Chapitre 4 : Blanche 

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Il y avait quelque chose de particulier chez Blanche, comme un parfum de liberté, qui rendait fou chaque homme qu’elle croisait. Elle les attirait par sa beauté, comme des mouches face à une merde malodorante.

C’était le hasard qui l’avait fait se retrouver dans les bordels mal famés de la ville, cette même ville qu’elle arpentait pour trouver de nouvelles recrues d’un rêve qu’elle frôlait du bout des doigts. Elle connaissait le placement de chaque pavé, le son du martèlement régulier des sabots claquant contre le sol, les odeurs insoutenables des excréments que produisait la population environnante. Elle avait autant adoré que détesté vivre à cet endroit. Mais, elle avait beau dire tout ce qu’elle voulait, elle se sentait chez elle.

-Je ne suis jamais venue dans un coin pareil, lui avoua Hélène, sa compagne de route pour un temps.

A chaque coin de rue, on apercevait le battement régulier des hanches se fracassant contre des partenaires, des enfants faisant la manche, des vieillards mourant de maladies les plus affreuses et douloureux qui puissent exister.

-Ce n’est pas pour des gens de ton grade, dit Blanche en ce mordillant la lèvre inférieure.

Hélène s’arrêta nette, comme vexée par le reproche à peine caché de sa compagne de route.

-J’insinue simplement que tes problèmes sont d’une autre catégorie que ceux que rencontrent les gens qui viennent trainer ici. Tu ne connais pas ces endroits car tu n’as jamais eu le besoin de venir travailler ou de faire l’aumône ici. Coincée dans ta forteresse de noble, tu es bien éloignée des réalités de ce que vivent vraiment les gens qui n’ont pas de titres.

-Crois moi, tu ne connais rien des souffrances de mon monde.

Blanche eut un petit rictus. Il lui semblait que peu importait ce qu’elle lui avouerait, elle serait toujours la plus martyre des deux. Elle avait gagné.

-Je suis mariée avec un homme que je n’aime pas depuis que je suis capable d’enfanter. Je dois faire perdurer la lignée en mettant des enfants au monde. Je fois me taire et attendre que le temps passe sagement, comme toutes les épouses doivent se comporter …

Tandis qu’elle faisait la liste de problèmes qui n’en étaient pas selon la belle prostituée, cette dernière replongea dans ses souvenirs. Il y avait de cela cinq années, elle était âgée de treize ans. Elle était assez mature pour apporter de l’argent, disait-on. Désormais, on ne l’hébergerait plus sans qu’elle ne mette à son tour la main à la pâte. C’était ainsi qu’on l’obligea à perdre sa virginité au prix de cinq sous, violée par des barbus syphilitiques et pédophiles. Loin d’être prête à offrir son corps, elle accepta avec courage et nonchalance lorsque trois hommes la choisirent le même soir. Il était si rare de trouver une vierge blanche de tout péché. Ca la rendait spéciale et encore plus désirable.

Pour ce premier soir, elle eut le luxe d’occuper la seule chambre de l’étage destinée au fur labeur de ces jeunes damoiselles. Elle se coucha dans les draps blancs et attendit sagement qu’ils aient craché leur venin. Elle ne pu réprimer des cris de souffrance, bien plus que de jouissance face à la douleur cuisante que lui procurait la perte de ce petit bout de chair. Et sa vie n’avait été qu’une succession d’hommes venus chercher leur plaisir au détriment de sa propre personne. Chaque coup de rein l’enfonçait dans un profond néant. Elle n’avait jamais connu ni plaisir ni amour. C’était son fantasme à elle que de connaitre cela.

Les deux femmes traversèrent un véritable labyrinthe. Hélène continuait de se plaindre de sa vie d’antan tandis que Blanche se retenait de lui flanquer une terrible correction.

« Et moi ? Et moi ! Et moi ?!!!!! »

« Eh bien toi ! Oui toi ! Regarde tout ce que tu as et ferme là ! »

Blanche en mourrait d’envie.

Le carillon indiqua qu’il était déjà dix heures. Blanche était impatiente de recruter celles qui prendraient la suite du groupe. Elle voyait cela comme un privilège. Pour une fois qu’on lui demandait son avis. Karmilla n’avait donné aucune information quant à ce qu’elle attendait d’elles. Elle voulait juste de nouvelles recrues.

De nombreuses ménagères se bousculaient sur les étals de fruits et légumes du marché. La poissonnière criait sur des chenapans qui avaient fait tomber sa caisse malodorante remplie de mets sortis de l’océan avoisinant. Les heureuses élues auraient pu être n’importe qui. Mais Blanche souhaitaient qu’elles furent spéciales.

Cette noble cause les amena devant les murs de la prison. Les pierres étaient aussi épaisses que du marbre. Aussi brillantes et lisses que de la craie. Elles n’eurent d’autres choix que de passer par la porte. Blanche mit sa capuche afin de cacher sa belle chevelure brune. Elle craignait d’être reconnue comme si tous les hommes du monde avaient un jour fracassé son intimité. Hélène fit de même derrière et s’était enfin décidé à se taire, bénis soient les dieux. Blanche s’adressa au garde qui surveillait l’entrée humblement, en baissant la tête non sans gêne.

- Nous aimerions rendre visite aux condamnées afin de prier pour le salut de leurs âmes, chuchota Blanche qui avait l’allure d’un ange.

Il se mit à rire :

-Crois bien, ma p’tite, que toutes celles qui sont enfermées ici ne méritent ni pitié ni miséricorde.

-Seul Dieu est juge mon frère. Tu nous laisses passer ?

Avec un rictus désagréable, il répondit :

-Qu’est-ce que j’aurais en échange ?

-L’agréable compagnie de ma sœur, vous serait-elle gré ?

Blanche souriant au fond d’elle car elle désirait autant de mal à Hélène qu’elle-même avait souffert autrefois. C’était comme une vengeance sur le passé.

-Je voulais t’y accompagner, râla-t-elle comme une enfant.

Le garde souleva le visage de la prostituée. Leurs regards se croisèrent. Elle était impressionnante, toute sa beauté cachait sa souffrance.

-Tu es plus jolie qu’elle, remarqua l’homme. Je préfèrerai que ce soit toi qui me tienne compagnie.

Blanche soupira :

-J’ai fais vœu de chasteté au fond de mon cœur. Tu ne voudrais pas ….

-Ca ne manquera pas à ton Dieu, crois moi. Par contre à moi …

Une multitude de pensées traversa l’esprit de la jeune femme. Comment pouvait-elle s’en sortir dans ce monde-là sans se corrompre de nouveau ?

-Vous ne vaudrez pas mieux que vos condamnées si vous agissiez de la sorte, le réprimanda-t-elle.

-Peu importe, il ne fallait pas te vêtir avec tant de luxe et venir m’aguicher ainsi sur mon lieu de travail. A ton avis, qui sera-t-on davantage prompt à croire ?

Blanche haïssait ce siècle hypocrite où les clochers des églises surpassaient les villes et villages alors que la luxure dominant le dieu de tous par ici. Elle ne comprenait pas ces femmes qui s’adonnaient à des plaisirs charnels car ça relevait de ses blessures intenables qui lui donnaient mort à l’âme.

-Je te répète une nouvelle fois que ce n’est pas une solution acceptable, dit Blanche agacée. Tu ne voudrais pas me faire croire que les proches de ces condamnées sont toutes obligées de sucer ta p’tite queue pour passer le pas de la porte.

Il partit dans un profond rire que le rendait encore plus minable :

-Personne ne souhaite rendre visite à ces merdes, cracha-t-il avec vulgarité.

-Est-ce ton dernier mot ? demanda Hélène. Allons-y, faisons demi-tour. Inutile de se mettre en danger pour si peu.

Hélène semblait soulagée. Elle ne tenait pas forcément à se retrouver face à des détenues dont le passé était plus que douteux. Elle souhaitait la paix, se protéger et vivre paisiblement. Mais Blanche n’acceptait pas les refus. Elle obtenait toujours ce qu’elle voulait.

-Très bien, murmura Blanche.

Cette dernière s’approcha du gardien comme si elle s’apprêtait à l’embrasser. Cet homme la dégoutait au plus haut point. Mais c’était pour la bonne cause. Il puait la transpiration. Et son haleine lui rappelait l’odeur d’un rat mort qui partageait sa couche lorsqu’elle était encore une prostituée de bas étage autrefois. Tombant sous le charme, l’homme ferma les yeux pour ne plus jamais les rouvrir. Au lieu de recevoir un tendre baiser sur ses lèvres dodues, le genou de la belle jeune femme vint lui fracasser ses bijoux de famille. Se tordant en deux, elle lui refila un coup dans le visage, et un autre sur le dos qui le fit s’allonger sur le sol. Eprise d’une rage folle, elle n’arrêta que lorsque l’homme inerte soit méconnaissable et presque sur son lit de mort. C’était elle ou lui. Cette fois, ce serait Blanche qui gagnerait.

-Mais tu es folle ! hurla sa compagne qui avait assisté à la scène, spectatrice bouche bée face à une action hors de contrôle. Comment va-t-on faire ?

-Faire quoi ? répondit Blanche en se relevant après avoir prit le pouls de l’homme. On peut rentrer maintenant. On a ce qu’on veut.

-Mais à quel prix ?

Blanche vola les clefs de l’homme sanguinolant.

-Il suffit de cacher les dégâts.

Mais le poids de l’homme était au moins deux fois plus lourd qu’elle. Elle jura entre ses dents. Maudis soit le monde de l’avoir faite si faible alors qu’elle se sentait telle une louve, force de la nature.

-Bon tant pis, finit-elle par dire. Tu restes avec lui et si jamais quelqu’un approche, ne le fait entrer sous aucun prétexte ! Je me dépêche.

-Mais …. Commença à la contredire Hélène.

-Fais ce que je te dis, lui ordonna-t-elle. Tu bas finir comme lui si tu continues à discuter.

Avant qu’elle ne trouve à redire, Blanche pénétra la prison. Quelques pas suffirent pour se retrouver dans une obscurité presque totale. Seules quelques meurtrières laissaient transparaitre de fins rayons lumineux. Il faisait aussi froid par la température que glacial par l’ambiance morbide qui régnait par ici. Plus elle avançait, plus l’odeur démentielle lui tirait les larmes aux yeux. Mélange de pisse, de pets, de larmes, de mort. Elle avait hâte de sortir de là. Néanmoins, elle continuait de prendre son rôle très à cœur. Hors de question d’engager une incapable du même monde que cette Hélène. Elle se demandait bien ce qu’elle pouvait lui apporter. Elle ne savait même pas s’occuper d’elle-même, éternelle enfant. Alors comment pouvait-elle s’occuper d’autrui ?

Elle regarda entre les barres de fer qu’elle croisait. Chaque détenue réagissait différemment. Elle déduisit qu’il y avait plusieurs stades selon le temps qu’elles passaient en prison. Certaines hurlaient de toutes leurs forces à son passage, tels des animaux de foire. Elle songeait qu’elles avaient encore la force de se battre pour leur liberté. Elles étaient là depuis peu de temps, conclut-elle. Elle les ignora.

D’autres, plus calmes, vinrent jusqu’aux barres de fer, se mirent à genoux et supplièrent pour avoir un peu de nourriture. Elles étaient affamées. D’autres ne bougeaient même pas pour l’accueillir. Blanche se doutait que c’était elles qui étaient là depuis le plus longtemps. Trop épuisées pour se déplacer, trop affamées pour s’agiter. Trop assoiffées pour crier leur haine à l’égard d’une justice trop expéditive. Aucune parmi elles ne semblaient sortir du lot et Blanche en vint même à se demander si elle trouverait la perle rare comme elle s’y attendait.

Au moment où, désespérée, elle s’apprêta à faire demi tour, une voix chantante transperça les ténèbres. Elle se dirigea au son de sa voix.

La cellule n’avait rien de différent des autres. C’était la personne qui habitait les lieux qui changeait tout. Partout ça puait la mort. Ici, il y avait une joie déplacée qui avait disparut chez toutes les pensionnaires.

-Bonjour joli cœur. Que viens-tu faire ici ? demanda la prisonnière d’une voix douce et angélique.

-Je m’appelle Blanche, lui répondit-elle. Je suis là pour te libérer.

Son sourire vint illuminer toute la pièce. Tandis que Blanche se mit à chercher la clé correspondante au verrou, la jeune lui répondit :

-Et où irions-nous ?

-Dans un endroit mieux que celui-ci ! lui promit-elle alors. C’est quoi ton nom ?

-Louise, murmura-t-elle.

-Bien Louise. Tu as la chance d’être graciée.

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