"Voyager"

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Kevin ouvre le sac d’une marque internationale bien connue, contenant son hamburger et sa boisson pétillante préférée, tout aussi célèbre. Il doit passer une grande partie de la soirée au chevet d’un moniteur situé dans la salle des ordinateurs de suivi spatial, à Houston au Texas.

Celle-ci s’annonce longue et cruellement monotone. Kevin a décroché ce job, certes très cool mais assommant, par piston. Il est le petit fils de l’ingénieur en chef qui a supervisé, dans les Années 70, le projet "Voyager".

La première Sonde Voyager 1, après avoir traversée tout le système solaire, se retrouve aux confins de celui-ci.

Les derniers calculs indiquent qu’elle doit franchir, d’un instant à l’autre, la frontière de la bulle du rayonnement solaire et se retrouver plongée dans le vide interstellaire. La mission de Kevin, pour cette partie de la nuit, est de surveiller le moment précis où la Sonde "Voyager" se retrouverait libérée de toute influence solaire.

Les générateurs atomiques, dont elle est équipée, lui permettent toujours d’envoyer des signaux dans l’espace. Ils sont reçus sur Terre par trois grandes antennes paraboliques.

Kevin s’installe. Il commence par déballer son repas sur la table du moniteur de contrôle.

— Si le job n’est pas passionnant, se dit-il, au moins cela me permet de financer mes études d’ingénieurs en propulsion photonique.

Après avoir largement arrosé le hamburger de son ketchup favori, il le dévore à pleines dents. A cet instant précis, Kevin ne se doute pas, qu’il va déclencher une alerte mondiale.

— Et M... S’exclame-t-il ! La sauce rouge gicle et se répand du clavier au moniteur.

Pour parer au plus pressé, il commence par essuyer le clavier, la souris et tous les fils avec les serviettes en papier de son sac repas.

Au même instant un message apparaît sur l’écran et une sonnerie retentit dans le bureau.

— Et re M...Dit-il ! Je viens de faire une connerie de plus en mangeant au-dessus de ce clavier, qu’est ce que j’ai bien pu déclencher. J’ai sûrement déréglé les paraboles de réception des signaux de "Voyager" ! Je vais me faire engueuler, pourvu que mon chef de bureau ne résilie pas mon contrat.

Le téléphone sonne, c’est Brian, le chef de Kevin.

— Kevin, dis-moi ce qu’il y a sur ton écran.

— C’est de ma faute chef, j’ai voulu essuyer le ketchup sur mon clavier, j’ai sûrement dû déclencher quelque chose.

— J’EN AI RIEN FAIRE, hurle Brian ! Dis-moi ce qu’il y a sur ton écran. Je veux savoir si cela correspond à ce que les autres antennes de réception en Angleterre et en Australie ont détecté.

Kevin, terrorisé, essuie cette fois l’écran de son moniteur taché, Il lit le message à son chef :

— C’est un message clignotant : "Limite dépassée" ! C’est grave M.Brian !

— Grave ? Tu veux dire que l’instant est solennel c’est sûr ! Tu viens de vérifier le travail fantastique accompli par ton grand-père. "Voyager" est le premier engin spatial de l’humanité à quitter le système solaire.

— Vous êtes sûr que je n’y suis pour rien ? Chef.

— Arrête un peu, Kevin. Les deux autres antennes captent le même message, tu devrais être fier !

Puis soudain, un autre message à l’écran : "no message receipt".

— Chef, nous ne recevons plus rien, je vous dis que j’ai mis le bazar.

— Kevin, réveille toi, termine ton hamburger, et rejoins-moi pour prendre un café à la cafétéria.

Brian, qui a crié son enthousiasme, à la découverte de la sortie de "Voyager" de l’héliopause, s’interroge maintenant sur le mutisme soudain de la sonde. L’émetteur de "Voyager" émet des signaux toutes les 15 minutes, pour économiser son énergie. Depuis deux heures aucun signal ne parvient aux trois radiotélescopes parsemés sur la planète.

— Alors ce repas ? Demande-t-il, malicieusement à Kevin qui arrive à sa table, dans la cafétéria du centre spatial.

— Franchement je ne l’ai pas terminé, il est parti directement à la poubelle. Sérieusement, M.Brian, j’espère que je ne suis pour rien dans toutes ces perturbations !

— Malheureusemen, Kevin, tu n’y es pour rien !

— Malheureusement ?

— Cela serait tellement plus simple. J’aurais su qui était le responsable, dit-il avec un clin d’œil en direction de Kevin. Ce silence radio peut signifier la fin de la mission, si rien ne nous parvient dans les prochains jours.

— C’est bien ma chance, mon job va se terminer le jour où je le commence !

— Ne t’inquiète pas Kevin, si la mission doit s’arrêter, j’essaierai de t’affecter sur une autre.

— Merci beaucoup, M.Brian.

— Maintenant, regagne, la salle d’observation, et compile toutes les dernières infos reçues de "Voyager", pour que nous soyons en possession des données nécessaires au calcul de sa nouvelle position, au cas où nous recevrions à nouveau des signaux.

Kevin ne s’attend pas à une nuit de travail agitée. Il prend la mission que lui a confiée Brian, très à cœur. Après avoir compilé et croisé toutes les infos reçues des trois radiotélescopes, il est en mesure de fournir à Brian, la distance et l’heure exacte à l’heure à laquelle "Voyager" a cessé d’émettre.

A la fin de la nuit, Kevin se prépare à rentrer chez lui, alors qu’il s’apprête à quitter le vestiaire des employés, son portable vibre. C’est Brian.

— Kevin, où es-t-u ?

— Je quitte le vestiaire, je rentre me coucher.

— Ce n’est pas le moment ! "Voyager", vient, à nouveau, de donner de ses nouvelles, après 8 heures d’interruption. Remonte vite en salle de contrôle.

Dès que Kevin franchit la porte de la salle, Brian l’apostrophe.

— Kevin es-tu certain de la fiabilité des calculs que tu m’as remis cette nuit.

— Je pense, je n’ai fait qu’utiliser les logiciels de calculs du computer du centre, je n’ai même pas eu à saisir les données, elles ont été importées directement des disques durs où elles sont stockées à leur réception. Pourquoi, il y a un problème ?

— Oui, un léger ! D’après la position de "Voyager" à sa perte de réception, et celles que nous avons enregistrées avec les nouveaux signaux, la vitesse de la sonde est multipliée par 10.

— Vous pensez que j’ai fait une erreur dans la programmation ? S’inquiète sérieusement Kevin.

— Non, tu as bien bossé, et je t’en félicite, lui précise Brian. Nous sommes certainement en présence d’un phénomène nouveau.

Est-ce dû à la sortie de l’héliopause, qui déforme les émissions radios ? Devons nous revoir nos théories physiques ?

De nouvelles questions surgissent, nous allons devoir surveiller de très près tout ce qui nous parvient de cette sonde.

Kevin, es-tu toujours partant pour passer toutes tes nuits au chevet de "Voyager" ?

— Plus que jamais ! Merci pour votre confiance, moi qui pensais avoir fait une grosse connerie.


NB : Voyager 1 a quitté le terre en septembre 1977. C'est la première sonde spatiale à s'affranchir des limites du vent solaire et à s'enfoncer dans le vide interstellaire.

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