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La découverte que je venais de faire me laissa tout d’abord pantois et inquiet. Puis elle me fit ressentir un sentiment d’urgence : je devais à tout prix trouver des preuves plus concrètes de l’engagement du Père Hubert, et je devais les trouver rapidement car il me semblait impensable de le laisser poursuivre son activité ainsi ; or, si de son côté, il parvenait à me faire muter pour de fausses raisons, comment pourrais-je agir contre lui si je n’étais plus sur place ?

Le lendemain, après mes prières du matin, je pris la direction de Châteaugiron pour aller présenter à Nicolas ma trouvaille de la veille. Lorsque je la lui montrai, il la prit dans ses mains pour la tâter, la retourner, la sentir.

- Je pense, fit-il, qu’il s’agit d’une tranche de radis noir

- Du radis noir ? Qu’est-ce que c’est ? Est-ce que ça se mange ?

- Oui, ça se mange. C’est une grosse racine qui a été introduite dans le royaume il y a environ deux cents ans mais elle n’a jamais vraiment été cultivée depuis. C’est seulement depuis quelques années que certains fermiers se mettent à la produire. J’en ai entendu parler dans certains traités d’agriculture, mais je n’en avais jamais vu en réalité. Où l’avez-vous trouvée ?

- Par terre, dans une clairière pas loin du lieu-dit la Vallée

- C’est étonnant ! Comment a-t-elle pu arriver là ? Je n’ai pas eu connaissance qu’un laboureur en ait plantée sur la paroisse

- Aussi je pense qu’elle a été achetée ailleurs et seulement consommée là-bas

- Mais par qui ? Seuls les gens qui s’intéressent aux nouveautés en matière d’agriculture peuvent en avoir entendu parler ; et où aurait-on pu se la procurer ? Certes pas sur un marché du coin !

C’était là des questions bien intéressantes en effet. Cela voulait dire que, si messe noire il y avait effectivement eu, parmi les présents il y avait des personnes suffisamment savantes en matière d’agriculture pour connaître l’existence du radis noir et qui avaient accès en outre à la ville, car où ailleurs qu’à Rennes aurait-on pu trouver cette plante ? Je pensais bien évidemment au Sénéchal. Nul doute que lui aussi avait assisté à cette cérémonie ! Mais qui d’autres ? Le procureur fiscal ? Qui d’autres encore ? L’avocat au Parlement, Martin Lambart qui était un autre des acolytes du Recteur ? Nicolas m’avait dit, quand je l’avais interrogé sur cet homme, qu’il était très souvent à Rennes où son poste le retenait : nul doute qu’il avait pu acheter du radis noir là-bas ; cela me parut même une évidence car le sénéchal et le procureur fiscal pour être puissants à Piré n’en quittaient pas moins que très rarement le village. J’étais en train de comprendre que le Recteur n’était sans doute qu’un élément d’un bien plus gros problème ; que des personnalités de la paroisse étaient très certainement impliquées elles aussi ! Cette pensée fit curieusement écho aux conclusions que j’avais déjà émises concernant l’affaire de la tête tranchée. Se pouvait-il qu’il y eût un lien entre les deux affaires ? L’inconnu aurait-il vu l’une de ces messes noires ?

Je tentai de me rappeler si, courant mars, un fait m’avait interpellé concernant le Père Hubert qui pût me faire penser qu’il y avait eu un rite satanique à ce moment-là. Mais je ne pus me souvenir de rien qui pût accréditer cette supposition. De plus, tuer le pauvre homme pour cela alors que le Recteur n’hésitait pas à parler tout haut du diable me paraissait douteux.

Je cheminai sur ma route de retour, agité par ces sombres pensées lorsque je fus soudain hélé.

- Holà, missire vicaire ! Vous voilà bien songeur !

Le Seigneur du Petit-Bois me regardait du haut de son cheval. Comme il était à contre-jour, je ne distinguais pas ses traits.

- En effet, Monsieur

- Et à quoi songez-vous ainsi ?

Une impulsion subite me fit dire :

- Je cherche ce que je pourrais faire pousser dans notre jardin du presbytère. Nicolas Prodault, de chez qui je viens, m’a parlé de nouvelles plantes mais je suis sceptique.

- Tiens donc et de quoi vous a-t-il parlé ?

- De radis noir. En avez-vous déjà entendu parler ?

Intéressé, il démonta pour se mettre à ma hauteur et me répondit :

- Oui, j’en ai déjà vu mais cultiver une plante c’est une chose, encore faut-il en avoir une utilité ! Qu’en ferez-vous ? Nul ne connait par ici et vous ne pourrez pas vendre votre production ; vous ne pourrez pas tout manger non plus, vous en aurez rapidement assez !

- Pardonnez mon ignorance, je n’avais pas vu cela sous cet angle. Cependant si, par curiosité, je souhaitais malgré tout mettre en terre quelques plants, sauriez-vous où je pourrais m’en procurer ?

- Eh bien, il vous faudrait sûrement aller à Rennes mais je n’ai pas d’adresse à vous donner. Pourquoi ne pas écrire aux Etats de Bretagne ? Ils sauront certainement vous renseigner, étant bien au fait des innovations agricoles de la région !

Je reconnus qu’il avait raison et poursuivit :

- Vous-même, vous intéressez-vous aux nouveautés ?

- Un peu oui, mais je regarde plutôt vers les nouvelles machines que vers les nouvelles plantations. Savez-vous par exemple qu’il y a seize ans, le marquis de Coëtinisan a fait fabriquer une machine qui permet de transporter les arbres tout droits ?

- Non, je ne savais…

Sans me laisser finir ma phrase, il enchaîna :

- Et en ce moment, il y a une ébullition autour des semoirs et de la herse que l’on cherche à perfectionner. Car vous comprenez bien que si nous pouvions améliorer le fonctionnement du matériel agricole, soit pour qu’il soit plus simple à utiliser, soit plus solide, ou encore plus productif, nous pourrions révolutionner notre mode de culture ! Révolutionner, je pèse mes mots ! J’ai connaissance, voyez-vous, que Mr de Bruc par exemple fait de nombreux essais sur la herse. Pour l’instant ses travaux n’ont pas eu le succès escompté, mais je suis certain que dans quelques années, il aura des résultats intéressants !

Tandis qu’il reprenait haleine, je me précipitai afin de caser une nouvelle question avant qu’il ne reprenne son discours enflammé :

- Et pour mon histoire de radis noir, sauriez-vous quand même qui aux Etats de Bretagne pourrait me renseigner ?

Il me regarda un rien agacé comprenant que je n’étais guère intéressé par son pamphlet sur la technologie agricole et, vexé, il entreprit de remonter sur son cheval tout en s’exclamant :

- Vous alors, quand vous avez une idée en tête ! Allez, essayez donc le Procureur de la Chalotais : il a entrepris de réaliser une ferme modèle sur ses terres et se tient très au fait de toutes les innovations !

Sur ces paroles prononcées sèchement, il reprit son chemin sans plus m’accorder un regard, ayant décidé visiblement que je ne méritais plus son attention. J’étais à vrai dire ennuyé car je pouvais bien sûr suivre son conseil mais je n’aurais pas forcément de réponse et encore moins rapidement. Or, le temps jouait désormais contre moi puisque j’avais été suffisamment imprudent pour me découvrir face au Recteur. Cependant, sa réponse venait conforter mon idée concernant Martin Lambart : étant avocat au Parlement, il connaissait forcément le Procureur de La Chalotais et avait pu obtenir certainement tous les renseignements utiles concernant le radis noir. Peu à peu, les faits prenaient leur place dans ce puzzle que je tentais de reconstituer.

Par contre, je ne voyais pas vraiment de solution pour en apprendre plus, si ce n’était de surveiller de près les allées et venues du Père Hubert, ce qui se révélait délicat à mettre en place car, grâce à mon impulsivité, il savait qu’il devait se méfier de moi. De plus, que diraient les villageois s’ils me surprenaient en train de le suivre ? Cela me discréditerait à coup sûr en tant que prêtre !

J’en étais là dans ma réflexion tandis que je pénétrai dans le presbytère, où la fraîcheur du lieu m’accueillit et m’apporta un peu de bien-être car, dehors, il faisait une chaleur étouffante. Nous avions un été plutôt maussade comme l’avait été le printemps, mais de temps en temps, il se mettait à faire des températures très élevées : cela durait une journée, voire deux, puis un orage éclatait et, à nouveau, le temps redevenait gris, pluvieux, et frais pour la saison, jusqu’à un nouvel épisode très court de chaleur.

J’avais à peine fait quelques pas, que le Père Ménard vint à ma rencontre, comme s’il m’attendait :

- Je sais que vous venez d’arriver Père Julien, mais je m’apprêtais à faire ma petite promenade journalière, voulez-vous vous joindre à moi ?

Il n’était pas loin de midi et si, effectivement, il sortait se promener tous les jours, c’était généralement plutôt en soirée, après la sieste qu’il ne manquait jamais de faire en début d’après-midi. Je compris donc qu’il avait des informations importantes à me donner et n’hésitais pas une seconde à l’accompagner. Naturellement, nos pas nous emmenèrent à la Chapelle de la Croix Boüessée, comme d’habitude.

- Vous vous souvenez sans doute que je vous avais promis de vous aider à trouver les réponses aux questions que Georges Prodault vous a posées, car je pensais que je pourrais ainsi aider à apaiser les esprits.

Je hochais la tête pour confirmer, sans lui dire que j’avais en réalité perdu espoir qu’il m’apporte un jour quelques éléments de réponses, à tel point que je n’osais même plus regarder Georges en face car j’avais bien conscience de le décevoir. Lors des messes du dimanche, je sentais son regard scrutateur posé longuement sur moi, et je gardais tête baissée pour éviter l’éclat interrogateur de ses prunelles foncées. Cela faisait maintenant plus d’un mois qu’il m’avait mis les questions « en mains » si je puis dire, et n’ayant rien à lui apprendre, j’esquissais lâchement ses demandes muettes.

- Eh bien, j’ai reçu ce jour la petite Jeanne en confession et, à l’abri dans l’obscurité du confessionnal, je lui ai posé quelques questions.

Mon cœur se mit à battre plus rapidement car je voyais bien, au pli soucieux qui barrait le front du Père Ménard, que les réponses qu’il avait reçues n’étaient pas aussi apaisantes qu’il l’aurait souhaité.

- Et ? fis-je pour l’inciter à poursuivre

- Pour vous résumer, Jeanne m’a déclaré que la matrone s’était retournée vers elle brusquement après le départ de Pierre Hamelin pour lui dire de courir vite chercher le Recteur ; qu’elle devait prendre à gauche en sortant de la maison et qu’elle allait le trouver peu après ; et qu’effectivement, elle l’avait découvert assis sur le talus et que, lorsque celui-ci l’avait aperçue, il s’était mis aussitôt debout et avait accouru dans sa direction ; qu’enfin, elle avait voulu lui dire que Marie l’accoucheuse le demandait mais qu’il l’avait aussitôt coupée en lui répliquant « oui, je sais ! »

- Donc le Père Hubert savait que Jeanne viendrait le chercher : c’était prévu d’avance… Mais, à quoi cela rime t’il ? Si Marie savait que l’accouchement serait difficile et avait prévu que l’intervention d’un prêtre serait nécessaire, pourquoi le Recteur attendait-il un peu plus loin, pourquoi n’était-il pas venu directement chez les Hamelin ?

- Et pourquoi laisser le mari aller quérir un autre prêtre au bourg alors qu’elle savait que le Père Hubert allait arriver ? ajouta le Père Ménard

Alors qu’il finissait de poser sa question, nous nous regardâmes, les yeux agrandis par l’incrédulité de la réponse qui venait de nous heurter l’un et l’autre en même temps, nous laissant sans voix quelques instants. Puis, je murmurai, n’osant le dire trop haut tellement cela paraissait énorme en raison de tout ce que cela laissait supposer :

- Pour l’éloigner un moment… Pour qu’elle reste seule avec le Père Hubert et la femme…

Perdu dans mes pensées, j’entendis le Père Ménard prendre bruyamment sa respiration puis il déclara :

- Allons, ne nous emballons pas ! Il y avait quand même la petite Jeanne…

- Il n’aura pas été difficile de l’éloigner pendant quelques instants au besoin : il aura suffit de lui demander d’aller chercher de l’eau au puits par exemple…

- Oui, mais pourquoi faire ? Vous n’allez tout de même pas accréditer la version de Georgette et soutenir que l’accoucheuse a tué les bébés ! Et au vu et au su du Recteur ! Et il aurait laissé faire ? Allons ce n’est pas sérieux !

Lorsque Georgette m’en avait soumis l’idée quelques semaines plus tôt, j’avais trouvé cela grotesque en effet ; mais désormais, avec tout ce que j’avais appris sur le Recteur, la chose ne m’apparaissait plus aussi invraisemblable. Jusqu’où un prêtre qui, au lieu d’adorer le Christ, adorait le Diable, pouvait-il aller ? Certes, il manquait un élément crucial dans mon raisonnement - dans quel intérêt agir ainsi ? – mais je pressentais que les deux faits étaient liés.

Nous rentrâmes ensemble au presbytère, silencieux et absorbés par nos pensées qui toutes tournaient autour de notre responsable spirituel.

A notre arrivée justement, nous le croisâmes. M’ignorant totalement, il s’adressa jovialement à mon compagnon :

- Ah Père Ménard, heureusement je vous trouve !

Tout en prononçant ces paroles, il s’intercala entre nous et passa un bras sur l’épaule du prêtre tout en l’éloignant de moi. J’entendis cependant parfaitement la suite de la conversation :

- Je vous prends un peu au dépourvu, mais je souhaiterai que vous donniez la bénédiction nuptiale à Louis Butault et Jeanne Bourdon

- Mais… le mariage a lieu demain, non ?

- Oui mais je me suis dit qu’avec toute votre expérience, un délai aussi court ne vous poserait pas de problème

Il y eut un court silence désapprobateur de la part du Père Ménard car il savait pertinemment que ce mariage m’avait été attribué à l’origine et que le Recteur me faisait ainsi une vexation, tout en me privant du bénéfice de la messe puisque les jeunes mariés payaient au curé officiant le prix du sacrement.

- Je ne peux guère refuser, mon Père, mais je n’ai pas pour habitude de travailler ainsi dans la précipitation, sachez-le

- Je le comprends et je veillerai à vous prévenir plus rapidement à l’avenir. D’ailleurs, à ce propos, pourriez-vous donner la messe dimanche dans deux semaines ? Ce délai me semble raisonnable n’est-ce pas ?

- Oui

- Et bien, c’est parfait ! Je vous laisse : on m’attend ailleurs

En quittant le Père Ménard, il me lança un regard perçant avec une joie de vainqueur non dissimulée mais comme j’affrontai et refusai de baisser les yeux, la joie disparut remplacée d’abord par de la froideur puis pour finir par de la haine. Je n’avais jamais eu l’occasion de recevoir un tel regard et j’avoue qu’il me retourna les sangs, accélérant les battements de mon cœur sous le coup de la peur.

- Cette messe du dimanche, c’était aussi à vous de la faire non ?

- Oui

- Je suis désolé. Vous comprenez qu’il m’est difficile de refuser, n’est-ce pas ?

- Ne vous inquiétez pas Père Ménard ; je ne vous demande pas de vous opposer à lui. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si c’est à vous qu’il a demandé…

- Comment ça ?

- Il a bien dû se rendre compte que nous passions un peu de temps ensemble, ce que je ne fais pas avec le Père Coujeon et le Père Louis. Il essaie de créer de la discorde afin de m’isoler.

- Peut-être…

Je sentis que sa réponse manquait totalement de conviction mais pour ma part j’étais persuadé de cette réalité. De même que ce n’était pas un hasard si le Recteur était venu à notre rencontre et avait annoncé ces décisions devant moi ; cela donnait le « la » de nos relations futures : vexations, isolement, regards intimidants et privations de revenus seraient dorénavant mon lot, en attendant à coup sûr une mutation.

Après une petite tape amicale sur l’épaule dans ce geste qui lui était si familier, le Père Ménard me laissa seul et je me rendis directement dans ma chambre, l’esprit en ébullition. Que faire ? Je vins à penser que si l’on m’enlevait tout travail, j’aurais tout mon temps pour réfléchir à la situation, à commencer par la relation qu’il pouvait y avoir entre l’affaire des jumeaux et les messes noires. Malheureusement, je dus déplorer une nouvelle fois de ne pas connaître suffisamment ces dernières car j’étais certain que la réponse que je cherchais se trouvait dans leur déroulement. Mais où trouver l’information rapidement ? Car j’avais bien pensé écrire divers courriers, notamment à mon parrain qui était curé, et sans qui je ne serais jamais devenu moi-même prêtre étant d’une famille pauvre. Hélas, cela prendrait du temps sans aucune certitude d’avoir des réponses. Devant la difficulté à trouver de l’information, je me demandai soudain où et comment le Père Hubert y avait eu accès. A bien y réfléchir, je me dis que soit il avait rencontré un ministre occulte du satanisme, soit il avait lu un ouvrage ; il pouvait même avoir eu accès aux deux et peut-être même qu’il avait encore un livre en sa possession, qu’il cachait quelque part au presbytère.

Mon cœur s’emballa : aurais-je le courage d’aller fouiller dans sa chambre et dans son bureau ? Et si l’on me voyait faire, quelle honte ! Pourtant, plus j’y réfléchissais, plus cela me semblait une évidence : il avait forcément en sa possession un document qui lui donnait la ligne à suivre pour réaliser une messe noire.

Il avait, un peu plus tôt, déclaré être attendu ailleurs, donc la voie était libre : je ne risquais pas de tomber sur lui dans l’une ou l’autre des deux pièces. Nerveusement, je me passai la langue sur les lèvres et sans réfléchir plus avant je sortis de ma propre chambre pour me diriger vers la sienne. Le cœur battant, j’avais l’impression que mes pas résonnaient de façon assourdissante sur le parquet du couloir, criant à tous les résidants du presbytère ce que je m’apprêtais à faire. Au bout d’un temps qui me parut une éternité alors même qu’il n’y avait que quelques pas entre nos deux portes, je fus arrivé à sa chambre. Je jetai un regard inquiet de part et d’autre du couloir, les mains jointes, tapotant des doigts de la gauche sur ceux de la droite que j’avais moites de peur, puis après une rapide expiration, je saisis la poignée et la tournai… Mais c’était fermé à clé… Bien sûr, quel idiot ! Nous le faisions tous ! Dans un environnement communautaire comme l’était le presbytère, la chambre était le seul endroit privé dont nous disposions et par conséquent, bien qu’aucun de nous n’ait grand-chose à dissimuler, nous la protégions par réflexe de toute intrusion.

Je me reculai rapidement de la porte, jetai à nouveau un regard coupable de part et d’autre du couloir et m’enfuis littéralement jusqu’à ma chambre dans laquelle, une fois rentré, je m’adossai au mur, le souffle haletant comme si j’avais couru. Les yeux fermés, je passai une main tremblante sur mon front : « Mon Dieu, pardonnez-moi ! A quoi suis-je donc réduit ? »

Et pourtant, il fallait que je recommence, avec le bureau cette fois, et avec le risque de trouver porte close une nouvelle fois. En plus, il se trouvait au rez-de-chaussée et, bien que le presbytère ne soit pas l’endroit le plus fréquenté, la possibilité d’être vu était plus importante qu’à l’étage car il y avait un peu plus de passage puisque Jeanne, la servante, y officiait. De plus, une large fenêtre donnait sur la cour et l’on pouvait m’y apercevoir en train de fouiller…

Avant de me lancer dans l’aventure, je devais cependant à tout prix retrouver la maîtrise de mes nerfs et il me fallut passer par le recueillement pour y parvenir, bien que ce que je m’apprêtais à faire fût bien loin d’une bonne action ! Lorsque je fus redevenu plus serein, je sortis à nouveau de mon repaire et descendis d’un pas vif jusqu’au bureau. Passant rapidement devant la cuisine, j’y aperçus la vieille servante assise sans rien faire, les yeux perdus dans le vide. Mais déjà, j’étais arrivé devant la porte du bureau, assailli par les mêmes désagréables sensations qu’un peu plus tôt lorsque j’avais tenté de pénétrer dans la chambre du Père Hubert. La main tremblante, je tournai la poignée tandis qu’au fond de moi un espoir lâche me faisait espérer trouver une nouvelle fois porte close. Mais elle s’ouvrit silencieusement me laissant face à ma conscience.

Après une brève hésitation, je franchis le seuil. Un instant, je me revis un peu plus d’un an en arrière, lorsque pour la première fois je passais cette porte et découvrais le Recteur. Il m’avait alors fait forte impression tant par sa carrure, que par son regard translucide ; sa jovialité m’avait charmé et j’avais été heureux de mon transfert. Comme il était loin ce printemps 1739 !

Mais l’heure n’était pas à la rêverie : je risquais d’être vu à chaque instant dans l’antre du Père Hubert et je ne pouvais guère justifier mon intrusion par un besoin ecclésiastique, comme celui de préparer au calme ma prochaine messe par exemple puisque celle-ci venait de m’être enlevée.

Comment faisait-on pour fouiller une pièce ? Un peu pris au dépourvu, je m’avançais hésitant vers le bureau, vierge de tout document : rien ne traînait. J’ouvris au hasard les tiroirs mais ne découvris rien d’anormal. La pièce était du reste relativement dépouillée comme toutes les autres pièces du presbytère. En plus du bureau, on y trouvait un vieux fauteuil installé dans un angle, près d’une petite table sur laquelle se dressait un chandelier ; puis contre l’un des murs, un buffet. Je me dirigeai vers lui et tentai d’en ouvrir les portes ; elles cédèrent toutes les deux, celle de droite et celle de gauche, mais je n’y trouvai que des étagères vides. Au-dessus de chacune d’elle, il y avait un tiroir. Je les ouvris : vides aussi. Je dus reconnaître mon échec total et je m’apprêtai à repartir lorsque, sur une impulsion, je revins vers le bureau. J’y avais vu un peu plus tôt une bible dans l’un des tiroirs et je décidai de la regarder d’un peu plus près. Elle était assez usagée, avec de nombreuses pages écornées. Avec fébrilité, je la feuilletais rapidement mais en vain : je n’y découvris absolument rien ! Si le Recteur disposait de lectures compromettantes, elles n’étaient clairement pas dans le bureau. Déçu, je quittai les lieux et courus quasiment jusqu’à ma chambre où je me sentis enfin en sécurité à nouveau. Je n’étais pas très fier de mon action et, en plus, cela n’avait abouti à rien. Sans doute que le Père Hubert avait préféré garder dans sa chambre les éventuels documents en sa possession ; car je restai persuadé qu’il avait forcément une sorte de « manuel de la messe noire » où les grandes lignes étaient retracées. Où, à part dans cette pièce assurée d’intimité, aurait-il pu le cacher ?

Soudain pourtant, l’image de la sacristie me parvint. Au-dessus de la penderie où nous rangions nos vêtements sacerdotaux, il y avait un petit placard. Depuis un an que j’avais pris mon service à Piré, je l’avais toujours connu fermé à clé et quand j’en avais demandé la raison lors de mes premières semaines, le Père Hubert m’avait avoué que lui-même l’avait trouvé ainsi à son arrivée et qu’il semblait que la clé en fût perdue. Je n’avais pas cherché plus loin et avais admis ces paroles comme une vérité. Aujourd’hui cependant, où je remettais en cause les faits et gestes du Recteur, je me pris à penser que peut-être ce placard cachait quelques secrets et je trouvais que l’idée de la clé perdue était bien commode pour décourager la curiosité. L’ennui était qu’avec l’incendie la sacristie était devenue inaccessible car il semblait trop dangereux de traverser l’église en ruine pour l’atteindre.

Je poussai un soupir. J’avais déjà bravé des interdits ce jour-là : oserai-je poursuivre et, pourquoi pas, risquer ma vie juste pour ouvrir ce placard, de force s’il le fallait, et découvrir ce qu’il renfermait ? L’idée de trouver des preuves du satanisme du Recteur me donna des ailes et je décidai de tenter l’expérience ; mais pas dans l’immédiat. Nous étions en pleine après-midi et je ne voulais pas risquer d’être vu rentrant dans l’église ; y aller la nuit avec une bougie n’était pas non plus une bonne idée car du dehors on verrait la lumière. Finalement, j’optai pour la fin de soirée, à l’heure où chacun aspire à un repos bien mérité alors même que la nuit n’est pas encore tombée : je pensai éviter ainsi les rencontres sans pour autant avoir besoin de bougie.

Pour l’heure, je m’allongeai sur mon lit et sans m’en rendre compte, je m’endormis comme un bébé ; la journée riche d’évènements m’avait épuisée

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