Le temple enfoui

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On avait prévenu Philéas Mordent des mirages du désert blanc de Kseth, pourtant le jeune assistant ne se lassait pas du paysage hypnotique des dunes couleur crème. Parfois des monts rocheux s’extirpaient des buttes, érodés par le vent et le sable qui s’écoulaient entre les failles comme des cascades poudreuses. Malgré la chaleur, la soif et la fatigue, Philéas ne regrettait en rien sa décision de quitter les bancs de l’université pour la somptueuse, inénarrable Kseth.

Alors qu’il portait sa gourde d’eau fraîche à ses lèvres — pas plus de trois gorgées par jour, recommandait sèchement Otar, le guide — Philéas perdit son regard à travers les étendues de sable qui n’avaient de blanc que le nom. Cela dit, il reconnaissait que l’appellation n’était pas totalement mensongère : les premières lueurs du jour voilaient le désert d’un halo doré qui donnait à Kseth l’aspect d’un lit de diamant scintillant. Philéas se demanda alors si des voyageurs imprudents avaient un jour confondu les dunes avec un amas de pierres précieuses. Si tel fut le cas, les pauvres moururent sans aucun doute de folie doublée de sécheresse. Le désert ne pardonnait pas aux inconscients et aux égarés.

― Philéas ! s’exclama une voix dans son dos. Regarde cette montagne ! On la surnomme le Visage de Nephris, la déesse de la poésie et du foyer. Vois-tu la forme de la roche imitant le front, le nez et la bouche ?

Le jeune assistant hocha le menton. Cet homme, c’était son professeur, l’éminent Cleveland Hammer. Respecté par ses pairs et par ses élèves — surtout Philéas — il faisait partie des plus grands experts du Congara et de la culture Morab. Certains gloussaient qu’il avait la tête de l’emploi avec ses yeux écrasés par les rides cerclés de lunettes rondes qu’il rehaussait sans cesse, de ses cheveux poivre et sel auxquels il accordait peu d’attention, de ses chemises mal repassées aux motifs d’une autre époque. Hammer justifiait cette négligence par le fait qu’aucune femme ne l’attendait à son appartement, et selon ses dires il n’avait point le temps pour ses simagrées ! Le travail l’emportait avant tout, pourtant il aurait bien besoin d’une délicate attention pour écarter les miettes de pain s’accrochant parfois à sa barbe, ou simplement l’inciter au repos au lieu de passer la nuit dans la bibliothèque de l’université.

Philéas était très fier d’appartenir au cercle très fermé de ses étudiants. En effet, Hammer préférait largement s’adonner à la recherche et dispensait peu de cours, sélectionnait ses disciples à base de critères très sévères que lui seul connaissait. Pour l’impressionner, Philéas apprit la langue congaroise en un temps record et avec beaucoup d’efficacité. Ses efforts payèrent, car non seulement il intégra les rangs de l’université, mais fut également l’heureux élu chargé d’assister le professeur en tant que traducteur. Une occasion unique que Philéas saisit sans hésitation.

L’arrivée à Memtun, la capitale, se déroula sans anicroche, mais il se rendit vite compte que les étrangers du continent voisin n’étaient pas vraiment les bienvenus. Plusieurs fois il surprit des regards suspicieux, hautains, voire haineux. Heureusement, lui et Hammer furent accueillis dès l’arrimage au port par Mokba, fils d’Otar, ayant pour mission de les emmener jusqu’à son père en vue de l’expédition. Cette dernière débuta le lendemain, en dépit des protestations de Hammer.

Quelques semaines auparavant, le professeur reçut une lettre l’informant d’une découverte majeure : les tempêtes de sable avaient dévoilé au grand jour l’existence d’un temple enfoui, identifiable grâce aux symboles antiques qui le surplombaient. À cette nouvelle, Hammer bondit de son siège en hurlant de joie, alertant au passage tous ceux qui se trouvaient dans le périmètre de sa salle de classe. Depuis ce jour, l’excitation se lisait dans son regard bleu d’acier et ne le lâchait plus. Philéas admettait que cette joie était contagieuse : lui-même s’impatientait de déterrer les secrets du temple enfoui.

Mais depuis une journée et demie que l’équipe d’exploration sillonnait le désert et hormis les rares roches brunes cinglées par le sable, rien ne pointait à l’horizon. Le voyage à dos de dromadaire éreintait Philéas qui se prit à rêver de fauteuils moelleux et de bain chaud parfumé à la lavande. Hammer en revanche n’avait pas perdu son enthousiasme. L’attente valait largement le détour !

Pour combler son ennui et oublier ses vertèbres douloureuses, Philéas décida d’ouvrir la conversation avec le chercheur, les accompagnateurs congarois n’étant pas du genre bavard.

― Professeur, une question me taraude.

― Quelle est-elle mon jeune ami ?

― Et bien, je me demandais pourquoi les congarois tenaient tant à nous révéler la localisation de vestiges millénaires, sachant que nos royaumes respectifs ne s’entendent guère à cause de la colonisation. Leur loyauté, si on peut la qualifier ainsi, me paraît curieuse.

Hammer fit un mouvement ample du poignet comme s’il rejetait le doute de ses pensées.

― Philéas Mordent, votre naïveté est presque amusante. Les volontaires à l’excursion sont bien entendu payés par mes soins, rien n’est gratuit avec ces barbares. Et puis les fouilles offriront une visibilité considérable à ce pays, et cela pour les siècles à venir ! En réalité c’est une opération bien plus lucrative pour eux.

Philéas voulut répliquer, mais les cris d’un marcheur en tête de file le coupèrent.

Otar dressa un bras pour désigner au loin ce qui ressemblait à un petit monticule de rochers. Hammer baissa le tissu protégeant ses yeux du sable, puis ces derniers s’écarquillèrent en même temps qu’un sourire illumina son vieux visage.

― Mon dieu, c’est donc vrai ! Le temple enfoui ! Allez, avance sale bourrique ! vociféra-t-il en donnant des coups de talons dans les flancs de son dromadaire.

La bête blatéra bruyamment, mais n’en eut que faire du mécontentement de son cavalier. Il marcha à la même allure en mâchant avec nonchalance.

Hammer fut le premier à toucher terre et à s’élancer en direction du temple, secoué d’un éclat de rire victorieux. C’était la première fois que Philéas le voyait aussi exalté, à la limite de l’hystérie, alors que les années à l’université lui avaient présenté un bonhomme réservé, parfois grincheux, totalement misanthrope. Aujourd’hui, il découvrait une autre personne.

Philéas l’imita avec un peu plus de retenue. Otar donna ses directives à ses compagnons et ces derniers s'attelèrent à leurs tâches : une partie épaula Hammer tandis que la deuxième se chargea de monter les tentes pour la nuit. Ils obéirent avec une efficacité qui impressionna l’assistant.

Hammer ne prêtait aucune attention aux congarois autour de lui, trop occupé à jubiler devant le morceau de temple délogé de la dune qu’il déblaya avec ses mains, mais il se ravisa sous la chaleur traître du désert. Même une poignée de sable pouvait brûler la peau. Il se redressa et dit à Otar à un débit fou :

― Fournissez des pelles à vos hommes, qu’ils creusent jusqu’à ce qu’une partie du temple soit déterrée. Si mes suppositions sont bonnes, nous sommes actuellement sur le toit. Je veux au moins cinq mètres de surface dégagée avant la tombée de la nuit !

Philéas eut un sifflement impressionné. Il n’arrivait à croire que, sous ses pieds, reposait un temple millénaire ! C’était vraiment surréaliste, à tel point qu’il en eut les larmes aux yeux.

Otar abaissa le chèche qui protégeait une bonne partie de son visage et dévoila une mâchoire carrée couverte d’une barbe drue, une peau ocre tannée par le soleil et un regard profond aux iris noirs, impénétrables. Philéas appréciait énormément la beauté virile de ces guerriers du désert. Il effleura ses joues lisses et rougit de honte en constatant sa face imberbe et douce comme celle d’un bébé. À côté de ces hommes forts, il faisait pâle figure.

― Avant de commencer le travail, nous exigeons une partie du paiement. Trop de fois les étrangers du Grand Royaume nous ont bernés, nous préférons ne plus prendre de risques.

Philéas traduisit la requête avec un accent maîtrisé, mais bégayant. Hammer jura dans sa barbe, fouilla un moment dans sa besace et jeta au guide une bourse remplie de pièces. Aussitôt les congarois se mirent à la tâche pendant que Hammer dirigeait les opérations avec le plus grand sérieux, et que Philéas prenait des notes entre deux phases de traduction.


L’astre solaire débutait sa lente ascension derrière les dunes de Kseth quand Hammer leva les bras au ciel, paumes en avant, pour arrêter les travaux.

― Stop ! s’écria-t-il. Cela devrait être suffisant.

On voyait à présent un morceau de toit en grès, d’une couleur qui se confondait avec le sable alentour. Cela ressemblait à une sorte de pavillon où était gravé un œil fardé, rehaussé d'un sourcil suivant sa courbe avec une élégance qui fascina Philéas. Une larme naissait au coin de cet œil et rejoignait l'autre extrémité en se terminant par une délicate spirale. Conformément à son rôle d’assistant, il entreprit de dessiner le symbole inconnu sur son carnet. L’élève jubilait de le montrer au corps professoral et à la presse.

Mais sa joie fut de courte durée. Lorsqu’il releva la tête vers Hammer et les congarois, il vit un de ceux-ci brandir une pioche et l’abattre violemment sur la parcelle de grès. Des éclats de pierre volèrent et Philéas se redressa d’un bond en s’exclamant :

― Arrêtez ! Que faites-vous malheureux !

Hammer darda sur son assistant un regard agacé. Il ne réagissait pas à ces actes de vandalisme et cela choqua profondément Philéas.

― Nous n’avons pas le choix, rétorqua Hammer. Si nous voulons découvrir l’intérieur de ce temple, alors nous devons creuser. Crois-moi je préfèrerais avoir recours à d’autres méthodes, mais celle-ci est la seule qui peut faire avancer la science. Maintenant reculez-vous !

Philéas obéit à contrecœur, le visage pincé par le dépit. Il choisit de détourner le regard alors que les congarois s’attelaient à détruire une portion du toit du temple. Il remarqua également la réticence dans les yeux sévères d’Otar, mais celui-ci n’émit pas la moindre protestation, les poings coincés dans le croisement de ses bras puissants.


Le voile bleuté de la nuit se diluait dans le ciel, partiellement moucheté d’étoiles, lorsque le trou fut assez large pour laisser entrer une personne en rappel. En se penchant au-dessus, on ne pouvait rien voir hormis les ténèbres. Hammer lâcha un fumigène pour mesurer la profondeur. Par chance, le sable n’avait pas encore envahi la salle et les dalles érodées par le temps et la poussière se devinaient sous la lumière rouge vif.

Ils enfoncèrent d’énormes pieux dans la terre où était accrochée une échelle qu’ils déplièrent dans la cavité. Hammer s’engouffra en premier dans le temple, suivi par Otar puis par Philéas et un autre congarois semblant du même âge.

Dès que Philéas posa le pied à l’intérieur, il fut immédiatement gêné par la poussière de sable qui camouflait la moindre bouffée d’oxygène. Il ramena son chèche sur son nez, sur les conseils de son guide, et embrasa l’embout de sa torche. Les flammes révélèrent alors l’un des plus beaux tableaux qu’il lui ait été donné de voir, et des larmes embuèrent ses yeux pourtant secs.

Là, devant lui, se dressaient des centaines de gravures au style avoisinant celui de l’œil fardé. Bouche bée, au comble de l’excitation, Philéas s’empara de son carnet où il s’empressa d’esquisser les glyphes, après avoir confié sa torche à son accompagnateur. La scène représentait trois personnes : une au milieu, droite, les bras légèrement écartés et le crâne rehaussé d’un globe, deux autres à genoux comme s’ils vénéraient la première. En arrière-plan, des symboles alignés à la verticale ressemblaient à des oiseaux, des insectes et diverses formes géométriques que Philéas était incapable de déchiffrer pour l’instant. Sa tête se balançait rapidement de haut en bas, si bien qu’il sentit un torticolis raidir sa nuque.

― Extraordinaire, souffla-t-il en congarois, incroyable, époustouflant, splendide ! Votre pays regorge de merveilles ! Je suis réellement impressionné par la beauté de votre peuple !

― Merci l’étranger, répondit-il d’une voix sincère.

À cet instant, un hurlement suraigu résonna dans le temple, paralysant d’effroi les deux hommes. Philéas se lança aussitôt en quête de ce cri qu’il devina appartenir à Hammer. Il courut à perdre haleine à travers le dédale, son cœur battant à tout rompre.

Mais la situation ne fut pas aussi alarmante qu’il ne le pensait. Après avoir traversé un hall soutenu par des colonnes de granit, presque totalement enseveli par le sable, il retrouva enfin Hammer et Otar dans un lieu qui le figea sur place.

Le professeur bondissait de joie entre des amas de pièces d’or et de bijoux entourant deux cercueils aux finitions tout aussi somptueuses. La salle était resplendissante, entièrement recouverte d’or et de joyaux que même le sable n’avait pas ternis. Parmi ceux-ci, Philéas nota la présence de statues, sans doute des représentations de dieux ou de rois, des coffres, des coupes, des colliers, et également deux grandes momies enveloppées de bandelettes huileuses. Philéas détourna le regard, mal à l'aise : c'était comme si elles l'observaient. Il préféra contempler les trésors. Sous les flammes des torches, le métal brillait comme si le soleil y avait élu domicile.

― Seigneur, c’est… commença Philéas.

― Un miracle ! termina Hammer en soulevant une grosse poignée de pièce. Ce que j’ai cherché toute ma vie est enfin là ! Oh mes collègues de l’université vont être verts de rage quand j’agiterais ces merveilles sous leur nez ! Notre gloire est assurée !

Toute la nuit, l’équipe d’exploration s’affaira à remonter à la surface les trésors de la chambre dorée, à l’exception des momies. Après des heures de tractage éreintantes, les voyageurs s’accordèrent enfin un repos bien mérité. Philéas s’endormit dès que sa tête toucha l’oreiller, rassasié par cette journée fructueuse.


Seulement, à peine une heure plus tard, il fut tiré de son sommeil par des voix à quelques mètres de sa tente. Persuadé d’avoir affaire à des pilleurs, l’assistant s’habilla et sortit discrètement, puis se dirigea vers la conversation.

À sa grande surprise, il découvrit Hammer avec un congarois accompagné de son dromadaire, lui-même chargé de sacs visiblement lourds. Le professeur baragouinait la langue avec hésitation, ce qui ne semblait pas empêcher le déroulement d’une mystérieuse transaction. L’homme examinait le contenu d’une besace sous le témoin impatient de Hammer. Il piocha quelques pièces issues du trésor du temple — Philéas était formel là-dessus —, les soupesa dans sa paume, marqua sa satisfaction d’un hochement de tête puis eut une poignée de main ferme avec Hammer. L’instant d’après, l’homme grimpa sur le dos de sa monture et mit le cap en direction de Memtun, du moins ce fut ce qu’en déduisit Philéas.

Il ne pouvait le croire : son vénérable mentor, figure éminente de l’étude des pays morabiques, s’adonnant à des messes basses de vieux truand. Tout le respect et l’admiration qu’il portait à l’archéologue s’envolèrent telle une feuille morte emportée par la bise. Le dégoût de sa personne lui donna presque la nausée.

Hammer fit volte-face en se frottant les mains et sursauta en remarquant son jeune élève estomaqué, la mâchoire tombante et les yeux écarquillés.

— Philéas, ne devriez-vous pas être au lit à cette heure tardive ? Demain sera une longue journée, vous avez besoin de…

— Taisez-vous espèce de voleur ! s’emporta l’étudiant ulcéré. Comment osez-vous ?! Moi qui pensais que seule l’archéologie vous motivait, en réalité il n’y a que l’argent qui trouve grâce à votre âme corrompue !

Hammer frotta le coin de ses yeux, rétorqua d’un ton acerbe :

— Savez-vous combien coûte une expédition, jeune sot ? En faisant commerce avec les indigènes, nous garantissons le remboursement du voyage, des vivres et du salaire des guides, et ce qui restera sera un supplément pour d’autres excursions !

— Quoi ? Vous avez vendu ces trouvailles d’une valeur inestimable à des bandits ? Mais qui êtes-vous, Cleveland Hammer ? Où est votre intégrité ?

— Tss, vous êtes trop jeune et inexpérimenté pour comprendre. Et puis découvrir des temples ne rapporte rien, hormis un crédit dans une revue ! Vous ne savez pas à quel point il est difficile de survivre dans ce milieu mon ami.

— Vous êtes écœurant…

— Soit. La prochaine fois je m’abstiendrai de vous emmener ! Bonne nuit, Philéas Mordent !

Hammer le dépassa en bougonnant. Ni regret ni culpabilité ne semblait l’atteindre, ce qui accrut la déception de Philéas. Toutes ces années à idolâtrer un malfrat ! Il avait envie de pleurer sa bêtise et de partir sur-le-champ. Au lieu de cela il resta figé, le regard perdu dans la pénombre de l’horizon étincelant, sonné d’avoir démasqué la vraie nature de Hammer. Ses poings se crispèrent le long de ses hanches. Quel idiot ! se fustigea-t-il.

De rage, Philéas projeta du sable d’un coup de pied, se décida finalement à revenir dans sa tente avec une grimace désemparée. Il continuerait sa mission comme prévu, mais à son retour devrait-il dénoncer les méthodes de Hammer ? Qui pourrait croire un jeune bleu dans son genre sans qu’on le taxe de jaloux, de profiteur ou simplement de menteur ? C’était sa parole contre celle d’un homme respecté. Autrement dit une cause perdue.

Au moment où le découragement gagna Philéas, il entendit un hurlement glaçant et terrifié le paralysa.

Cette fois-ci il ne s’agissait pas d’un cri de bonheur spontané, mais bien d’un appel au secours qui provenait de la tente de Hammer. La toile se mit à bouger dans tous les sens, suivi de bruits de vêtements déchirés, d’un gargouillis étrange, et enfin d'un corps qui tombe lourdement.

Otar apparut, un fusil à la main. Philéas était incapable d’effectuer le moindre mouvement, tétanisé par la peur. Il désigna la tente de Hammer en bafouillant et tremblant. Otar appela la garde d’une voix forte et en quelques secondes, les soldats accoururent en brandissant leurs armes à feu et en beuglant tout leur soûl.

Mais Otar n’eut même pas le loisir de découvrir l’assassin de Hammer que ce dernier surgit de la tente et se jeta sur le guide. Malgré son corps maigre, presque squelettique, il n’éprouva aucune difficulté à dominer Otar et, d’un geste rapide, à lui trancher la gorge.

Le choc empêchait Philéas de crier, mais il trouva la force de se cacher derrière un grand panier en osier, près d’un dromadaire étonnament calme. Pourtant, la scène qui se déroula devant les yeux de Philéas allait le hanter à jamais.

En réalité, il y avait deux tueurs, à l’apparence masquée par la pénombre, mais dont l’agilité et la vitesse ne faisaient aucun doute. Un à un, ils égorgèrent chaque soldat à l’aide d’un poignard doté d’une lame courte et fine, visible grâce aux rayons de lune qui se reflétaient sur l’acier. Personne ne parvint à résister à ces hommes silencieux et cruels, insensibles aux balles ; Philéas vit le sang des congarois gicler de leur cou et leurs corps inertes chuter. Il plaqua ses deux mains contre sa bouche pour s’empêcher de hurler et étouffer ses sanglots. Son visage était trempé de larmes, ses yeux exorbités par une terreur indicible.

En à peine cinq minutes, la troupe fut entièrement décimée par les assassins. Philéas n’osait même plus respirer. Étaient-ils des hommes ? Des monstres ? Leur aspect décharné leur donnait l’allure de fauves vêtus de haillons et leur figure grumeleuse ne ressemblait en rien à celui d’un animal, encore moins d’un humain.

Soudain, quelque chose souleva Philéas par le col et celui-ci s’égosilla en implorant la pitié. Ce qu’il découvrit, lorsque le tueur le confronta à un face-à-face, lui fit perdre tout contrôle de sa vessie.

La momie du temple émit un grondement éraillé, dévoilant ainsi ses rares dents pourries et son visage noirci. Les bandelettes pendaient de chaque côté de son crâne et de son corps rongé par la mort et les vers. Il considéra longuement Philéas qui pleura :

— Je vous en supplie, ne me tuez pas ! Je vous promets de ne jamais revenir et de ne parler à personne, laissez-moi la vie sauve !

L’une des momies, par un miracle que personne n’aurait pu expliquer, tonna :

— Vous avez profané le sanctuaire d’Atis et l’avez dépouillé de ses trésors. Notre sentence est irréversible, votre pardon inacceptable.

— Je ne voulais pas provoquer la colère de votre dieu ni voler ses biens, croyez-moi je vous en conjure !

Les momies se consultèrent de leur regard vide et pourtant si menaçant. Celle qui maintenait Philéas brandit son poignard et répondit :

— Vous survivrez, mais serez puni. Ainsi vous apprendrez à vos semblables que nul ne peut défier l’autorité d’Atis.

D’un mouvement sec, la lame trancha net les yeux de Philéas. Il hurla comme jamais il n’avait hurlé de sa vie, se tenant le visage où s’écoulait d’épais filets de sang. La douleur fut atroce, son supplice sans fin.

Il fut placé sur le dos d’un dromadaire, couché sur sa bosse et souffrant le martyre, puis une momie jeta un ordre à l’animal dans une langue inconnue et la bête se redressa, entreprit sa longue marche jusqu’à Memtun.

Personne ne retrouva Philéas Mordent ni ne sut s’il survécut à ses mutilations ou si le désert blanc de Kseth l’avait enseveli sous ses dunes. Jamais les cadavres de Cleveland Hammer et des congarois ne furent découverts et au lendemain du massacre, une tempête de sable enfouit entièrement le site, effaçant les traces des momies et de leur vengeance.

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