Chapitre 5

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« Il y a des jours où on ferait mieux de rester couché ! »

Mathias allait souvent se répéter cette phrase tout au long des quatre années qui allaient suivre. C'est ce qu'il pensa très fort ce jour-là en écoutant le discours du vieux maréchal. L'ancien héros de Verdun annonça de sa voix chevrotante qu'il faisait don de sa personne à la France et livrait le pays aux vainqueurs. Le vieux gâteau ordonnait aux Français de se soumettre et de cesser les combats. Les Allemands devenaient ainsi les maîtres et le coq gaulois n'avait plus qu'à rentrer dans sa basse-cour pour ratisser la fange ! Tout ressortissant britannique devenait un ennemi à abattre, puisque le Royaume-Uni, galvanisé par un roi qui n'entendait pas la défaire, continuait le combat. La mère de Mathias étendit sa main, coupa le bouton de la TSF et déclara sans détour :

― Je t'interdis de livrer ce jeune homme ! Il tient à peine sur ses jambes.

― Tu veux que je désobéisse ?

― Je veux que tu suives ta conscience ! Tu as sauvé cet homme, tu es responsable de sa vie ! Qui peut dire ce qu'ils vont lui faire ?

― Le mettre dans un camp de prisonniers et le renvoyer chez lui.

― Il a besoin de soin, et tu le sais. S'ils l'envoient dans un affreux camp de prisonniers, il mourra. Mon frère a été fait prisonniers en 1917, il m'a raconté comme il a été traité. Je sais ce dont ils sont capables, et toi aussi, Mathias ! Tu as les combattus en Espagne. Crois-moi, les Allemands ne valent pas mieux que les soldats de Franco ! Si nous leur livrons l'Anglais, ils le tueront ! Nous sommes chrétiens, nous devons le protéger !

Mathias ne répondit pas et alluma une cigarette qu'il s'en alla fumer à la fenêtre. Les vélos et le matériel agricole qu'il devait réparer s'entassaient dans la cour, plus quelques voitures appartenant aux réfugiés qui avaient déferlé dans la région avec la débâcle. Depuis qu'il était revenu d'Espagne, Mathias avait pris la suite de son père au garage et le travail ne manquait pas. Au Clion, on voyait plus souvent passer des tracteurs que des Delages mais avec l'exode, la tendance commençait à s'inverser. Et maintenant, qu'allait-il arriver ? D'après le Maréchal, les prisonniers allaient revenir et tout serait comme avant, mais Mathias sentait que c'était faux. Combien de soldats et de civils avaient péri sous les bombardements de cette guerre éclair ? Combien d'enfants orphelins ou perdus sur les routes ? Combien de familles déchirées en exil aux quatre coins de la France ? L'armistice avait été signée à Rethonde et les combats avaient cessé sur le sol de France, mais la guerre n'était pas finie pour autant. Elle ne faisait que commencer, Mathias en eut la certitude. Si une grande majorité de Français trouveraient plus facile la collaboration, d'autres, heureusement, refuseraient de se soumettre et continueraient le combat, les armes à la main. Ce serait un combat clandestin contre une autorité de vendus !

Les pays des lumières sombrait dans la noirceur. Elle ne faisait que récolter les fruits des graines qu'elle avait semées. En livrant l'Espagne à Franco, elle avait signé son appartenance au totalitarisme. Il était logique qu'Hitler en profite.

Mathias s'était battu pour une cause perdue ! Pourquoi se battrait-il encore ? Il lui suffirait de livrer le rescapé et on lui ficherait la paix. Peut-être même oublierait-on son passé. Il était rentré d'Espagne marqué au fer rouge : Le Coco ! L'Espingouin ! Le Rouge ! C'est ainsi qu'on ne nommait. Mais Mathias se fichait de la politique. Il n'avait été en Espagne que pour protéger la liberté d'un peuple.

― Monte-lui une assiette de matelote, l’interpella sa mère en le tirant de sa rêverie, il doit être affamé !

Mathias quitta sa fenêtre en soupirant, prit l'assiette et monta à l'étage. Avec l'envahisseur qu'il allait falloir nourrir, les restrictions n'allaient pas tarder, et il faudrait encore partager avec un parasite. Il pouvait tourner la question dans tous les sens, la solution était de livrer l'Anglais, pourtant il savait qu'il ne le ferait pas.

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