Déménagement - Partie 2

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 En pénétrant dans la chambre, Pénélope découvrit qu'elle était à l'image de sa propriétaire : colorée, exubérante et accueillante. Le plafonnier lampion était entouré de serpentins multicolores. Des voilages roses encadraient la fenêtre, ainsi qu'une demi-douzaine de bouteilles et de bonbonnes en verre de toutes tailles suspendues par des cordes en chanvre, et qui accueillaient diverses plantes tombantes. Dans le coin, sur un pouf à billes élimé, cohabitaient de nombreuses peluches. Certaines semblaient avoir été achetées la veille, tandis que d'autres portaient les stigmates de longues années de batailles, jeux, bavouilles et calins dans les bras de la petite Marie. Un plaid en patchwork aux couleurs pastel servait de couvre-lit. Articles de papeterie et maquillage se disputaient l'espace du bureau, sur lequel reposait en équilibre un haut miroir ovale au cadre doré. Une série de polaroïds représentant Marie et Alexandre était coincée dans les bords du cadre. Tout autour, recouvrant presque l'intégralité du mur, des centaines de photos, tickets de concerts, trains ou cinéma, des articles de journaux ou de magazines, des dessins faits à la main ou des collages plus expérimentaux. Certains artwork avaient été encadrés, mais tout le reste était fixé de manière anarchique par des punaises, de la patafix, du scotch, des pinces à linge sur des ficelles, ou des élastiques tendus. Au fond de la chambre, une armoire au cadre en métal noir et aux portes en bois, peintes d'un motif de carpes koï, semblait avoir eu une indigestion et vomi des vêtements aux quatre coins de la pièce.

« - Je comprends mieux pourquoi vous changez d'appart. On a du mal à imaginer Alexandre se faire une petite place dans ton espace.

- De quoi tu parles ? Tout ça c'est ses affaires ! »

 Pénélope fouilla dans le tas de linge le plus proche et en sortit une robe courte à sequins dorée. Elle pencha la tête sur le côté et adressa un regard lourd de sens à Marie.

« - Il la porte pour me faire plaisir, se défendit cette dernière. Il sait que j'adore ses cuisses. »

 Les deux femmes rirent aux éclats et Pénélope lança la robe au visage de Marie.

« - Bon ça va peut-être te surprendre, mais d'après mon giant boyfriend, j'aurais soi-disant un peu trop de vêtements. C'est ridicule je sais. J'ai tout tenté pour lui faire entendre raison, on s'est disputés pendant des heures, j'ai crié, j'ai marchandé, j'ai pleuré, les étapes du deuil au complet, je vis un véritable drame. Ne lui répète surtout pas, mais à la minute où il m'a fait ce reproche éhonté, je savais qu'il avait raison. J'aurais dû faire le tri depuis des semaines, mais je ne pouvais pas me résoudre à jeter quoi que ce soit. Je ne pouvais pas faire ça à mes bébés chéris. Et puis j'ai ma conscience écolo et sociale. Je ne vais rien jeter si ça peut servir à quelqu'un. Et pile quand j'allais m'y mettre, Cassius nous a demandé s'il pouvait venir avec toi aujourd'hui, et je me suis dit, autant t'en faire profiter.

- Attends tu rigoles. Je ne suis pas venue pour te voler tes fringues.

- Tu me piques rien du tout, je te les donnes ! Vois ça comme ton salaire pour ton travail d'aujourd'hui, statua Marie en pliant un carton et en inscrivant dessus le nom de son invitée au marqueur. Ou mieux, dis-toi que tu me rends service en m'en débarassant. Tu m'évites un voyage au conteneur à vêtements. J'ai franchement la flemme de descendre tout ça jusqu'à la-bas. En plus, Cassius m'a dit que tu avais un sacré style, donc je suis sûre que tu trouveras ton bonheur dans ma garde-robe de rêve. »

 Pénélope rougit à ce commentaire, puis répondit en désignant son chino beige et ses converses :

« - Il a dit ça ? J'ai plutôt misé sur le confort aujourd'hui, mais pas trop quand même. Je voulais être présentable devant ses amis.

- Ma Penne Rigate tu es trop mignonne. Je sais que tu es toute jeune, mais nous ça fait longtemps qu'on a quitté le collège. On t'aurait pas jugée sur ta tenue.

- Tu sais, ça doit bien faire douze ans que j'ai eu mon brevet moi aussi. Avec mention s'il te plaît.

- Ouah comment elle se la joue ! Le brevet c'est facile, et le bac alors ?

- Mention très bien, filière HGGSP. 16,9 de moyenne, et 19 pour la spé histoire. »

 Tout en continuant de remplir son carton, Marie siffla d'admiration.

« - Ben dis donc t'es une sacrée tête ! Mais attends, pour quelqu'un d'aussi balèze en histoire, les dates c'est pas trop ton truc. Même si t'étais une surdouée, ça m'étonnerait que t'aies quitté le collège à dix ans.

- Ben non, quinze ans comme tout le monde, répliqua Pénélope un peu piquée au vif.

- Mais si ça fait douze ans, ça veut dire que tu as...

- Vingt-sept ans oui. Enfin vingt-huit dans deux mois. »

 Ce fut au tour de Marie de lui lancer un vêtement au visage.

« - Mais non, cria-t-elle. J'ai dit que tu étais mignonne ? Tu es magnifique ! C'est quoi ce teint ? Je suis trop jalouse, moi j'avais déjà des rides et des cheveux blancs !

- Une bonne hydratation, des bons gènes, et la couleur ça aide pour les cheveux blancs. Et c'est pas toujours cool de faire plus jeune, tu sais. Les rares fois où je sors, ça m'arrive de me prendre des regards de reproches quand je commande des cocktails ou des trucs plus forts.

- J'étais persuadée que vous aviez tous les deux vingt-deux ans. Eh Cassius, cria-t-elle vers la porte. Tu es au courant que tu sors avec une vieille ? »

 L'intéressée s'offusqua et les deux hommes rirent au salon.

« - J'en suis même plutôt fier, répondit-il.

- Petit saligaud tu t'es bien débrouillé ! À partir de maintenant je vais t'appeler gigolo, plaisanta Marie. Et ta maman elle en pense quoi ?

- Tu as fini avec ce carton ? » l'interrompit Pénélope, qui le saisit sans attendre de réponse et quitta la pièce avec.

 Cassius passa la tête par la porte et expliqua à son amie :

« - Tu as touché un point un peu sensible. »

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