A l'opéra

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C'était au collège.

Bien que ma famille soit assez à cheval sur les manières, j'étais alors assez rustre, je me fichais de tout.

C'est donc un moment de solitude à retardement dont je vais vous parler, car il y a une asynchronie (mot que je viens d'apprendre à Cémantix) entre l'instant où il s'est produit et la gêne occasionnée. Je dirais une bonne vingtaine d'années pour que ça monte enfin au cerveau (oui j'ai le cerveau lent pour certaines choses).

Mon collège était en ZEP, extrêmement mal placé entre un camp de gens du voyage et un quartier sensible. Cela ne préjuge pas de la qualité des enseignements car tous mes anciens camarades ont plutôt très bien fini d'ailleurs.

Mais il y régnait un grand laisser-aller, et une certaine insécurité, il faut bien l'avouer.

J'essayais donc de me faire oublier en arborant des survêtements tous les plus informes les uns que les autres. Ce qui ne m'exemptait pas de douces appellations telles "terminator" (pour mes bagues), " intello de mes d..." (pour les résultats), "planche à pain"(ici, vous avez compris).

Je ne ressemblais donc à rien, une masse de chiffon mal peignée.

Et voilà donc le Lions Club de ma ville, qui, ayant pitié des enfants en haillons qui peuplaient cet établissement de seconde zone, invita certains élèves triés sur le volet à assister à une représentation de Gisèle par je ne sais quelle grande compagnie de ballet russe.

Les représentants de ce club très snob (mais je l'ignorais) se proposaient de venir nous chercher directement après les cours, nos parents venant nous retrouver au théâtre après la représentation.

J'en étais très heureuse à vrai dire car je faisais alors de la danse classique _ c'est certainement pour cette raison que j'ai été choisie_ et c'était une première pour moi.

J'en touchais deux mots à ma mère, qui me confia pour toute réponse un sandwich fait maison enroulé dans de l'aluminium pour me sustenter le soir.

Vous les sentez s'ourdir, les fils de la trame de mon humiliation? Tous les éléments étaient en place.

Le soir venu, j'attendais donc mes généreux bienfaiteurs devant mon collège, survêtement de mise, bombers par-dessus parce que c'était la mode et sandwich en poche.

Là, je vis débarquer un homme en smoking et une femme en robe de soirée. Sans douter de rien, je m'avançai vers eux mais candide comme j'étais, je ne perçus dans leurs yeux la déconvenue se peindre. Toute échevelée et mal fagotée, je devais pourtant parfaitement correspondre à l'image de la gamine des cités qu'ils s'imaginaient secourir de son quotidien sordide.

Mais bon, peut-être leur fais-je un procès d'intention, et n'eurent-ils pas alors ce genre d'idées. Qui saura jamais?

Toujours est-il qu'ils m'accompagnèrent à Acropolis pour assister audit ballet et je découvris à ce moment que tout le monde était aussi apprêté, d'autant que nous étions aux meilleures places en compagnie du reste du Lions Club en grande tenue.

J'avais l'impression que tout le monde me regardait de biais, et force était de constater que c'était justifié, je déparais terriblement.

En fait, je déparai encore plus quand, au milieu du solo le plus émouvant du ballet, prise d'un petit creux, je sortis mon sandwich pour le manger.L'aluminium fait un bruit terrible quand on le manie, et le bruit semblait encore plus insupportable sur la douce mélopée du solo de Gisèle.

Toutes les têtes se tournèrent vers moi, les sourcils froncés. Des "chut" fusèrent.

Mais je mange lentement, et comme je ne me rendais compte sur le moment de ma disgrâce générale, je pris tout mon temps.

Je me souviens avoir été par la suite traitée avec une grande froideur, des aurevoir gênés sur le parvis du théâtre.

Et cette honte lancinante m'a frappée bien plus tard, et me frappe à chaque fois quand je repense à ce moment-là.

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