Sa Mer

3 minutes de lecture

À l'horizon, la nuit commençait à se teinter de rouge. C'était le moment où Hilôs prenait la mer. L'air marin flatta son visage et l'odeur d'iode emplit ses narines : la mer lui souhaitait la bienvenue. Comme chaque jour, le jeune pêcheur voguait vers le soleil levant. Il lui plaisait d'observer la lente ascension de cet astre dans le ciel qu'il s'apprêtait à rendre diurne, et l'explosion de couleurs qu'il provoquait à chaque fois. Toujours différente. Un spectacle unique chaque matin dont il était l'observateur privilégié. Le clapotis que provoquait la coque en fendant l'eau et celui des rames en brisant le rythme des vaguelettes accompagnaient à merveille ce paysage mouvant.

Hilôs était un enfant de la mer. Il était né près des côtes, et, aussi loin qu'il s'en souvenait, il s'était toujours senti appelé par l'infinité des eaux salées. À peine avait-il appris à marcher, qu'il pêchait déjà ses premiers poissons. D'abord à l'aide d'une simple pique, puis à l'hameçon ou encore à l'arc, le garçon n'était jamais revenu bredouille. Ce fut donc tout naturellement qu'il traça sa voie au milieu des vagues.

Ce matin-là, malgré la saison d'été qui approchait, la fraîcheur nocturne étreignait le jeune homme telle une amante avant un au-revoir. Mais, au fur et à mesure qu'il ramait vers le large, vers sa liberté, son amante s'éloignait, laissant place à la douce carresse du soleil. L'astre rubis embrasait le ciel d'un feu doré. Sa lumière se reflétait dans les ridules de la mer, dessinant une route scintillante dans laquelle vogait Hilôs. Même pour tout l'or du monde, même pour un titre de roi, il n'échangerait jamais sa place.

Arrivé au-dessus d'un récif dont il connaissait la richesse des eaux alentours, le pêcheur entreprit de caler avec précision son précieux filet. Il l'avait fabriqué lui-même, et n'en était pas peu fier. Ses trois nappes de mailles étaient faites d'une fine cordelette, savamment nouée afin de lui conférer la solidité nécessaire. Il avait sculpté des galets en guise de pesons, et de gros morceaux d'écorce faisaient office de flotteurs. Une fois son tramail disposé, le jeune marin s'éloigna.

Tandis que le bleu du ciel donnait à la mer ses reflets azur, Hilôs ramait à présent vers un rocher affleurant que la marée basse laissait parfois apparaître au grand jour. Les fonds marins n'avaient, depuis longtemps, plus aucun secret pour Hilôs. Il s'avait qu'en cet endroit, quelques gros poissons venaient souvent en chasse de fretin. Un seul de ces prédateurs pouvait nourrir une famille entière dans son village. Aussi, le jeune pêcheur n'hésitait jamais à venir troubler leur traque.

Il ancra son embarcation au rocher, puis se défit de ses vêtements et empoigna sa longue pique. D'un parfait plongeon, il brisa le miroir d'eau. Quiconque d'autre se serait baigné en cet instant aurait été saisi par le froid de cette mer septentrionale. Mais pas Hilôs. Ces eaux l'accueillaient comme on accueille un fils. Quelle que soit la saison, la température de la mer semblait toujours douce au contact de sa peau. Les profondeurs bleutées étaient toujours limpides pour ses yeux. Et l'air ne lui avait encore jamais manqué lorsqu'il nageait sous la surface. Là-dessous, un autre monde s'offrait à lui. Un monde que lui seul pouvait pénétrer. Son regard se promena sur les rochers, en dessous de lui, reflétant la lumière du jour qui traversait l'onde marine. Il se perdait dans l'observation du balai des bancs de poissons, majestueux, scintillants de multiples couleurs, et la douce oscillation, hypnotysante, des algues qui se balançaient au gré des courants.

C'est alors qu'il aperçut, au loin, de petites lueurs rosées qui semblaient comme suspendues, figées entre deux eaux. Hilôs entreprit de se rapprocher de ces curieuses lanternes aquatiques. Il nagea jusqu'à elles, ses yeux curieux continuant d'inspecter ce monde d'en-dessous. Il sentait sur lui la caresse des courants au gré de sa progression. Il avait parfois la sensation de voler au-dessus de ces profondeurs inviolées. Il se sentait libre. Il arriva doucement à proximité de ces halos qui l'intriguaient. Des méduses. Un sourire se dessina sur son visage. Il y avait si longtemps qu'il n'en n'avait point vues. Les "autres", les fils de la terre, craignaient ces délicates créatures. Elles provoquaient sur eux brûlures et décharges de douleurs. Hilôs, lui, ne sentait que la douceur de soyeuse enveloppe.

Elles flottaient à présent tout autour du jeune pêcheur. Il évolua quelques instants au milieu de cette constellation sous-marine, se perdant dans ses pensées. Dans quelques heures, il devrait quitter ce monde qui était le sien et regagner la terre ferme. "Un jour, se disait-il parfois, je ne rentrerai pas". Un jour, espérait-il, sa mer deviendrait son foyer.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Milya ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0