15/ RETROUVAILLES ET PERTES : LANA

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Finalement, j’ai repris la route avec Matt, en moto. Avant de partir, nous avons eu une brève conversation dans le champ où il m’entrainait. Il n’a pas pris la peine d’expliquer ou d’excuser son comportement, mais ça n’est pas grave. Je suis trop en colère pour boire ses paroles et risquer de perdre ma détermination. Soit disant qu’il veut m’accompagner pour ma sécurité. Soit. Allons-y. Nous avons décidé de retourner chez Val, puis chez moi si besoin.

Nous pénétrons au ralentit dans la rue où habite Val. Contrairement à notre première visite dans leur maison, des dizaines de malaformes se pressent contre la clôture et le portail. Nous ne pourrons pas tous les tuer ; nous allons devoir trouver une autre option. Nous sommes contraints de revenir sur nos pas car les créatures nous ont entendus et se dirigent inévitablement vers nous. J’ai une idée ; je tapote l’épaule de Matt.

- On doit les attirer à l’écart pour libérer l’entrée. Ensuite, on file vers la plage et on prend les marches. Elles nous déposeront juste devant la maison.

- Je n’aime pas la plage.

- Matt !!!

- Je risque de nous y faire perdre un temps précieux. Les gens de mon espèce se sentent obligés de compter les grains qu’ils rencontrent, grains de riz, cailloux… Tu te souviens la première fois chez Val ? Je ne pouvais pas quitter le gravier des yeux. Et puis, je sens que je ne dois pas aller là-haut.

- Je n’avais pas remarqué que tu étais resté dehors. Bref, c’est une plage de sable, pas de galets ; de toute façon, il y a une autre rue un peu plus bas ; je suis certaine qu’on y trouvera notre passage.

Il n’est pas convaincu, - le contraire m’aurait étonnée puisque la solution ne vient pas de lui -, mais il remonte sur la moto et me désigne mon siège.

Nous avançons légèrement vers les malaformes qui se contentent de nous regarder sans pour autant venir à notre rencontre. Leur présence à cet endroit précis m’avait déjà surprise, mais leur attitude me laisse perplexe. Ce ne sont pas les maisons voisines qui les attirent, mais uniquement celle-ci. Qu’est-ce qui a bien pu les rassembler ainsi, mise à part une odeur humaine ou du bruit ? Il y a forcément quelqu’un à l’intérieur, j’en suis sure. L’espoir qui me submerge fait cogner mon cœur tellement fort que je respire avec difficultés.

Matt me ramène à la réalité en lançant des coups de klaxon stridents. Ca y est, les créatures réagissent et se rapprochent de nous ; nous revenons sur nos pas de quelques mètres seulement puis marquons une pause afin de leur permettre de nous suivre. Mon pilote répète sa manœuvre à plusieurs reprises, jusqu’à ce que plus aucun être ne déambule dans la rue. Reste à espérer qu’ils ne rebroussent pas chemin quand ils ne nous verrons plus. La moto nous conduit rapidement au pied des marches où nous sommes obligés de l’abandonner.

La pente est abrupte et je suis vite essoufflée, même si j’ai désormais une bonne condition physique. Le manque de sommeil et la malnutrition m’affaiblissent. Heureusement, Matt est très fort et il me permet de grimper sur son dos. Il pourrait bien accélérer le pas ; il en est capable, il me l’a déjà démontré. Mais pour une raison obscure, il semble prendre tout son temps.

Nous finissons tout de même par déboucher dans la rue où nous avons le champ libre. Notre stratagème a fonctionné ! Je me laisse glisser le long du dos de Matt, jusqu’à ce que mes pieds rencontrent le sol. La mince distance qui nous sépare du portail ne nous empêche pas de nous précipiter. Par chance, il n’est pas fermé à clés. Dès que nous l’avons franchi, nous marquons une pause pour tendre l’oreille, mais le seul bruit perceptible est celui des feuilles que le vent fait bouger dans les arbres. Il ne nous reste plus qu’une pente à grimper avant d’atteindre la maison. Matt préfère passer par le jardin pour éviter les graviers, tandis que je remonte l’allée qui mène aux places de parking.

Je n’entends toujours aucun son, puis un « plouf » retentissant déchire le silence. Il ne peut provenir que de la piscine ! Je cours jusqu’au bassin, la peur au ventre, mon sabre fermement coincé dans ma main. Mon sang ne fait qu’un tour quand je vois Matt flottant, inerte, au beau milieu ! Je crie, je l’appelle, il doit se réveiller, sortir de là ! Comme il ne réagit toujours pas, je saute sans réfléchir, l’attrape et commence à le ramener lentement sur le bord. C’est à ce moment que je les entends :

- Maman ! Maman ! Oh maman, c’est bien toi ?!

- Mes chéris ! Mes bébés ! Vous êtes tous là ! C’est incroyable, inespéré !

Je ris et je pleure de joie de les retrouver enfin ; ils ont l’air en bonne santé ! J’aperçois les larmes couler sur leurs joues. Je n’ai plus qu’une envie, les rejoindre et les prendre dans mes bras, les couvrir de baiser, les admirer. Je suis déchirée entre mon besoin de les chérir et le sauvetage de Matt. Je ne peux pas le laisser tomber. Pas après tout ce qu’il a fait pour moi. Pas après tout ce que nous avons partagé. Et puis je tiens à lui, je ne supporterai pas qu’il meure. J’accepte enfin le fait d’éprouver des sentiments pour lui.

- Mes amours, venez m’aider ! Vite !

Mes deux grands me rejoignent dans l’eau et m’aident à maintenir le corps à la surface. Les enfants de Val sont là aussi, ils nous attendent au bord pour nous aider à le hisser.

- Eloignez-vous tous ! Laissez-le se noyer, c’est un démon ! Je l’ai poussé dans la piscine car c’est le seul moyen de l’affaiblir.

- Non ! Il est avec moi ! Il ne fera de mal à personne, croyez-moi ! (C’est qui celle-là ?! On verra plus tard…).

Matt est maintenant étendu sur le carrelage. Il respire encore, mais son pouls est très faible. Il nous surprend tous quand il ouvre les yeux, le regard qu’il m’envoie est lourd de souffrance. Puis il se relève d’un bond, et atterrit de l’autre côté du bassin. Ses prunelles ont pris la couleur de la braise et ses canines dépassent de ses lèvres. Il est tel un fauve, prêt à se ruer sur ses adversaires.

La femme qui dit l’avoir poussé dans l’eau se met devant nous, face à lui, ses deux index tremblants pointés vers lui. Matt se met à transpirer à grosses gouttes, il vomit et sa peau devient rouge, comme quand on pique un fard ; ce phénomène est d’autant plus impressionnant que son teint est d’habitude si pâle ! Il me donne l’impression d’être sur le point d’exploser. La femme le pointe toujours de ses longs doigts, et elle murmure ces mots :

<< Asmodée,

Toi qui régis la colère,

Donne-moi la force de diriger la mienne,

Vers la personne que je pointerai bientôt des doigts.

Ainsi soit-il. >>

- Arrêtez ! Arrêtez, vous allez le tuer ! Vous ne comprenez pas que si je suis ici, c’est grâce à lui ?!

Rien à faire, elle ne m’écoute pas. Matt vacille, tombe ; il a bien failli se fracasser le crâne sur le bord de la piscine ! Je dois à tout prix empêcher cette femme de lui faire du mal ! Je ne peux pas le trahir encore une fois. Mon cœur et mon cerveau s’affolent de le voir dans cet état.

Je me jette sur la folle et l’entraine avec moi dans l’eau verte. Quand ma tête refait surface, mon premier regard est pour Matt, agonisant dans l’herbe. Je me précipite vers lui, mais il est dans un tel état qu’il recule d’un bond à mon approche ! Ses réflexes sont intacts, c’est déjà ça.

- Matt ! C’est moi, Lana ! Tu n’as pas peur de moi ; tu sais que je suis avec toi ; tu m’as rendue plus forte. Tu m’as tant apporté, à mon tour de t’aider. Matt ! Ressaisis-toi ! Viens, je vais te présenter mes enfants ; tout le monde va comprendre que tu es quelqu’un de bien.

- La sorcière ne me le permettra pas.

Sa voix est rauque, il tousse et crache du sang !

- Tu as raison, démon ! J’ai promis de veiller sur ces jeunes gens. Je n’ai qu’une parole, et c’est celle d’une sorcière !

- N’ayez pas peur, les enfants, vous ne craignez rien. Voici Matt. C’est en effet quelqu’un de différent de nous, mais puisque vous accepté l’existence de sorcières et de malaformes, vous avez l’esprit suffisamment ouvert pour faire la connaissance d’un vampire.

Matt tente de se redresser mais il est encore trop faible et son timbre reste sourd :

- Je ne suis pas un vampire !

- Tu es un Vétalâs !

- La ferme la sorcière ! Je prends l’entière responsabilité de ce qu’il peut arriver aux enfants à partir de maintenant. Tu as honoré ta promesse, tu peux disposer. Les grands, aidez-moi à transporter Matt sur le canapé.

Alors que nous avons atteint la terrasse et que le sofa n’est plus qu’à quelques pas, nous nous heurtons à un nouveau problème : notre blessé refuse de pénétrer dans le salon. Ne comprend-il pas que son attitude va jouer contre lui, que son caprice va être mal perçu par la sorcière ? Mais je crois le moment mal choisit pour laisser libre court à ma colère ; j’essaie de le rassurer en lui parlant avec douceur.

- Je ne peux pas entrer, Lana. Le propriétaire doit m’inviter.

C’était donc ça ! J’ai eu raison de conserver mon calme. L’ainé de Val autorise Matt à passer le seuil de sa maison, même si son regard appuyé me fait comprendre son inquiétude. Je vais devoir leur prouver à tous que Matt est quelqu’un de bien.

Je peux enfin serrer mes fils dans mes bras. J’ai envie de sauter de joie, de danser. Je ne veux plus jamais être séparée d’eux. L’image de mon mari vient cependant assombrir ma gaieté. Il devrait se trouver parmi nous pour partager cet instant. Mon regard croise celui de Matt ; je dois me forcer pour répondre à son sourire car je sais qu’un fossé va désormais se creuser entre nous. Je me détourne pour ne plus lire cette tristesse dans ses yeux, et pour que la pression sur mon cœur disparaisse. J’enlace les enfants de Val et de Clyselle ; quelle chance qu’ils soient encore tous sains et saufs ! J’ai presque du mal à y croire tant notre survie se complique de jour en jour. La peur au ventre, je m’enquiers du sort des hommes. J’ai droit à une nouvelle heureuse surprise quand j’apprends qu’ils vont bien eux aussi et qu’ils sont partis nous chercher dans la maison des démons. Comme Clément doit être déçu que j’en sois partie !

Je découvre qu’ici ils se sont organisés, tout comme nous. Ils passent d’un jardin à l’autre pour cueillir les fruits dans les arbres, ils récupèrent des bouteilles et des conserves chez les voisins, se relaient pour aller pêcher sur une barque abandonnée au port. Ils sont allés à la rivière chercher de l’eau claire. J’en suis ravie, je vais pouvoir me nettoyer et me séparer de l’odeur nauséabonde dont je suis enveloppée. Nous en avons tous besoin après avoir goûté l’eau de la piscine de près ou de loin.

La sorcière a disparu. Quand j’interroge les enfants à son sujet, ils m’informent qu’elle s’appelle Sandrine, et que c’est grâce à son sort de localisation qu’ils ont enfin déniché la maison introuvable qui nous abritait. Je découvre que la jeune fille qui l’accompagne est sa fille, et qu’elle a hérité des dons de sa mère, même si elle en est encore au stade d’apprentissage.

- Deux sorcières ! Vous ne m’en voudrez pas de vouloir rentrer chez moi. Je me sens plus à l’aise avec mes colocs démons.

Matt va beaucoup mieux. Sa peau est redevenue blanche, pas encore autant que d’habitude, mais ça va venir. Ses yeux ont retrouvé leur éclat, et sa voix a retrouvé son timbre. Il redevient sarcastique, c’est bon signe.

Je le laisse avec les enfants et pars à la recherche de Sandrine et de sa fille. J’ai l’intention de leur expliquer qu’il est aussi humain qu’elles et moi.

Je les trouve dans l’une des chambres, où elles ont allumé des bougies et font brûler de l’encens.

- Je ne viens pas te faire de reproches. Pour le bien de tous, nous devons nous comprendre et nous parler.

- Je suis toute ouïe.

- La maison de Matt a bien abrité des démons. Mais il s’agit des ancêtres de la famille, qui ont disparus depuis longtemps. Matt, son frère et sa sœur nous ont sauvés la vie, il m’a formée à la survie, et suivie dans toutes mes recherches. Il m’a amenée jusqu’ici. Tu trouves cela dangereux ?

- Ils se nourrissent de sang !

- Ils mangent la même chose que nous aussi. S’ils consomment parfois du sang, c’est uniquement pour conserver les avantages dus à la particularité génétique de leur propre sang. Et surtout, ils ne tuent pas les humains ! Ils luttent au contraire contre le mal. C’est quelqu’un de bien que tu as voulu tuer.

- C’est le devoir des sorcières. Du sang de Vétalâs coule dans ses veines.

- Je ne sais pas ce que c’est.

- Dans ma culture ce terme désigne les vampires. Je ne peux pas cohabiter avec cette calamité.

- La calamité est celle qui nous attend dehors. Et je sais comment elle est née. Le devoir des sorciers est aussi de ramener l’équilibre, je me trompe ? Les avantages que possède Matt peuvent t’y aider, j’en suis certaine. Vas lui parler, s’il te plait.

- Cela va à l’encontre de mes convictions.

- Ne veux-tu pas éliminer jusqu’au dernier des malaformes ? Contribuer à ramener la vie sur terre ? Plus nous serons nombreux, meilleurs serons nos chances.

- Il t’a hypnotisée. Tu le protège, tu le nourris ; je vois ton cou. Quel humain se laisserait volontairement mordre ainsi ?

- Tu te trompes. J’ai provoqué la première morsure. Nous nous sommes disputés à propos des mystères qui l’entouraient. Il était frustré de ne pas parvenir à m’expliquer, alors il m’a montré. Mais il est parvenu à se contrôler. Ensuite, il a réussi à me raconter. Nous nous comprenons, nous nous soutenons, j’ai besoin de son aide et de sa force. Je ne veux pas le perdre. Je te demande juste de lui parler, pas de l’apprécier.

- Tu le perdras, inévitablement. Tu ne m’as convaincue qu’à moitié, mais toi tu l’es tellement que ça excite ma curiosité. Je vais donc faire un effort, j’ose espérer qu’il en fera de même. Je te suis.

Nous sortons de la chambre où elle a ordonné à sa fille de rester à l’abri.

Matt se redresse en m’apercevant et s’apprête à venir à ma rencontre. Il exécute un bond en arrière lorsqu’il découvre Sandrine derrière moi. L’inquiétude et la rage se dessinent sur ses traits, et ses canines ont refait leur apparition. Il se tient raide comme un piquet, attentif au moindre signe d’agressivité. La sorcière s’est arrêtée. Elle le toise avec intensité, surveillant elle aussi les réactions et gestes de son ennemi.

- Je viens à toi pour juger ton honnêteté et ta sincérité. Je ne t’attaquerais pas, à moins que tu ne m’y oblige. Puis-je t’approcher ? Lana m’assure que tu ne l’as pas hypnotisée. Permets-moi d’en juger.

Matt m’interroge du regard, j’acquiesce de la tête. J’espère pouvoir avoir confiance en elle ; après tout, Clément et les autres l’ont bien acceptée dans leur groupe.

Elle repousse canapés et table basse et trace un cercle à l’aide d’une craie, puis, seule à l’intérieur, cite les quatre points cardinaux : Est, Sud, Ouest et Nord. Elle allume ensuite de l’encens, un parfum que je ne connais pas et commence à réciter ce qui ressemble beaucoup à une poésie :

<< J’invoque le gardien de la tour Est,

Celui qui garde les cieux et gouverne l’air.

Je t’invite à te joindre à ma célébration

Et à protéger le périmètre de ce cercle. >>

Elle répète la même opération au Sud, une bougie rouge allumée pour le gardien du feu sacré qui gouverne l’élément, puis à l’Ouest où elle dépose un bol d’eau pour le gardien et gouverneur des eaux sacrées, et enfin au Nord où elle jette une poignée de sel pour la terre. Elle se déplace maintenant à l’intérieur de son cercle, marquant une pause devant chaque point.

Matt a reculé, incertain de ses intentions. Elle lui fait signe d’approcher et le stoppe avant qu’il ne puisse franchir le trait de craie.

Elle pose une amande à ses pieds et allume une bougie argentée, tout en plongeant son regard dans celui de Matt :

<< Toute la vérité n’est pas bonne à dire,

Mais celle-ci doit jaillir.

Il est temps de tout révéler,

Ainsi soit fait. >>

Elle presse ensuite un demi-citron sur l’amande, se munit de la bougie et ferme les yeux. Je crois qu’elle se concentre. Quand elle regarde Matt de nouveau, elle semble ne plus voir que lui, nous avoir oubliés. Elle souffle la flamme vers lui.

- As-tu hypnotisé Lana ?

- Non.

- Pourquoi ?

- Je n’en ai pas besoin ; elle est la seule à bénéficier de toute ma confiance.

- Pourquoi ? Comment l’a-t ‘elle obtenue ?

- Je n’en sais rien ! J’ai confiance en elle et elle a confiance en moi, c’est tout !

- La vérité ! Comment a-t ‘elle obtenu ta confiance ???

Ses jambes tremblent, il se prend la tête entre les mains, soupire ; il trépigne d’impatience et de rage.

- Elle est sincère, honnête. Elle est forte, compréhensive, elle a l’esprit ouvert. Et surtout, elle est la personne la plus humaine que j’ai jamais rencontrée ; elle m’a accepté avec mes nombreux défauts de vampire, sans que j’aie besoin de l’y contraindre ! Ça te va comme explication ou je dois aller plus loin ???

Il s’est mis debout pour lui cracher ses révélations avec dédain.

- Non, hum, ça ira. Te nourris-tu de sang ?

- Parfois, lorsque je sens que mes pouvoirs diminuent. D’ailleurs, j’ai bien envie de te mordre en ce moment !

- N’y pense même pas. Vides-tu les humains dont tu t’abreuves jusqu’à ce qu’ils meurent ?

- Non ! Quelques gouttes me suffisent. Je mange comme toi, Lana et les enfants !

- Pourquoi aides-tu les humains ?

- Je suis humain ! J’ai tué mon père vampire qui avait tué ma mère humaine ! Tu es une sorcière, tu sais parfaitement ce qu’est un enfant de vampire, alors réfléchit un peu et tu auras ta réponse !

- Je répète, pourquoi aides-tu les humains ?

- Ça suffit ! Tu es en train de jouer avec lui ! C’est ridicule !

J’essaie de m’interposer, de faire comprendre à Sandrine qu’elle le pousse à bout et que tout cela risque de mal finir ; sans succès, elle est vraiment en transe et concentrée sur Matt.

- Répond !

- Je vis parmi les humains ; tu as tes dons, j’ai les miens ; cela ne nous empêche pas d’être humains nous aussi !

- Je ne mords pas les gens. Que fais-tu de ta vie ?

- Tu ne mords personne, mais tu as essayé de me tuer ! Et en ce qui concerne ma vie, il y a peu de temps encore, je n’en faisais pas grand-chose, je profitais, je m’amusais ! Stop ! Arrête !

- Donc tu ne t’amuses plus ?

- Oui ! Non ! Former et aider Lana est ce que j’ai fait de mieux de toute ma vie ! Oui, j’y ai pris plaisir, mais j’ai eu peur pour elle aussi ! Elle a provoqué des sentiments que je ne connaissais pas, elle m’a raconté sa vie, bien plus intéressante que la mienne ! Elle m’a permis d’imaginer un avenir ! Jamais personne ne m’a apporté autant ! Arrête ça, s’il te plait. Toute la vérité n’est pas bonne à dire, tu l’as récité toi-même ! Mais je vais te dire une autre vérité : j’ai répondu à tes questions, maintenant c’est terminé. J’en ai assez.

- Il a raison. Je pense que tu devrais le laisser tranquille maintenant car tu vas trop loin.

- J’ai entendu ce qu’il a réussi à garder pour lui ; je ne suis pas idiote. Je sais où ne pas mettre les pieds.

Son regard lourd de sous-entendus me glace les veines. J’ose encore espérer que ses facultés lui ont permis de comprendre, mais que les enfants ne trouveront pas de sens caché à cette discussion

Elle lève la bougie à hauteur de sa bouche et souffle la flamme en direction du ciel. Elle fait de nouveau le tour de son cercle, mais dans le sens inverse .

<< Je remercie l’univers pour ce cercle,

Je remercie l’Est, le sud, l’Ouest et le Nord.

Je remercie les divinités et les esprits

Et je renvoie cette énergie d’où elle provient.

Tout est maintenant comme auparavant. >>

Elle enferme l’amande dans une boite vide, qu’elle va enterrer au pied d’un multipliant.

Matt reste silencieux ; nous le sommes tous, une lourde gêne s’est installée. Il observe la sorcière, tandis que les enfants et moi le regardons. Enfin, il tourne la tête vers moi :

- J’ai un truc à faire ; à plus tard.

- Je t’accompagne.

- Non ! J’ai juste besoin de prendre l’air.

Son ton est ferme, il me gronde. Il semble m’en vouloir, mais j’ignore encore une fois pourquoi. Un effet de son caractère lunatique, je devrais y être habituée. Néanmoins, je ne suis pas sereine. Je le rappelle.

- Fous-moi la paix, Lana ! Ma mission est terminée ; tu as retrouvé tes enfants, et ton mari va arriver. Profite de ta famille et oublie-moi.

Son regard est dur, à la hauteur de ses paroles qui me déchirent le cœur. Je n’avais jamais songé que l’issue de nos recherches déclencherait notre séparation. Carole avait raison, il va en souffrir. Et comme je l’ai dit à Sandrine, je ne veux pas le perdre. Je ne peux pas le laisser partir ainsi. Il est tellement imprévisible qu’il pourrait commettre l’irréparable. Je m’excuse auprès des enfants et me précipite à sa suite. Il s’arrête dans l’herbe, devant la remise.

- Ne fais pas ça, Matt ! Tu ne peux pas t’en aller sans que nous n’ayons éclairci quelques points.

- Je n’ai plus rien à faire ici.

- Alors explique-moi pourquoi tu as accepté que Sandrine exerce ce sort de vérité sur toi ?

- Un nouvel interrogatoire ? Pfft, toi et ton éternel besoin d’explications ! Vas donc voir ailleurs si j’y suis.

- Que fais-tu encore là si tu ne veux plus me voir, me parler ?

- Je ne comprends pas en quoi il est si important pour toi que je reste ! Tu n’as plus besoin de moi.

Nous nous observons un long moment, en silence. Je crois qu’il attend que je dise quelque chose, mais cela m’est impossible. Il m’est inconcevable d’abandonner ma famille et il n’y a pas de place pour lui dans ma vie.

Le moment que je redoutais est arrivé.

- Adieu, Lana.

J’explose alors qu’il prend son élan et file plus vite que l’éclair. Je tombe à genoux en hurlant, terrassée, poignardée en plein cœur.

Ils m’ont tous rejointe ; ils me regardent, tandis que mon grand garçon m’examine, cherchant à trouver où je suis blessée. Je ne peux plus cesser de crier, mes deux mains sur le cœur. Mon fils m’allonge délicatement sur le dos et tente de dégager ma poitrine, toujours à la recherche d’une plaie. Puis j’entends Sandrine :

- Tu as bien fait de le laisser partir, Lana ; pour son bien, pour le tien, et pour le nôtre aussi. Il n’y a aucun avenir pour vous, vous en êtes conscients l’un comme l’autre. Tom, ta mère souffre de l’intérieur. Seul l’amour des siens pourra la soulager.

- Maman, de quoi parle t- elle ?

Mes braillements ont cessé ; je sanglote toujours légèrement, autant que me le permettent le peu de forces dont je dispose encore.

Consciente du spectacle que je viens d’offrir aux enfants, je les laisse me mener jusqu’au canapé, celui-là même où était assis mon amant quelques instants plus tôt. Mais je dois penser à ma famille maintenant. Pour ceux qui m’aiment, je dois être capable de l’oublier.

Sandrine et sa fille ont posé de quoi grignoter sur la table. Elles m’invitent à reprendre quelques forces, mais je voudrais juste dormir et ne plus me réveiller. Non, je ne peux pas dire ça, car je veux profiter de mes enfants. Et retrouver Clément. Retrouver un semblant de vie ! Mais surtout oublier ! J’ai trop mal ! Je suis vide, et j’en ai honte.

- Les malaformes sont revenus devant le portail.

- Je les entends. Ils sont plus nombreux qu’avant. Tu pourrais utiliser sur eux le sort que tu as lancé à Matt pour le tuer.

- Ce sort ne permet de tuer qu’une seule créature à la fois. Vu la quantité qui s’est agglutinée, je mourrai moi-même avant d’en être venue à bout. Et quitte à y rester, autant que ça soit pour ramener l’équilibre sur toute la terre. J’ai besoin de réfléchir ; cette nuit, je monterai la garde, je dormirai demain.

- Maman, quand crois-tu que papa et les autres vont arriver ?

- Demain, je pense. Je l’espère en tout cas.

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