Digression, certes

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Digression, certes, mais comment l’éviter ? Dans la glace miroitante de mon rétroviseur, alors que je redescends la colline, après un crochet par ce qui fut les ‘Ardrieux’, qui n’en conserve de souvenir que ce monticule de terre où s’amasse le groupe compact des pavillons, je n’ai plus d’illusion aucune sur la capacité de l’homme d’effacer ce qui constitue son bien le plus précieux, à savoir sa mémoire, son histoire, les mille allées au cheminement desquelles un destin se trace en tant que singularité inoubliable, ineffaçable. Bien sûr les murs ne sont que des réifications de nos sentiments, de simples concrétions élevées par certaines consciences, pour d’autres consciences. Les murs de Ninive, de Jéricho, les hautes Tours de Babel ont disparu ou bien il n’en reste que de simples témoignages ruinés, partant pathétiques. Quelques Touristes bavards et distraits en prennent acte, photographiant ici et là, tel fragment de pierre, tel témoin usé de ce qui fut et dort maintenant d’un sommeil profond déserté de songes. Comment pourrait-on encore rêver à quoi que ce soit quand vos fondations qui, en même temps, sont vos fondements ont été mis à bas, ne suscitant même plus un étonnement dont on eût pu tirer quelque leçon, donner le site à quelque interrogation ? Au rêve il faut l’espoir, au rêve il faut la liberté.

Je n’ai pas revu Antoine depuis des décennies. Je ne sais ce qu’il est devenu. Verrait-il la métamorphose - non, je veux dire la démolition pièce à pièce - des ‘Ardrieux’, aurait-il au moins un pincement au cœur ? Songerait-il au vieux Monastère dont nous avions fait notre ‘Speranza’ pour rejoindre la mythologie de Robinson ? Ferait-il au moins tourner le barillet du révolver avec autant d’habileté qu’autrefois ? Introduirait-il, dans chacun de ses logements, cette myriade de beaux souvenirs qui tissèrent à notre enfance une toile qui fut de soie, qui n’est plus que de coton, des ajours s’y voient pareils à la fuite des jours ? Ce barillet qui tourne ne pourrait-il constituer l’allégorie du temps qui passe et caracole avec sa belle circularité, un éternel recommencement dont, jamais, nous ne souhaiterions interrompre le cours ? Je pense à ceci, à cette idée qui n’en est une, plutôt une manière de lubie. Maintenant je ferme les yeux, me livrant tout entier au carrousel des images d’autrefois. Se détache avec netteté la silhouette des ‘Ardrieux’ dont personne, jamais, ne me dépossèdera. Peut-être le seul avoir réel qui soit !

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