Déménagement - Partie 4

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 Tout occupés par le rangement et les allers-retours, ils sautèrent le déjeuner, si bien qu'ils étaient tous affamés quand Alexandre posa les derniers cartons dans le nouvel appartement en fin d'après-midi.

« - Bon on va vous laisser, annonça Cassius en frappant dans ses mains. On va se trouver un truc à grignoter tous les deux.

- Attends tu rigoles, l'interrompit Marie. Vous restez là, on commande des pizzas et on vous invite. C'est la moindre des choses.

- Tu es sûre ? Il va bientôt faire nuit. Vous voulez sûrement vous installer tranquillement sans qu'on soit dans vos pattes.

- Je suis prête à en venir aux mains pour t'empêcher de repartir d'ici le ventre vide gamin, le mit en garde Marie. Alex, tu es d'accord ?

- Quand tu aides à un déménagement, tu as le droit à une pizza et des bières, répondit ce dernier en croisant les bras. Désolé mon pote, c'est la loi. Sauf si Pénélope préfère rentrer.

- Mec, tu sais qu'il ne faut jamais dire non à de la bouffe gratuite, plaisanta la jeune femme en réponse au regard interrogatif de son petit ami.

- Tout le monde est d'accord c'est parfait. Marie tu t'occupes de retrouver la table basse au milieu de tout ce bazar, et moi j'appelle pour commander. Viande hachée et merguez ?

- Et n'oublie pas le supplément anchois ! »

 Les deux invités échangèrent une grimace, rapidement suivie par un sourire. Puis, voyant qu'Alexandre l'interrogeait d'un doigt tendu, Pénélope donna ses préférences :

« - Tout ce que tu veux, tant qu'il n'y a ni olives ni champignons.

- Pas de souci. Et toi Cassius, toujours...

- Fromage, fromage et fromage.

- Il faudrait pas que tu te réveilles intolérant au lactose un jour. Nickel. Une végé pour moi et on sera bons. »

 Une heure plus tard, les boites vides empilées sur la table, les quatre convives au ventre repu se laissaient gagner par la fatigue de la journée. Allongée sur le canapé, Marie était lovée en boule contre le flanc d'Alexandre, tandis que Pénélope, en tailleur au sol, était entourée par les jambes de Cassius, assis sur un pouf en cuir. Les deux femmes parlaient de leurs préférences en terme de films et séries, et les hommes disputaient une partie de cartes Magic.

 Soudain, Pénélope s'aperçut que Marie était étrangement silencieuse. Celle-ci s'était tournée dans le canapé, elle ne voyait plus que son dos et son épaisse chevelure rousse. Pénélope demanda à voix basse si elle s'était endormie et avant qu'Alexandre puisse répondre, elle vit que sa nouvelle amie venait de lui envoyer un sms :

S'il te plaît n'aies pas peur ma Penne Rigate.

 Immédiatement alertée par cette mise en garde, la jeune femme leva les yeux de son téléphone et poussa un cri de stupeur. Marie s'était à nouveau tournée vers elle, et son visage était complètement transformé. Son nez s'était allongé, sa lèvre supérieure était plus proéminente, et son philtrum bien plus prononcé. Ses yeux s'étaient élargis et avaient pris une teinte jaune pâle, et ses oreilles avaient doublé de taille et étaient taillées en pointe. Mais surtout, ses cheveux roux semblaient maintenant recouvrir l'intégralité de son visage, comme une véritable fourrure. La jeune femme avait désormais l'aspect d'un énorme chat. Elle tendit les bras vers Pénélope pour l'apaiser, mais la vue de ses mains poilues et griffues déclencha un nouveau cri de son amie. Marie se rencogna dans le canapé, tandis que Pénélope se levait d'un bond et s'eloignait au fond de la pièce, immédiatement suivie par Cassius.

« - Elle est... elle est... bafouilla-t-elle en pointant le canapé du doigt. Oh c'est pas vrai, qu'est ce qui lui est arrivé ?

- C'est rien, c'est rien, la rassura Cassius en lui caressant les épaules. C'est tout à fait normal. Elle va bien.

- Elle va bien ? Elle a des... Oh merde elle a des moustaches Cassius ! »

 En entendant cette phrase, Marie sursauta comme si elle avait pris un coup. Elle rapprocha encore un peu plus ses jambes de sa poitrine, et serra sa queue de chat, qu'elle caressa comme elle l'aurait fait avec une peluche. En apercevant ses yeux embués de larmes, Pénélope prit conscience de ce qu'elle avait dit. Elle se sentit effroyablement coupable, mais ne put se résoudre à se rapprocher à nouveau.

« - Je ne voulais pas... Est-ce qu'elle comprend ce que je dis, demanda-t-elle à Alexandre.

- Evidemment. Elle a parfaitement compris ce que tu pensais d'elle, répliqua ce dernier d'une voix glaciale.

- Je suis vraiment désolée. J'ai été si surprise ! Comment est-ce que j'aurais pu m'imaginer...

- C'est ma faute, intervint Cassius. J'aurais dû t'en parler.

- Parler de quoi, demanda Alexandre.

- De Marie et ses transformations.

- Tu étais au courant, questionna Pénélope sans quitter son amie des yeux.

- Tu n'as pas expliqué une chose aussi importante à ta petite amie avant de venir chez nous, s'exclama Alexandre. C'était évident qu'elle allait vriller !

- Ce n'était pas à moi de trahir votre secret, se défendit le jeune homme. J'ai tout fait pour qu'on parte avant que ça arrive, mais vous avez insisté pour qu'on reste !

- Je pensais que Pénélope était au courant ! Tu avais compris comme moi chérie ? »

 Marie regarda son invitée intensément de ses grands yeux jaunes quelques instants, avant de se détourner et de cacher son visage.

« - Marie, soupira cette dernière, je suis navrée. Je ne voulais pas te blesser. »

 Un gazouillis d'oiseau siffla dans sa main. Elle consulta son téléphone et lut :

C'est bon. J'ai l'habitude.

 Pénélope se froissa malgré elle de la méthode employée.

« - Vraiment ? Tu ne vas même pas me parler ?

- Elle ne peut pas, justifia Alexandre. Pas sous cette forme.

- J'ai été assez surpris d'à quel point elle était bavarde la première fois que je l'ai vue sous sa forme humaine après qu'elle soit passée plusieurs fois à la laverie, plaisanta Cassius pour détendre l'atmosphère.

- Elle dit qu'elle compense la journée, sourit Pénélope en lisant un nouveau message de Marie. Je ne savais même pas que vous vous étiez connus à la vingt-quatre quatre.

- Eh oui, on fait partie du côté bizarre de la vie de ton copain, éclaircit Alexandre.

- Et vous deux, vous vous êtes aussi connus là-bas ?

- Non, nous ça fait plus longtemps. C'est moi qui ai emmené Marie à la vingt-quatre quatre, la première fois.

- Et j'imagine que tu n'y allais pas que pour faire ton linge ?

- Tu comprends vite quand tu as toutes les informations, s'amusa Alexandre. Est-ce que je peux encore te surprendre si je fais... »

 Il se pencha en avant, rentra les épaules et baissa la tête quelques secondes, avant de la rejeter en arrière en la secouant, ce qui fit pousser deux cornes recourbées au sommet de son crâne. Ses oreilles se couvrirent de duvet, s'allongèrent et se firent tombantes. Tout le bas de son visage s'avança et ses narines s'élargirent considérablement. Dans ses yeux, on ne voyait plus que deux immenses pupilles noires. Ses pommettes étaient encore plus saillantes, et il était encore plus grand, plus musclé et plus imposant que quelques instants auparavant. Tout comme sa compagne, sa peau s'était couverte d'une fine fourrure brune.

« - ... ça ?

- Un minotaure ! Tu es un minotaure, s'exclama Pénélope avec un large sourire.

- Je ne m'attendais pas à un tel enthousiasme.

- Désolée, c'est l'étudiante en Histoire qui parle. Je vais avoir des tonnes de questions à te poser, tu sais. Mais en premier, pourquoi tu peux parler, et pas Marie ?

- On n'est pas exactement pareils. Je viens d'une longue lignée de garous. J'ai le taureau depuis que je suis gamin. J'ai appris à le maitriser. C'est pour ça que je peux me transformer comme je veux, et que je peux toujours parler, même sous mon apparence de garou. Marie, elle, est la première.

- Est-ce que ça veut dire ce que je m'imagine, demanda Pénélope à sa nouvelle amie. Tu as été... »

Mordue oui. Quand j'étais gamine.

 Pénélope se détacha de Cassius et traversa la pièce à pas lents, s'agenouilla devant le canapé, et après une seconde d'hésitation, posa sa main sur celle de son amie.

« - Encore une fois, je suis navrée d'avoir réagi comme je l'ai fait. Tu as dû en baver depuis toute petite, et moi j'ai sûrement remué pleins de mauvais souvenirs, alors que tu m'avais accordé ta confiance. Merci pour ça. Ça me touche beaucoup, tu sais ? »

 Marie se redressa dans le canapé et se rapprocha de Pénélope, pour lui déposer un bise sur la joue. La jeune femme gloussa au contact de la truffe et de la fourrure.

« - Tu chatouilles ! »

 La maîtresse des lieux la prit dans ses bras et enfouit son visage dans le creux de son cou. Pénélope dégagea son nez de la crinière rousse pour respirer, mais ne chercha pas à se libérer de l'étreinte, malgré son léger inconfort. Elle savait qu'elle lui devait ce calin pour se faire pardonner ses paroles indélicates. Elle reprit après quelques minutes :

« - Arrêtez-moi si je suis trop indiscrète, mais j'ai besoin de poser des questions pour assimiler. Tu as parlé de garous. Alors pourquoi un taureau et pas...

- Un loup ? Je sais, c'est un cliché qui a la vie dure. La vérité c'est que les garous peuvent prendre la forme de presque tous les animaux. Ça peut être en rapport avec ce qui t'a mordu, mais si tu le tiens de tes parents, c'est presque la loterie. Il y a pas mal de théories, de l'environnement à ton groupe sanguin, en passant par l'alignement des planètes avec la lune, mais moi je crois que c'est surtout du hasard.

- Donc la lune n'a rien à voir là-dedans ?

- Je dirais pas rien, nuança Alexandre avec une moue en se grattant le menton. Par exemple, Marie se change tous les soirs, peu importe comment est la lune. Mais c'est vrai qu'à la pleine lune, la transformation est plus intense, plus dure à maîtriser, même pour moi.

- Et toi Cassius, tu as déjà rencontré d'autres garous à la laverie ? Quelles formes tu as déjà vues ?

- Je peux bien t'en parler maintenant. Par contre tu sais que je donnerai pas de noms. En fait il y a une petite communauté dans la région, du coup j'en ai vu pas mal de différents. Des chiens surtout, des oiseaux, une souris et des lapins, une chauve-souris...

- Attends, tu es en train de me dire que les vampires existent aussi ?

- Oui les vampires, répondit Alexandre en mimant des guillemets d'un air agacé. S'ils étaient un peu honnêtes, ils s'accepteraient pour ce qu'ils sont. Des garous, comme nous autres. Mais il y a quelques-uns de ces connards qui ont décidé qu'ils étaient différents il y a plusieurs siècles, et maintenant ils restent entre eux dans leur petite caste de racistes. Putain, je suis bien content de pas être né avec une paire d'ailes ! »

 Pénélope se recula vers Cassius, légèrement effrayée par la voix grondante d'Alexandre. Marie passa une main apaisante dans le dos de son compagnon, qui resta néanmoins nerveux.

« - Désolé, je sais que tu ne pensais pas à mal, mais ça me crispe à chaque fois. Si tu es vraiment curieuse, je t'en parlerai une autre fois. Mais là, j'ai pas envie de penser à eux et de gâcher mon emménagement. J'ai besoin de me changer les idées. Qui est partant pour un petit jeu ? On doit bien avoir un truc qui se joue à quatre. Marie, un Dixit, un Code Names ou un Taboo ? »

 Sa compagne le regarda d'un air sombre avec les pupilles fendues. Elle leva la main gauche doigts écartés, puis sortit les griffes, avant de replier ses doigts, à l'exception de son majeur. Alexandre éclata de rire et l'embrassa sur le front en s'excusant.

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