3.    La Destruction de la Tour Blanche - Partie 2

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Ça y était, le moment était venu. Dorian avait vécu cette journée comme une attente interminable. En son cœur, il redoutait de rater mais l’impatience d’obtenir enfin sa vengeance après tant d’années le motivait. Le plan de son père, infaillible, avait été mûrement peaufiné. Il suivit son géniteur jusqu’au sommet de la Tour Blanche. L’orgueil des mages ne leur faisait pas envisager qu’on puisse les attaquer de l’intérieur. Ils se matérialisèrent dans la grande salle des Sages. Les temps avaient changé, les anciens de leur époque avaient laissé leur place aux enseignants, Elminster se leva d’un bond quand il reconnut les deux enchanteurs, on aurait dit qu’il se réjouissait de revoir son vieil ami :

  • Valérian, Dorian, s’étonna-t-il. C’est inespéré de vous revoir ici.

Dorian ne lâchait pas Zorgal des yeux, sa némésis avait vieilli et ses cheveux gris avaient viré au blanc mais il gardait cet orgueil dans le regard et un certain amusement dans son sourire. Elminster s’avança vers les deux hommes mais s’arrêta dans sa course quand Valérian lança un sort au mage qui se tenait à sa gauche. Le sage reçu le coup en plein cœur et tomba, raide mort, au sol. Dorian profita de ce premier assaut pour emporter Zorgal dans son monde. Ainsi prisonnier, il aurait tout loisir de parfaire sa vengeance puis d’un geste de la main, renvoya le maléfice qui allait toucher son géniteur. Les règles avaient été clairement établies, Valérian attaquait et sa descendance usait de la force qui l’entourait pour protéger son ascendant. Il lui avait appris à utiliser de la psyché des autres comme source. Dorian ignorait pourquoi il ne lui avait pas enseigné les techniques pour devenir un véritable mage mais le statut de sorcier ne lui déplaisait guère. Quand le père posa sa main sur l’épaule de son fils, il comprit que la seconde partie du plan se mettait en route. Il le transporta au pied du bâtiment et le laissa œuvrer tandis qu’il repoussa les flots d’enchanteurs en sortant. Au départ, ils étaient hostiles mais peu à peu, à mesure que Valérian détruisait la structure de leur lieu de vie, la bataille se transforma en déroute, jusqu’à ce que la Tour s’effondre dans un énorme fracas de gravats et de cris. Le magicien était incoercible, continuant à achever ceux qui tentaient péniblement de s’extraire des décombres. Dorian le nota à ce moment précis, quelque chose venait de se briser en son père. La vengeance rythmait son combat, il y prenait sadiquement plaisir. Dorian recula d’un pas, prenant conscience de ses actes. Des enfants, Valérian tuait des enfants, des mages blessés qui ne voulaient pas se battre. La bataille prit une tournure de massacre, Valérian semblait impossible à arrêter tant l’ivresse du pouvoir et du sang lui montait à la tête. Dorian vacilla mais ne perdit pas contenance. Il lui restait un ennemi à exterminer. Il laissa son père à sa folie et se matérialisa dans son monde. Une tempête de neige y faisait rage, comme le reflet de son propre état d’esprit. Ses pas le conduisirent à sa grotte. Zorgal était blotti là en grelottant.

  • Dorian, reconnut-il, inquiet ; où suis-je ?
  • Chez moi, déclara le jeune mage.

À ses mots, la tempête stoppa à l’instant.

  • Je le savais, souffla Zorgal, je savais que tu étais puissant, mais l’es-tu assez pour éviter ça ?

Il lança un sort vers le jeune homme… ou du moins tenta de lui lancer un sort car à part le geste de la main, rien ne se passa. Zorgal paniqua, il avait perdu la totalité de ses pouvoirs.

  • C’est mon monde, reprit calmement Dorian, c’est moi qui dicte les règles ici.

Zorgal tenta vainement de forcer le passage vers la sortie mais Dorian usa de son pouvoir pour le projeter contre une paroi de la grotte. Une gangue de glace se forma alors sur les poignets et les chevilles de l’enchanteur, l’emprisonnant.

  • Pourquoi ? demanda Dorian calmement. Pourquoi as-tu fait ça ? À quoi pensais-tu quand tu as tué ma sœur ?
  • Ce… c’était un accident, répondit le mage effrayé.
  • Oh non, reprit Dorian d’un ton froid. J’ai revécu cette scène des millions de fois dans mes cauchemars. Ce n’était pas un accident. Tu le voulais, tu savais parfaitement ce que tu faisais. Donne-moi une seule raison de…
  • Non, Dorian, ne fais pas ça !

La voix de Syphilis s’était élevée dans la grotte. L’hermine trottina vers le fils de son maître.

  • Tiens, Boule de Peluche, s’amusa Dorian, tu n’es pas avec Père ?
  • Ton père s’est transformé en monstre, il ne mérite pas d’avoir un familier. Dorian, ne suis pas sa voie, ne deviens pas comme lui. Tuer Zorgal ne fera pas revenir Thérésa.

Dorian la foudroya d’un regard de braise et lui lançant un sort pour l’éloigner répondit :

  • Non, mais ça soulage.

Il fut surpris, quand le sort toucha l’hermine, de ressentir une violente douleur dans le dos. On aurait dit qu’il avait subi le coup porté au familier de son père. Son regard croisa les petits yeux de la créature qui fit volte-face et disparut dans la neige. Dorian resta un long moment à contempler le lieu où se tenait l’animal avant de reporter son attention sur Zorgal. Ce dernier semblait jubiler devant la scène qu’il venait de suivre.

  • Tu ne me tueras pas, tu n’as pas la force de devenir Mage Noir.

Dorian lui rendit son sourire puis déclara :

  • Il est vrai que sur un point, tu as raison. Je ne serai jamais un Mage Noir.

Il apposa la main sur le cœur du vieil homme qui hurla soudain de douleur. Un courant de magie sortit de la poitrine de l’enchanteur pour entourer Dorian d’une aura bleutée. Son chapeau s’envola, ses cheveux dansèrent autour de son visage. Puis tout s’arrêta d’un coup. Zorgal tomba au sol, enfin libre. Il se redressa en riant.

  • Juste ça ? s’amusa-t-il.

Dorian lui rendit son sourire et s’avança vers lui.

  • J’ai éteint la source d’éther qui t’animait. Tu n’auras plus jamais aucun pouvoir et ceci est un petit cadeau supplémentaire.

Une boule de neige se matérialisa dans la main du jeune mage, elle tourna dans les airs un instant pour devenir un faisceau de glace. D’un geste, Dorian le fit voler vers Zorgal et l’éclat de cristal pénétra profondément dans son cœur.

  • À présent, tu as toute ma peine et tout le poids de ta culpabilité, j’espère que tu sauras vivre avec.

Il tourna les talons et ramassa son chapeau à mesure que Zorgal quittait l’univers de glace pour retourner au monde réel. Syphilis sortit alors de sa cachette neigeuse.

  • Je suis fière de toi, Dorian, déclara-t-elle.
  • Tu n’as pas à l’être, j’aurais dû le tuer, souffla-t-il avec désarroi. Où est père ?
  • Il a bâti une forteresse sur les ruines de la Tour Blanche, il savoure sa victoire là-bas.

Dorian passa une main dans ses cheveux et remit son couvre-chef puis il quitta son monde sans un regard pour l’hermine.

***

Son père avait vu les choses en grand. Un immense mont noir avait pris la place de la Tour. En haut de ce dernier culminait une impressionnante forteresse. Sous les rayons de la lune, elle semblait avoir fusionné avec le pic rocheux. Syphilis se matérialisa sur l’épaule du jeune mage.

  • C’est horrible, n’est-ce pas ? déclara la petite hermine.

Dorian porta son attention sur le familier de son père.

  • Explique-moi, que se passe-t-il ?

Cette question évasive aurait généré des centaines d’interrogations à un être normal. L’hermine tourna son regard vers le jeune homme, comme si elle avait parfaitement compris le sens de sa phrase.

  • Ton père est devenu fou, lâcha-t-elle, à présent que la Tour n’est plus, il veut régner sur ce monde. Je ne peux pas le cautionner, je ne peux pas l’accepter.
  • Alors tu l’as quitté ? compris Dorian.
  • Oui, j’ai rompu le lien magique qui nous unissait pour le reporter sur toi. Ton cœur est pur, Dorian, tu peux faire de grandes choses.
  • Et si je suis mon père dans sa démence ?
  • Alors ce monde sombrera à tout jamais dans le chaos.

Dorian caressa machinalement la tête de l’hermine, assimilant les paroles qu’elle venait de prononcer. Puis il disparut pour se matérialiser dans sa nouvelle demeure. Valérian semblait l’attendre, il était installé devant une grande table, les pieds appuyés nonchalamment dessus. Il dégustait un verre de vin. Quand il vit arriver son fils, il se redressa et posa vigoureusement son calice. Le contenu vermillon éclaboussa le bois ce qui fit douter le jeune homme. La consistance du breuvage paraissait trop sirupeuse pour être du vin. Valérian poussa les restes d’une volaille rôtie.

  • Tu as faim ? demanda-t-il, d’un ton amusé.

Dorian projeta ses sens pour comprendre que ce repas avait été une chouette ou un hibou, un seul nom lui vint en tête : Elminster. Il remarqua alors que les yeux de son père avaient étrangement changé. Ils s’étaient chargés de mort, de mal, de sang, ils avaient viré au rouge vif.

  • Je n’ai pas faim, mentit le jeune homme, je sors.
  • Tu vas fêter ta victoire dans la luxure et le vin.

Dorian haussa des épaules et tourna les talons :

  • Chacun ses vices, aiguillonna-t-il.

Quand il quitta la forteresse, le doute n’était plus permis, la folie avait eu raison de son père, il partagerait à présent sa vie avec un Mage Noir. Il espérait juste ne pas le suivre dans sa frénésie.

***

Dorian était descendu à la cité, il s’était loué un box dans une auberge de la ville mais ni le vin ni la galante compagnie ne pouvaient le dérider. Il se demandait ce qui allait se passer, à présent que son père avait définitivement sombré dans le mal. Ordonnerait-il à Dorian de tuer ? Pourrait-il le faire ? Ce fut dans cet état de confusion, sentant l’alcool le faire parvenir à un point de non-retour, qu’il reçut un curieux visiteur. Un homme encapuchonné se présenta à sa table. Dorian le toisa, la tête lui tournait.

  • Qu’est-ce qu’il y a, étranger ; l’une de ces filles est à toi ?

Son regard engloba les cinq créatures qui lui tenaient compagnie. L’air enjoué de Dorian s’effaça d’un seul coup quand l’étranger s’approcha de lui afin qu’il puisse voir son visage. Le jeune homme paniqua soudain et ordonna à ses compagnes de quitter le box. Les filles se dissipèrent comme une volée de corneilles tandis que Dorian se redressait, le vin le faisait tituber, il modifiait sa perception du monde. Peut-être avait-il rêvé ? Il usa de sa magie pour refermer la porte et la verrouiller. Il leva les yeux vers l’étranger :

  • Ainsi donc, tu es encore en vie ?

Elminster retira la capuche qui lui masquait le visage, on aurait dit qu’il avait pris vingt ans en quelques heures.

  • J’ai fui, avoua le vieil homme.
  • C’était sans doute la meilleure chose à faire.
  • Dorian, il faut que tu m’écoutes, il est primordial de l’arrêter. L’équilibre de ce monde en dépend et…
  • Impossible, lâcha Dorian en finissant d’un trait son verre de vin.

Elminster s’approcha de lui pour le forcer à le regarder :

  • Dorian, tu dois m’aider. Je sais que tu n’as pas tué Zorgal, qu’il y a encore du bon dans ce cœur.
  • Son sort n’est guère enviable, répondit le jeune homme.
  • Dorian, au nom de l’amitié qui m’a lié à ton père, je ne peux le laisser agir ainsi.

C’était sans doute la phrase à ne pas dire, Dorian l’empoigna et le souleva du sol comme une poupée de chiffon.

  • Quelle amitié, hurla le jeune homme ? Tu as trahi mon père, tu as tué Sarah, quelle amitié ?

Il relâcha son emprise et se détourna pour masquer les larmes qui lui montaient aux yeux.

  • Regarde au fond de ton cœur, aurais-je pu lancer un sort de mort ? Sur ton père ? Sur ta mère ?

Dorian continuait à éviter le regard du vieil homme, il lâcha d’un ton désespéré :

  • C’est la seule famille qu’il me reste.
  • Et bien, conclut Elminster, quand tu en auras assez de t’aviner afin de supporter la seule famille qu’il te reste, quand tu auras décidé de faire quelque chose pour que ce monde ne plonge pas dans le chaos, tu me retrouveras chez les elfes. Ne tarde pas dans ta décision, mon garçon, ne tarde pas.

Le vieil homme s’éclipsa sans rien ajouter et Dorian s’effondra au sol en larmes.

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