Chapitre 5

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Je remonte difficilement dans ma voiture après une dure journée de travail. Le soleil est pesant aujourd’hui. Mon autoradio indique seize heures. En rentrant, je ferais bien de sortir m’aérer la tête ! J’ai été distant avec mes collègues aujourd’hui. L’incident de ce matin en compagnie de Nathalie m’inquiète. Que m’arrive-t-il ? J’ai l’impression d’être possédé par quelque chose. Par des bribes d’images que seuls mes yeux ont enregistrés.

Je prends le volant sans démarrer le moteur et mets une musique électro pour me maintenir lucide. Trente minutes de route à supporter. Je respire quelques secondes.

Courage, tu vas y arriver.

J’ai la sensation de nausées. L’envie de dormir, mais peur des cauchemars qui me brutalisent chaque nuit. Je dois passer outre la mort de mon frère. Ne plus penser à ce foutu voyage.

— Ne plus penser à ma main qui lâche la pierre !

Je me retourne en sursaut, le visage décomposé. Je ne peux pas emmagasiner plus d’émotions. Les sanglots s’acharnent, au même titre que les vertiges me font perdre la raison. Je craque :

— Qui a parlé bon sang ! Qu’est-ce que tu me veux !

Des collègues passent au même instant. Ils me dévisagent. Me jugent avec sévérité et s’éloignent comme si j’étais un monstre. Ou une vulgaire bête de foire.

Ils te prennent pour un fou, Antoine. Mais tu n’en es pas un. Tu as entendu cette voix.

Je commence à ressentir un blocage au niveau de ma cage thoracique. L’air me manque. J’ouvre instantanément ma portière. Du moins, c’est ce que j’essaie de faire, mais la poignée ne fonctionne plus. Je suis privé d’oxygène. Je me sens partir. Les vertiges me tapent l’arrière du crâne. Le sang boue dans mes tempes. Je ressens le moindre tambourinement de mon cœur comme un coup de poignard. Même lui ne veut plus vivre dans mon corps. Supporter mes souffrances. Tout s’accélère autour de moi.

La vitre ne s’abaisse pas. Dans un ultime effort, je parviens à couper le contact. Les voitures garées sur le parking deviennent floues. Mes paupières se ferment. Le noir m’emporte et mon oreille droite heurte une partie molle et douce. La torture s’achève. La légèreté s’empare de mon esprit.

Le vent souffle. Je distingue une plaine. Les nuages décorent le ciel flamboyant comme un tableau offert à l’au-delà. Une peinture caractérisée par des formes quelconques qui peuvent avoir des centaines d’interprétations différentes.

Je me rappelle qu’avec Victor on essayait sans cesse d’imaginer ce que pouvait représenter telle ou telle forme de nuage. On concevait nos propres films. Nos propres scénarios. Pourquoi a-t-il fallu que nous fassions cette randonnée ! Puis cette colline monstrueuse qui effrayait chaque visiteur. La montagne interdite était-elle appelée. Aujourd’hui, son nom est imprimé au fond de ma mémoire au fer rouge. Toutes les pensées orientées dans sa direction me font frémir. Ressentir une douleur atroce.

Ma poitrine se soulève plus rapidement. Un choc. Les cheveux bruns de Victor se placent devant moi. Je ne peux plus respirer. Il me sourit à pleines dents, mais un voile s’insère entre nos deux corps. Il ne devient plus qu’une silhouette noire qui se transforme en un monstre gigantesque à mesure que je suis attirée vers un long tunnel constellé d’étoiles. Un cri déchire le ciel.

Où suis-je ?

Un haut-le-cœur m’oblige à ouvrir les yeux. Le paysage recule. Et là, je réalise. Je suis dans ma voiture. Les lumières sont éteintes sur le parking de l’établissement. Plus un véhicule à l’horizon. Je discerne les aiguilles de ma montre. Vingt-deux heures environ.

Je me redresse difficilement. De la bave est restée sur le siège passager, à l’endroit où ma tête avait chuté. Un mal de dos m’envoie une décharge électrique infernale.

Je parviens de nouveau à respirer calmement. J’ai dû faire une crise d’angoisse. Un peu de repos me fera le plus grand bien. Sur ces suggestions personnelles, je m’engage sur la route, les idées embrumées. Je perfore les routes nuageuses, de la sueur sur le volant, et fends l’obscurité.

Non, Antoine, tu la fuis.

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