"Je ne te dirais pas à l'été prochain"

4 minutes de lecture

Dès le lendemain, après qu’Apolline eut émergée d’une bonne nuit de sommeil, elle retourna dans la salle de bain se préparer. Ce dimanche midi verrait le traditionnel repas en plein air : dernière festivité de la fête des guides. Elle sortit sa trousse de maquillage qu’elle avait laissé au fond de sa valise. Mélia lui avait laissé une jolie robe rose fleurie « pour les petits événements mondains à la montagne » avait-elle dit avec un clin d’œil. Elle entendit ses parents l’appeler mais elle leur proposa de partir devant : elle les rejoindrait là-bas. Elle choisit une paire de sandale compensée dorée et elle appliqua une touche de parfum dans ses cheveux brun.

Elle sut qu’elle avait réussi son pari quand elle vit qu’elle attirait les regards à mesure qu’elle se faufilait entre les stands de nourriture. Elle aperçut Pierre qui avait gardé sa barbe de quelques jours. Elle trouva très vite celui qu’elle cherchait : le fils du maire, David. C’était un jeune homme d’une vingtaine d’années qui travaillait dans la vallée. Elle l’avait vu lors de la fête nationale et ils avaient sympathisé.

— Tu es magnifique ! la complimenta-t-il avant de lui proposer un verre de génépi.

Elle savait pertinemment que Pierre n’appréciait pas David. Les deux jeunes hommes s’étaient côtoyés dans leur jeunesse et Pierre considérait qu’il n’était qu’un écervelé hypocrite. Ecervelé ou non, David était devenu ébéniste. Elle avait décidé de n’être que frivolité en ce jour et Davis l’aiderait pour cette mise en scène.

Après avoir grignoté quelques morceaux par-ci par-là, et alors qu’un groupe local entonnait des chants savoyards, elle accepta l’invitation à danser de David. Elle surprit plusieurs fois le regard sans expression de Pierre sur elle. Aussi, décida-t-elle d’accentuer le jeu auquel elle se prêtait. Ne devait-elle pas lui donner raison sur sa vanité ? Elle sourit à son partenaire de danse, rit de bon cœur et lui accorda une bise appuyée à la fin de la chanson. Elle devait maintenant quitter la fête car son taxi arriverait à seize heures au chalet et elle avait encore quelques affaires à ranger.

Elle se changea pour enfiler un legging noir et une longue tunique beige, ce qui serait plus approprié à un voyage de plusieurs heures en TGV. Elle avait avancé son départ de quelques jours pour ne plus ressentir l’amertume de la veille. Préhaumont lui était devenu étouffant, inconfortable. Elle griffonna un mot à ses parents qu’elle laissa en évidence sur la table du salon et sortit dehors attendre son taxi.

Elle s’assit sur un muret, valise à ses pieds, et contempla une dernière fois les sommets dans la lumière de l’après-midi. Son cœur était lourd et oppressé comme jamais il ne l’avait été ici.

Alors qu’elle apercevait enfin le taxi sortir du dernier virage avant le chalet, Pierre arriva également à ce moment-là. En quelques coups d’œil, il comprit la situation. Il hocha la tête et déclara :

— Chaque chose a sa place.

— C’est peut-être pas plus mal comme ça, non ? rétorqua-t-elle alors que le taxi se stoppait devant elle.

— Effectivement.

Le chauffeur du taxi chargea les affaires d’Apolline dans le coffre du véhicule. Elle s’apprêtait à ouvrir la portière arrière droite quand Pierre s’exclama :

— Je ne te dirais pas à l’été prochain !

La main d’Apolline s’attarda sur la poignée de la porte. A chaque fin d’été jusqu’ici, avant qu’elle ne remonte dans la voiture de ses parents, Pierre et elle avaient une sorte de rituel : pas d’effusions mais juste un « A l’été prochain ! » comme si ce n’était qu’un simple au revoir et qu’ils se retrouveraient très prochainement. Elle tourna la tête vers lui et reprit :

— J’ignore ce qu’il est advenu de toi Pierre. J’espère que tu retrouveras cette partie de toi que tu as perdu.

Elle grimpa dans le taxi et claque la portière derrière elle pour ne pas entendre sa réponse. Elle se força à garder les yeux sur le compteur du taxi et pleura après plusieurs kilomètres parcourus.

*

* *

Pierre observa le taxi s’éloigner, l’esprit occupé par les derniers mots d’Apolline. Cette fille qu’il ne voyait qu’à peine deux mois par an venait de lui balancer au visage une vérité accablante. Qui était-elle pour l’atteindre ainsi ? Que savait-elle de sa vie ? Il se rappelait cette petite fille qui au fil des étés devenait plus dégourdie avec les activités à la montagne. Quand il avait été suffisamment âgé et responsable, il l’avait entraîné avec lui sans leurs parents. Depuis qu’il avait commencé ses études à Lyon, sa présence diminuait l’été à Préhaumont, mais l’année dernière encore ils s’étaient retrouvés sans heurts. Pourquoi était-elle partie en vrille au lac du point du jour quand il l’avait retrouvé ? Eux qui avaient l’habitude d’avoir la conversation facile n’avaient pas échangé un seul mot sur le trajet du retour. Quant à la façon de se donner en spectacle avec David un peu plus tôt, il ne la reconnaissait plus du tout. Combien de personnes traversent l’adolescence et le lycée et deviennent superficielles ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire DoubleLL ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0