Un été pas comme les autres

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Apolline sortit de la voiture et s’étira longuement en respirant l’air pur. Voilà dix mois qu’elle n’avait pas mis les pieds à la montagne. Dix mois qui virent passer son année de terminale, l’obtention de son bac scientifique, et un début d’idylle avec Clément.

Le garçon habitait le seizième arrondissement lui aussi, et ils se connaissaient depuis la classe de seconde. S’ils avaient d’abord été amis, ces derniers mois ils s’étaient beaucoup rapprochés sans pour autant franchir le pas. « Le bac » était leur excuse commune auprès de leurs amis. Puis il y avait eu cette fête de fin d’année entre amis, l’ambiance chaleureuse et festive liée à la satisfaction d’avoir obtenu le sésame ouvrant les portes des études supérieures. Quelques baisers échangés, et Clément était parti pour un stage linguistique aux Etats-Unis.

Ils ne s’étaient rien promis hormis de se retrouver après le quinze août à la capitale : quand lui serait rentré et qu’elle reviendrait à Paris suivre un stage de pré-rentrée en PACES[1]. Son père la sortit de ses pensées en lui confiant un lourd bagage. Elle ronchonna faussement pour amener le sac jusque dans le chalet familial. Sa mère était déjà à l’œuvre, aérant et nettoyant les lieux. Apolline eut beau lui dire que la personne qu’ils employaient durant leur absence l’avait certainement fait la veille de leur arrivée, sa mère n’entendit rien.

Dès que la voiture fut déchargée, Apolline abandonna ses parents pour se promener dans le petit village. Elle venait tous les étés à Préhaumont depuis ses quatre ans en compagnie ses parents, professeurs universitaires à la Sorbonne. Ces derniers avaient besoin de déconnecter totalement pendant cette période.

Elle ne les accompagnait plus pendant les fêtes d’hiver depuis quelques années car elle préférait rester avec ses amis sur Paris. Constatant que rien n’avait vraiment changé depuis l’année dernière, elle continua son chemin et passa devant le magnifique chalet de la famille Schaeffer. Il était situé dans un quartier exclusif, à flanc de montagne, et surplombait tout Préhaumont. Il offrait une vue spectaculaire sur la vallée avec ses larges baies vitrées. Les matériaux avaient été choisis dans le respect du charme savoyard : charpente en pin, bourne, toiture en lauze, cheminée en pierre.

Marius Schaeffer était gendarme de hautes montagnes, et guide de montagnes sur son temps libre. Karen Schaeffer était notaire et exerçait dans la vallée. Le couple avait un fils : Pierre Schaeffer. Trois ans plus vieux qu’elle, ils avaient l’habitude de se retrouver l’été à Préhaumont. Randonnées pédestres ou en VTT, escalade, rafting, parapente, ils passaient les congés d’été toujours fourrés l’un avec l’autre depuis leur plus jeune âge. Huit semaines à réinventer le monde, à vadrouiller de pics en pentes, avant le silence de dix mois. C’était une ancienne promesse d’enfants : deux mois à se voir tous les jours puis dix mois dans le silence. Ils avaient continué ce schéma malgré les technologies de communication qui n’avaient cessé de croître à mesure qu’eux aussi grandissaient. Pierre était en faculté de droit et si tout c’était passé comme prévu, il devait avoir obtenu sa licence en juin.

— Apolline ! héla Mme Schaeffer en sortant d’un massif de fleurs. Quelle magnifique surprise ! Vous êtes enfin arrivés !

Apolline se retourna, la salua et répondit à ses nombreuses questions. Au détour de la conversation, Mme Schaeffer lui apprit que son fils était encore à Lyon.

— Il effectue un stage de juriste dans un cabinet d’avocat, précisa-t-elle. Il ne devrait venir à la montagne que pour mi-août.

— Mi-août ?

— Tu l’ignorais ? Vous n’en avez pas parlé ?

— Nous ne parlons pas beaucoup en fait.

— Oh bien sûr les emplois du temps ne coïncident pas toujours pour se parler au téléphone, mais vous auriez pu échanger un SMS, ou mail, non ?

Apolline opina avant de s’excuser pour reprendre sa balade. Alors qu’elle s’éloignait déjà, Mme Schaeffer lança :

— Dis à tes parents que vous pouvez venir déjeuner demain midi ! Je dois me rendre à l’étude toute la semaine prochaine, je ne serais pas ici.

La jeune femme rentra donc et monta directement dans sa chambre d’été. Elle s’assit sur le sol, le dos contre son lit et réfléchit à un nouveau constat : l’enfance s’en était bel et bien allée. Elle soupira en mémoire des souvenirs bénis. Après tout, à quoi pouvait-elle bien s’attendre ? Elle-même regagnerait la capitale pour le vingt août. Licence en poche, Pierre avait inévitablement des prérogatives différentes que lorsqu’ils étaient tous les deux adolescents. Tout ici était pourtant resté à l’identique, mais n’était-ce qu’un décor ? Comme un ancien vêtement qui devenait soudain trop étriqué ?

Ce soir-là, elle se coucha tôt afin de pouvoir se lever aux aurores, s’équiper comme il le fallait pour reprendre les randonnées. Tant pis pour Pierre, elle continuerait le programme habituel de vacances, seule.

[1] Première année commune aux études de santé

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