le patricien en devenir ne l’écoutait plus. Ses prunelles, envahis d’éclairs étaient rivées sur la jeune mercenarii en faction. Sa curiosité maladive venait de la trahir.

— Mais que fait-elle ici ? — Alors que le capitaine s’apprêtait à lui répondre, Arenius lui fit signe de se taire — Trouve quelque chose de mieux à faire ! Hors de ma vue !

Alessia ne pensa même pas un seul instant à répondre à l’injonction du Castellan. Elle s’excusa puis quitta sur le champ l’atrium après une courte référence. Après tout qu’avait-elle à surveiller alors que le maître de maison était présent en personne ? Alessia observa Astalyone haut dans le ciel découvert, ses rayons d’une douce chaleur. La matinée déjà bien entamée qu’allait-elle faire ? Les patrouilles ne se termineraient pas avant midi. Un passage aux dortoirs s’imposait, peut-être trouverait-elle un compagnon d’entraînement avant la méridiem ?

Alessia se glissa entre les grandes haies taillées du jardin qui délimitaient les parterres de fleurs, en façade de la domus. Elle s’immobilisa tandis qu’elle venait d’entendre un grand vacarme en direction de l’entrée du domaine. Le grand portail s’ouvrit pour laisser passer un destrier à la robe sombre. La mercenarii s’approcha à grandes enjambées tandis que les autres Lames de Castell aux alentours faisaient de même, alertés par le bruit. Un homme emmitouflé dans une grande cape grise était allongé sur la selle, deux carreaux plantés dans son dos.

— Aide-moi à le descendre, on va le poser sur le sol, lança Rodan à l’attention d’Alessia alors qu’il venait de piquer un sprint depuis l’entrée du domaine. Chivéric va prévenir Sire Castellan et le capitaine, qu’ils fassent venir le doctore le plus rapidement possible.

La jeune femme aquiesca et aida le Nordien afin qu’il réussisse à dégager l’homme de sa selle sans aggraver ses blessures. Ils le posèrent en position latérale et Alessia observa sa livrée. Son tabard, tâché de sang, arborait les mêmes armoiries de la famille De Castell mais d’une couleur différente. Il ne s’agissait pas d’un membre des Lames de Castell.

— Rodan, tu as la moindre de qui il peut s’agir ? fit Alessia alors qu’elle commençait à inspecter les plaies de l’homme.

— C’est un mercenarii aux ordres du seigneur Varius, le père d’Arenius, répondit le Nordien. Un chariot de marchandises en provenance d’Illyr était attendu ce matin. On dirait bien qu’ils sont tombés sur un os.

La jeune femme se releva tandis que des pas commençaient à se presser derrière elle depuis la domus. Lex passa à côté d’elle et se précipita vers le mercenarii blessé. Il le secoua afin de lui faire reprendre conscience.

— Que s’est-il passé ? Où est Daguefilante ? Pourquoi n’est-elle pas là ? s’emporta le capitaine des Lames de Castell. Réponds malheureux !

Alors que le doctore du domaine venait de les rejoindre dans la cour, Rodan attrapa Lex par l’épaule pour le forcer à se mettre sur le côté. Accompagné d’un brancard, le vieil homme ordonna à ses assistants qu’on l’y dépose afin de l’amener dans la villa. Le capitaine des mercenare s’empressa de les suivre, incapable de contenir sa nervosité.

— J’imagine que tu n’étais pas au courant, finit par énoncer Rodan qui avait dû remarquer l’air surpris d’Alessia. Daguefilante est la grande sœur du capitaine. C’est elle qui a été chargée par Varius d’amener de convoi jusqu’à Dalata.

— En effet, je comprends mieux sa réaction, lui concéda la mercenarii.

Tandis qu’elle patientait au côté du Nordien, une certaine tension s’installa dans le domaine. Alessia observa le va-et-vient des Lames de Castell, chacun cherchant à en savoir plus sur l'incident plutôt que poursuivre les patrouilles. Les murmures et les chuchotements se faisaient de plus en plus fréquents, alimentant les spéculations de chacun. Une quinzaine de minutes s’écoula avant que Lex n’émerge de la domus d’un pas soutenu.

— Vous n’avez rien d’autre à faire ? Retournez à vos postes ! vociféra-t-il à l’encontre de l’attroupement de mercenare. Sauf toi, Alessia. Suis-moi jusqu’à l’écurie, Arenius a décidé de nous envoyer en reconnaissance sur la route au sud de Dalata. Nous avons un convoi à retrouver.


2


Presque une heure s’était écoulée depuis leur départ de la villa d’Arenius de Castell à l’approche de la méridiem. Si la première partie de la chevauchée avait connu un rythme soutenu, les deux cavaliers avaient dû se résoudre à ralentir l’allure une fois arrivée aux abords des marécages. La piste mal entretenue et boueuse était difficile à remonter, le moindre faux pas pouvant entraîner un malheureux accident. Et Alessia n’avait aucune envie de finir recouverte de vase de la tête aux pieds en chutant dans une tourbière. Alors elle et le capitaine des Lames de Castell avaient pris leur mal en patience.

— Et que se passera-t-il si nous tombons sur ceux qui ont attaqué l’escorte ? énonça Alessia pour chasser l’ennui. Nous ne sommes que deux, après tout.

— J’ai confiance en tes capacités, ainsi qu’en les miennes pour faire preuve de discrétion, rétorqua Lex.

— Nous aurions pu couvrir plus de terrains à plusieurs. Ce n’est pas comme si la plupart des Lames de Castell se la coulaient douce au domaine, énonça la mercenarii puis elle poursuivit constatant le silence de son capitaine. À moins qu’Arenius ne soit pas au courant de notre petite escapade, bien évidemment.

— En effet, admit Lex, Aren préférait attendre que le mercenarii se réveille avant d’agir. Le connaissant, il aurait envoyé l’intégralité des nôtres pour ratisser la campagne avec lui à notre tête. Nous devons agir avec subtilité.

— Admets plutôt que tu souhaites savoir si Daguefilante a survécu ou non à l’attaque.

Le mercenarii ne répondit que d’un bref grognement. Ils poursuivirent leur chevauchée pendant une dizaine de minutes avant d’atteindre une portion de la route qui se transformait peu à peu en cuvette. Tout autour les tourbières avaient fait place à d’épais buissons feuillus encadrés par de longs troncs pâles. Un endroit parfait pour une embuscade. Lex pointa du doigt une partie de la piste à une dizaine de mètres où la terre semblait y avoir été retournée. Ils décidèrent de s’y arrêter. Alessia descendit de Cal et commença à examiner les alentours tandis que Lex s’occupait des traces.

— Un chariot, escorté par une demi-dizaine de cavaliers. L’un d’entre eux a réussi à s’échapper. Je pense qu’on les a trouvés. Et de ton côté ?

Alessia examina la trajectoire de l’escorte, les buissons touffus déchirés et troués en plusieurs endroits. Elle s’approcha de l’orée du bois pour découvrir plusieurs carreaux plantés dans les troncs.

— L’escorte a bifurqué de la route, très certainement pour échapper aux arbalétriers. Ils ont continué sur une vingtaine de mètres.

Alessia et Lex s'aventurèrent plus profondément dans la forêt, suivant les marques des roues La végétation se densifia, les arbres se resserrant autour d'eux. Ils finirent rapidement par découvrir les restes du chariot, à moitié enseveli sous la boue et les branches cassées. Le véhicule était totalement détruit, l’essieu brisé, le bois éclaté, et les coffres et les caisses éparpillés tout autour. La mercenarii examina ces derniers d’un œil circonspect.

— On dirait que la cargaison n’était pas leur principal objectif. La plupart des coffres sont encore intacts. Ce sont des épices de l’Abondance que je sens du bout de ma narine ?

— Oui en quelque sorte, admit Lex tout en s'accroupissant à proximité du chariot. Il observa les traces de sang qui en tapissaient la conduite. Varius a des accords avec la corporation marchande de Rhoda, nos partenaires se chargent d’écouler leurs biens à Dalata. Mais le convoi était aussi chargé d’apporter un objet spécifiquement à destination d’Arenius, un petit coffret taillé dans de l’ébène. Et celui-ci manque mystérieusement à l’appel.

Lex se releva et pointa du regard un espace entre deux chênes. La terre y avait été retournée pour former une large bande maculée à de nombreux endroits de sang. Des traces de cadavres que l’on avait traînés dans la boue quelques heures auparavant, devina Alessia. Ils suivirent la piste d’un pas rapide avant d’arriver aux abords d’un ravin peu profond. La mercenarii ne fut guère surpris quand elle découvrit les cadavres des hommes de Varius dans celui-ci. Le capitaine des Lames de Castell n’hésita pas une seule seconde avant de glisser dans le trou jusqu’à eux pour les examiner de plus près.

— Daguefilante ne fait pas partie des victimes, j’imagine qu’ils ont dû la capturer, finit-il par énoncer. Ils ont été égorgés par des lames courtes. Du travail bâclé de seconde zone. L’effet de surprise a dû jouer en leur faveur. Ce n’est pas l’œuvre de mercenare aguerris, sûrement des petites frappes du coin, de la racaille. Ils ont à peine pris le soin de dissimuler leurs traces. Attends l’un d’entre eux à quelque chose dans la main.

Alessia attrapa la main de Lex pour l’aider à sortir du ravin quand celui-ci eut terminé ses observations. Il n’avait pas tort, à leur place la mercenarii aurait fait brûler le chariot et les mercenare avec.

— Tu as découvert quelque chose ? l’interrogea de suite Alessia.

— Oui, regarde-moi ça, répondit Lex avant d’ouvrir sa paume gauche. Il dévoila un lambeau de tissus effiloché brodé de deux serpents enlacés. Le mercenarii a dû réussir à arracher le foulard de l’un de ses assaillants. Nous avons affaire aux Vipères des tunnels, un gang de vauriens de Dalata.

— Au moins un mystère de résolu, en conclut la mercenarii avant d’ajouter. Et maintenant que faisons-nous ? On essaye de remonter leurs pistes ? Ils ont quelques heures d’avance sur nous.

— Pas la peine. Je sais où ils sont allés, rétorqua Lex. Vlaken, c’est un petit hameau à quelques kilomètres à l’est dans les marais. Un repaire de voleurs et de brigands. Et aussi le seul moyen d’atteindre Dalata sans passer par la route. Il y a des passeurs en barques. Ils ont dû être engagés par quelqu’un de Dalata, sinon ils se seraient contenté de vider les coffres. Ou ils auraient pris le convoi en embuscade bien plus loin au sud.

Alessia n’émit aucune objection face aux conclusions de son capitaine. Ils firent un dernier tour près du chariot pour être certain de n’avoir rien manqué puis ils retournèrent rapidement à leurs montures pour reprendre leur chemin. Une quinzaine de minutes s’écoula pendant laquelle ils chevauchèrent en silence. Si Lex semblait toujours aussi préoccupé par le sort de sa sœur, sa nervosité avait baissé en intensité.

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