2- Première phase

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Je n'avais pas eu besoin de réveil le lendemain. Sans que je puisse poser des mots sur ce que je ressentais, j'étais comme libéré. Cela se vu notamment sur mon visage, un sourire constant pointait sur le bout de mes lèvres, que je n'ai même pas pensé à rectifier. J'ai vite remarqué la curiosité de ma mère, je n'en ai pas tenu compte et j'ai continué à lui faire la discussion. Le plus simplement du monde, je meublais avec ce que je pouvais trouver à lui dire et mangeant avec plus de vigueur qu'à l'intitulé. Mon excitation latente, je ne la contrôlais plus. Et elle ne chercha pas à en savoir davantage. Nous avons déjeuné dans la bonne humeur, jacassant sur mes recherches continuelles de boulot et quelques ragots de quartier sans importance. Je ne m'étais pas fais aussi bavard depuis longtemps, à ma grande surprise, même si je restai évasif sur mon nouveau projet « professionnel ». Elle n'eut pas l'air de m'en tenir rancœur et passa vite à un autre sujet. Elle aussi semblait avoir un meilleur appétit, je repensai aussitôt à notre connexion légendaire.

Mais l'heure sonna vite, me raccrochant à la réalité. Je m'affairai à tout débarrasser, signalant dans le même temps mon absence de la journée. J'avais, pour la première fois depuis l'année précédente, une sorte de rendez-vous. Une rencontre entre amis pour être plus précis. Si pour ma mère, mon annonce ne donnait pas l'impression d'une nouveauté, j'en restai secrètement incrédule. Et même si j'avais été choisi plus par dépit que par moral, j'en étais le premier satisfait. Cela m'allait très bien, me donnant un bref espoir de répit en dehors de ma solitude constante. Je n'avais pas traîné à déserter par la suite, après avoir subi les remontrances de ma mère concernant mon débarrassage forcé. D'une bise sur sa joue froide, j'ai dédallé en lui adressant un dernier signe de la main devant ma voiture. Elle m'a répondu d'un faible geste, toujours accompagné de son sourire angélique.

Le reste de la journée se déroula tout aussi vite. Certes nous avions tous les trois rien à faire, mais nous étions ensemble, et la conversation avait fini par tout naturellement se créer. Gaz fut le plus dégourdi d'entre eux deux, me glissant quelques demandes par-ci par-là. Je les ai toutes approuvées, ne discernant aucune raison valable de les refuser. Mais plus j'étais présent, et plus je voyais que l'idée prenait de l'ampleur. En tous cas, une certaine forme de possibilité. Encore fallait-il parvenir à trouver un danseur qualifié pour faire cette merde.

Du centre-ville, nous sommes arrivés assez vite au Job Club, ne serait-ce pour faire bonne impression. Comme quotidiennement, il n'y avait absolument rien de neuf dans ce programme, mais la présence de Dave et Gaz apportait son lot de changement. Pour une fois, je n'étais pas assis à la table du fond. Et je n'avais jamais autant glandé non plus, épris d'une partie de Bridge forte désopilante. Même si le lieu avait pour réputation une morosité sans précédent, les discussions ici s'éveillaient sans effort.

Gaz se chargeait d'expliquer encore et encore son plan, passant en revue tous les aspects possibles, l'exposant sous diverses formes et parlant notamment de futures auditions à organiser. Dave lui resta silencieux et ne relevant pas les yeux de son jeu. L'idée n'eut pas l'air de l'enchanter plus que ça, mais il gardait ses remarques pour lui. Notre conversation éveillait subitement l'intérêt. Quelques sourires, pas mal de brimades, mais surtout une inébranlable attention. Malgré une idée plus que saugrenue, que Gaz tâchait de défendre à tout prix, il nous restait à trouver un enseignant potentiel. Pourcentage de chance de trouver ce dernier à Sheffield : Environ 5%. Sans compter que cette personne devait aussi prêter serment pour ce projet de l'enfer. Mais ce jour-là, notre sujet de conversation à proprement parlé ne fut pas le seul détail que me frappa.

Dave venait tout juste de sortir un carré d'as, devenant maitre de la partie, quand la porte de l'établissement claqua. J'avais relevé les yeux instinctivement en soufflant de frustration, vaincu par ma malchance continuelle au jeu, et le nouveau venu se dirigeait vers le bureau d'accueil. Un homme dans la trentaine, l'air détendu et patientant avec nonchalance de l'arrivée d'un potentiel administrateur. En ce qui me concerne, même si mon paquet de carte se composait sous mes yeux, j'étais dans l'incapacité de dévier mon intérêt pour ce gars. Du moins, avant qu'un contact nouveau se créer entre nous deux. Ses pupilles se déplacèrent furtivement, pour finir par me fusiller sur place. Puis il avait souri, exposant une dentition parfaite. J'ai tressailli, et cessé tout bêtement ce jeu de regard. Ça ne le dérangeait pas pour continuer cela dit.

Je me raidis sur ma chaise, mal à l'aise. Dave reprit les rennes de la manche, m'ordonnant de jouer pour la démarrer. Pris de court, et observant du coin de l'œil l'inconnu, je commençai la partie avec une méthode plus que discutable. Mon collègue me rétorqua un regard d'incompréhension, et je compris mon erreur dès le deuxième tour. Gaz me jaugea sévèrement, et me porta le coup final dans un coup implacable.

- Mais qu'est-ce que tu joues comme un pneu Lomper !

L'observateur à mon front cacha un rire moqueur dans son cou, mais ses yeux restèrent pour le coup toujours aussi fixés sur les miens. Une brief chaleur traversa mon échine à ce nouvel échange, me crispant encore un peu plus sur mon postérieur, déjà bien tassé au fond du siège.

- Mec, c'est quoi cette stratégie à la con ?

- L'engueule pas. Je suis sur qu'il était en pleine rêverie de votre superbe Show.

- Ferme-là tu veux, c'est juste une idée. Et puis, j'aimerai bien voir vos têtes de six pieds de long si jamais notre combine fonctionne.

- Réfléchis Gaz, ça n'a rien de censé.

Il laissa sa réponse en suspens, tournant le filtre de sa cigarette entre ses lèvres. Il concentrait sa réflexion sur son paquet de cartes, incrédule.

- Il nous faut un cours de danse, ou même une personne sachant se débrouiller pour nous apprendre. C'est facile, avec lui, on se débrouille pour savoir faire ce qu'il faut, et après ça... Reste plus qu'à se défroquer.

- Bien-sûr ! C'est simple comme bonjour. Et moi qui m'en faisait toute une montagne.

- Fait moi confiance Dave, personne ne se foutra de ta gueule quand on aura remporté le pactole. Il faut juste trouver de potentiels intéressés.

J'osais à peine relever la tête, et à mon grand étonnement, mon adversaire avait fini par me délaisser pour discuter avec l'hôtesse d'accueil. Je détaillai subtilement sa tenue. Un style plutôt urbain, suivant la mode de son époque. Un tatouage à la limite de l'avant-bras, peu visible et dépassant d'un T-Shirt blanc moulé à la perfection. Sa musculature semblait parfaite, structurant comme il fallait ses habits décontractés. Son lobe gauche était orné d'un anneau en argent, discret, mais renforçant d'une petite touche son côté rebelle. Et je m'étais bien-sûr trop penché sur mon observation. Sa tête pivota dans ma direction sans que je ne cesse de le détailler. D'un sourire imperturbable, il reprit son papier des mains de la jeune femme, sans même l'observer. Me concernant, je ne fis pas un seul mouvement, comme hypnotisé par sa confiance démesurée, qui détruisait la mienne à la volée.

- C'est décidé. Demain, je me mets à la recherche d'un endroit où on danse. Il doit bien avoir un cours à Sheffield, ou quelqu'un qui puisse nous renseigner.

Dans un dernier regard amusé, mon perturbateur dédalla. Moi, je basculai difficilement vers la réalité. Je ne le remarquai pas tout de suite, mais mon pou avait triplé.

- Tu nous lâches pas Lomper ?

Seul mon prénom me sortit de ma rêverie, je n'avais pas décroché de la porte encore battante.

- Non, non... Je suis toujours là.

- Génial ! Mes amis, notre ascension commence demain.

☽ ☾

Nous étions sortis du salon de danse le soir-même, assez dubitatif. Gérald était le seul à pouvoir nous apprendre quelque chose, et bien la dernière personne à qui nous aurions pu penser. Pourquoi fallait-il que ce soit lui ? Même Gaz en restait perplexe, même si il tenait tout de même un enjeu de taille. Si nous le voulions, nous pouvions très bien lui faire un brin de chantage. Collègue de boulot, mon cul. Mais même sans céder à cette idée, Gaz ne se laissait pas abattre. Il était prêt à tout pour cette connerie, même si je doutais personnellement du résultat final.

Et pourtant, il n'avait suffi que d'une petite entourloupe pour parvenir à nos fins. Ruiner un entretien d'embauche n'avait rien de louable, mais c'était la seule option que nous avions. Nous n'avions jamais eu de relations -dîtes- amicales avec l'ancien contremaitre, et les entrevues avaient été plus que houleuses la plupart du temps. Pour le convaincre, il fallait à tout prix qu'il n'ait aucune autre issu. Et puis, lui aussi avait besoin de fric de toute façon. Nous l'étions tous.

Cela ne nous avait pas couté plus chère qu'un nain de jardin recollé avec de la Super Glue, et une charrette miniature en bois. Gerald avait toujours eu cette passion, à en croire son jardin qui en demeurait le meilleur exemple. Ce dernier regorgeait de ces petites babioles, non sans une pointe de mauvais goût, soyons franc. Je pense avec le recul qu'il avait accepté notre proposition par résignation. Et même si tout cela paraissait grotesque, le chiffre d'affaire rapporté pour nous convaincre nous mettait à tous l'eau à la bouche.

Gaz m'avait confié la charge d'un endroit pour répéter. Comme faisant parti intégrante de la fanfare toujours active de l'usine depuis un bon nombre d'année, demander les clés des locaux désinfectés avait été un jeu d'enfant. Notre salle d'entrainement était trouvée, et je comprenais un peu mieux pourquoi Gaz m'avait embauché. Et finalement, tout cela n'avait que peu d'importance. En quelques jours, j'avais franchi les deux opposés, et ma timidité maladive avait laissé place à un entrain significatif. Sans même me poser de question, j'étais la deuxième personne du groupe à m'investir le plus dans le projet. Dave en était resté vert.

Il nous avait cependant accompagné pour les auditions, n'y croyant absolument pas. Il nous répétait sans en démordre que nous perdions notre temps. Pourtant, il était resté toute l'après-midi, scrutant les courageux qui osaient s'aventurer dans l'arène. Pour beaucoup, ce n'était que gène, et un déshabillage difficile. La plupart n'ont pas été plus loin que la chemise. Dans sa globalité, l'image faisait peine à voir. Je restai quant à moi en retrait, jugeant d'une façon impartiale les prestations qui s'enchainaient. Les bons danseurs se faisaient rares, et Gerald perdait peu à peu son enthousiasme. Tout du moins avant que n'intervienne Horse, un mec d'une quarantaine d'années bien tassée, mais qui savait danser plus que les autres. Ou du moins, qui connaissait déjà quelques pas et figures. De toute manière, toute offre était bonne à prendre. Nous étions dorénavant cinq après délibération.

Plus qu'un élément à dénicher. Quatre potentiels recrus continuèrent de défiler devant nous, sans un essai concluant, cela en était presque hilarant. Le cinquième pour autant me fit me crisper sur mon dossier, tout comme Gerald qui se défila derrière son journal. Chose que, malheureusement, je n'avais pas pour pâlir à ma surprise. Je restai donc estomaqué devant lui, ne déviant pas mon regard le temps qu'il s'installe face à nous. Ses yeux avaient la même aura que la première fois que je l'avais aperçu au Job Club. Et comme cette fois-là, je restai tétanisé, totalement éperdu.

- Salut, tu t'appelles ?

- Guy, Guy Jones.

Gerald sembla irrité, n'oubliant pas de nous préciser qu'il avait déjà fait appel à ses services de plombier peu de temps avant, et qu'il le reconnaitrait entre mille. Je m'étonnai de la révélation, il ne ressemblait en rien à l'image du plombier qu'on pouvait s'imaginer, si ce n'était l'exemple du fantasme parfait.

- Okay, et tu sais faire quoi au juste ?

- Eh bien, vous savez dans le film « Chantons sous la pluie » ? Dans une scène, il monte au mur le gus.

- Et tu serais capable de faire ça ?

Nous restions tous mitigés par le résultat. Seul un danseur expérimenté aurait pu reproduire cette acrobatie, mais nous étions curieux de la suite. Le dénommé Guy de son côté se leva, déplaçant sa chaise de quelques mètres sur le côté.

- Ça, c'est le mur d'accord ?

Il prit un bon élan et se lança, avant de s'écraser au sol dans un bruit assourdissant. Nos réactions furent les mêmes, tous les cinq incrédules. Je compris rapidement l'envergure de ses talents indéniables, de cascadeur amateur.

- Bon... Dans le film, il y arrive vachement mieux le mec...

- Donc, tu ne sais pas danser ?

- Non.

- Ni chanter ?

- Non...

- J'aime pas trop demander ça mais, tu as quoi à offrir exactement ?

- Bah, j'ai... J'ai ça.

Il défit sa boucle de ceinture, et baissa son Jean. Ce que je vis ensuite me paralysai, nous laissant tous sans voix. Des proportions aussi démentielles me paraissait impossible de nature, et pourtant. On aurait pu cacher un anaconda là-dessous.

- Putain de merde... Messieurs. Nous sommes en orbites, nous voilà lancés.

Gerald avait fini par baisser son journal local, bien trop curieux de la situation. De toutes les façons, ce prénommé Guy venait de signer son arrivée dans la bande avec ce sexe des enfers.

- Bordel, ça fout le tournis.

Je restai silencieux, mais n'en pensai pas moins, une troupe de scouts aurait pu camper ici. Je songeai une demi-seconde à mon propre engin, ce dernier allait faire tâche à côté de celui-ci. J'en fus vite diminué, j'allais passer pour un ado en pleine puberté.

- Salut Gerald, je ne t'avais pas vu ! Je lui ai refait sa salle de bain.

Le fait de se savoir nu devant nous ne lui sembla pas un problème, et sa pudeur égalait mes talents de Chippendales. Ce qui ravi aussitôt l'équipée. Le groupe était formé, ne restant plus qu'à passer à la seconde phase, mais non la plus simple. Et plus l'enthousiasme de Gaz crevait le plafond, plus je me rendais compte que nous étions sur la voie de notre connerie.

Les Hot Metal venait de naitre.

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