Chapitre 12 : Un moyen de pression

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La Ruche (Désert du Sahara) : Zone chaude d'Afrique

09 décembre 2121

08h34

Cole Jeydricks

Une turbulence me réveille soudainement. Je suis exactement où je m’étais endormis. Sur le sol dans la soute de l’avion, entouré de nombreuses caisses et faiblement éclairé par des lumières jaunes au plafond. Je me sens un peu mieux, mais je reste faible. Le bruit des moteurs est entêtant et il y a comme une odeur d’essence. Il n’y a que Morgane et moi. Elle est assise sur une banquette, le regard vide et le visage dénué de toute expression. Je me lève et vais m'asseoir à côté d'elle. J'ai du mal à trouver les mots après ce qu’il vient de lui arriver. La dernière fois que j’ai perdu un être cher, c’était il y a dix ans. Je ne sais plus vraiment ce que j’aurai aimé entendre à ce moment-là, mais je me souviens de la douleur et de la colère.

- Ça va ? je lui demande inquiet en réalisant à quel point ma question est ridicule.

Elle ne dit rien et ne daigne même pas me regarder. J'essaie de la réconforter, je sais ce qu'elle traverse.

- Elle nous a sauvé Morgane. Sans elle…

- je sais, me coupe-t-elle en chuchotant. Elle a fait ce qu'il fallait.

- Je suis désolé.

- Moi aussi.

Je ne sais pas quoi lui dire d'autre, j’essaie donc de chercher une lueur d’espoir :

- Elle a peut-être survécu.

- J’espère pas pour elle. Ce qu’ils lui feront s’ils l’attrapent vivante serait pire que la mort, crois-moi, m’explique-t-elle les yeux humides.

- Je comprends ce que tu traverses…

- Je n'ai pas envie d'en parler, me dit-elle froidement.

Je crois que je ne peux rien dire pour l’aider. C’est trop tôt. Je tente donc de changer de sujet :

- Depuis combien de temps vole-t-on ?

- Plusieurs heures, nous arriverons dans moins de dix minutes à la base principale de la résistance. Une fois là-bas on te fera la seconde injection.

Je dois avouer que je n’ai pas vraiment hâte d’arriver pour le coup. Ces paroles sont vides d'émotions. J'ai l'impression de retrouver la femme qui me paraissait si froide dans son laboratoire, sauf que maintenant je comprends pourquoi elle l’est. C'est la souffrance qui la rend ainsi. C’est sa manière de se protéger. Elle se lève soudainement et fouille dans son sac. Elle en ressort un petit tube dont elle snif le contenu. Une fine poudre rose et brillante que je reconnais tout de suite. De la PDB. La drogue qui rend heureux, celle que je prenais et vendais lorsque nous vivions dans le bidonville avec Lana. Elle respire un coup et paraît soulagée puis elle revient s’asseoir près de moi. Je suis mal à l’aise. Cette merde m’a attirée tellement de problèmes.

- J’en prenais régulièrement, fut un temps. Ça m’aidait à moins sentir la douleur, mais ça a fini par faire de moi un déchet, je lui explique tristement. J’étais incapable de m’en passer, et pourtant je le voulais vraiment.

- Comment t’as fait ? Pour arrêter ? Pour être heureux sans ? me demande Morgane, curieuse.

- En fait, j’en vendais aussi à l’époque. C’était il y a presque dix ans maintenant. Un jour, un de mes clients réguliers que je connaissais bien a fait une crise. J’avais plus rien en stock mais il ne m’a pas cru et il a pété un câble.

Rien que d’en parler je sens mon coeur battre plus fort dans ma poitrine.

- Il s’est introduit chez moi avec un couteau et il l’a mis sous la gorge de ma petite sœur en menaçant de la tuer si je lui donnais pas un peu de poudre, je lui raconte en me souvenant de ce jour que je préférerais oublier. Je me rappelle de la folie dans ses yeux. Il était méconnaissable. J’ai paniqué. Je lui ai donné ma dose perso et dès qu’il a lâché Lana je me suis jeté sur lui. J’ai pris son couteau et je l’ai planté au moins une vingtaine de fois. Il y avait du sang partout et il ne bougeait plus mais j’étais incapable de m'arrêter. C’est la première fois que je tuais quelqu’un. Quand je me suis rendu compte de ce qui était en train de se passer j’ai eu comme un électrochoc. Je tremblais comme un fou, j’étais traumatisé.

Le fait d’en parler me donne l’impression de revivre la scène. Morgane me regarde compatissante et semble attendre la suite. Je reprends donc mon souffle et poursuit :

- Je ne devais plus ni prendre ni vendre cette merde. Je voulais pas devenir comme lui et surtout je voulais pas qu’il arrive malheur à Lana. Alors j’ai rejoint la résistance et ils m’ont aidé à arrêter.

- C’est grâce à ta soeur que tu as décroché.

- Oui on peut dire ça.

- Moi j’ai commencé à la fac, m’explique Morgane l’air sérieux. Pour supporter de devoir faire semblant d’être une autre chaque jour de ma vie. Pour éviter de péter un câble en voyant toutes les injustices qu’on doit subir et toute la pression que j’avais sur les épaules. Et quand j’ai commencé à travailler sur Némésis, que j’ai dû torturer tous ces cobayes pour le projet, c’était encore pire.

Elle semble sur le point de verser une larme mais elle se ressaisit juste avant.

- Avoir une personne qui te donne de la force et qui te pousse à devenir meilleur ça peut te sauver. Le problème c’est que moi j’ai personne. Alors je vois pas comment je pourrais arrêter, ajoute-t-elle le regard fuyant.

Je réalise à quel point sa vie doit être difficile malgré le fait qu’elle vive dans la haute zone. Je ne sais pas quoi ajouter, alors je reste près d’elle silencieusement, le temps que nous arrivions à destination.

L'avion atterrit dix minutes plus tard. La grande porte arrière s’ouvre, dévoilant un soleil aussi brûlant qu’éblouissant. Nous descendons sans voir où nous sommes, il me faut bien quinze secondes pour que mes yeux s’adaptent. Du sable à perte de vue. Nous sommes au beau milieu d’un désert. Je remarque quelques silhouettes qui viennent vers nous. Nous sommes accueillis par Fox, toujours parfaitement apprêtée dans son costume gris assorti à ses cheveux lisses, entourée de ses deux gardes du corps.

- Agent Jeydricks, Agent Baile, bienvenue à la Ruche, l’avant poste principal de la Résistance. Où est Cécile ? nous demande la commandante très sérieuse.

- Elle a dû rester à Solaris pour retenir les gardiens qui nous pourchassaient.

- J’en suis désolée. Malheureusement une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule. On a un problème des plus importants.

Je n'ai pas le temps de demander quoique ce soit que Fox nous ordonne de la suivre. Nous obéissons sans un mot. Je ne sais pas ce qu’il se passe mais elle a l’air inquiète et Morgane ne semble pas comprendre plus de chose que moi. Pour l’accueil on repassera... La commandante donne des ordres dans le communicateur à son poignet et une trappe se dévoile sous le sable. Elle s'ouvre, nous descendons puis entrons dans un ascenseur transparent Il se met à descendre, dévoilant un immense hangar d’au moins deux cents mètres de haut. Cet endroit ressemble à la base d’Antoros, en infiniment plus grand. À travers l’ascenseur je peux voir le vide vertigineux sous nos pieds qui se réduit petit à petit. Nous descendons dans une sorte d’immense hall beige complètement vide où il nous est possible de voir chaque étage. Rapidement nous arrivons tout en bas et quittons l’ascenseur. Nous traversons une immense place parcourue de grandes colonnes d’une trentaine de mètres de haut. Cet endroit est impressionnant. Je reconnais l’odeur typique des souterrains qui me rappelle un peu la maison. Fox nous emmène ensuite dans une grande salle, basse de plafond, pleine d'écrans, de consoles, d’hologrammes et de gens s'activant autour. Je remarque dans un coin de la pièce un homme blond de taille moyenne que je crois reconnaître. C’est Chris ! Je lui saute dessus et le sert dans mes bras. Il ne réagit pas. Ses yeux sont rouges, ses cernes noires et son expression m'inquiètent. On dirait qu’il a vu un fantôme. Il me regarde puis dirige ses yeux vers un grand écran près de nous dans lequel se trouve un homme que j'ai déjà vu quelque part. Il est fort, le visage marqué par les combats et l'âge. Ses cheveux sont courts et gris, il semble avoir la cinquantaine. Oui je le reconnais. C'est le commandant en chef des armées du gouvernement, un certain Niler. Un malade qui passe régulièrement sur nos écrans pour nous menacer où procéder à une exécution publique. Il retient avec son bras droit une personne dont le visage est recouvert d'un sac noir et avec sa main gauche, il pointe une arme sur la tête de son prisonnier. Je ne sais pas ce qu’il se passe exactement mais ça ne présage rien de bon. Mon cœur s'accélère, je tente de décrypter ce que je vois mais je suis toujours un peu dans les vapes. Lorsque j'arrive en face de l'écran, le commandant Niler semble me voir car il s'adresse à moi, m'empêchant de demander à Fox de m’expliquer ce qu’il se passe.

- Et bien, c'est vous l'agent Jeydricks ? me questionne Niler avec une voix grave et agressive.

- Oui c'est moi. Qu'est-ce que vous me voulez ? je lui demande avec hostilité.

- J'ai quelque chose pour vous.

Il enlève le sac sur la tête de son otage, dévoilant une jeune fille aux longs cheveux raides et noirs qui ressemble à Laylana. Non, elle ne lui ressemble pas... c'est elle ! Elle a du sang sous le nez et la bouche et des larmes sous les yeux. Mon cœur se serre et mes entrailles semblent essayer de sortir de mon ventre. C'est impossible, ça ne peut être elle. Son regard est plein de dégoût et de fierté, c'est bien celui de ma sœur, mais je ne peux y croire. Je me tourne vers Fox qui semble inquiète et qui est cachée dans un coin de la pièce, hors de la vue de Niler.

- Dites-moi que c'est pas vrai ! je lui ordonne presque, mais c'est Niler qui me répond avec calme.

- Ho que si c'est vrai...

- Toi la ferme ! je lui crie plein de haine dans la voix. Si tu la touches je te promets que je viendrais moi-même te…

- Silence ! N'oublie pas qui tient la vie de ta sœur entre ses mains ! me rappelle-t-il plein de hargne et de férocité.

Et il a raison malheureusement, je ne suis pas en mesure de négocier. Tant qu’il a Lana, il fera ce qu’il veut de moi. Je suis pris au piège.

- Qu'est-ce que vous voulez ? je lui demande en essayant de me calmer, alors que j'ai juste envie d'exploser.

- Vous allez revenir à la capitale vous rendre avec le docteur Baile immédiatement, sinon votre sœur va mourir agent Jeydricks, tout dépend de vous.

Je regarde Morgane, elle le fixe férocement. Je regarde Laylana, il n'y a aucune peur dans ses yeux. Comment est-elle arrivée là ?! Elle semble blessée !

- Lana ? Qu'est-ce qu'ils t’ont fait ? je lui demande, inquiet.

- Rien ne t’en fais pas pour moi, j'ai connu pire, dit-elle en rigolant.

C'est tout elle. Rigoler dans cette situation ! Je suis partagé entre l’envie de la sauver et de la tuer moi-même. Elle ne semble pas réaliser la gravité de la situation.

- Je suis désolée, Cole, reprend-t-elle en voyant mon incompréhension. Je t'ai suivie avec ta moto quand tu es partie, puis je t'ai filé jusqu'au QG des Gouvernementalistes. Ils m'ont vite trouvaient, j’avoue que sur ce coup j'ai mal joué. J'aurais pas dû. Je...

- C'est toi qui as pris l'uniforme sur le soldat que j'avais assommé ? je lui demande en me remémorant la conversation avec le chef du QG.

- Oui, je sais j'aurais pas…

- Trêve de bavardage vous deux ! nous ordonne Niler en nous coupant. Alors Jeydricks, allez-vous venir sauver votre sœur ? Ou la laisserez-vous mourir ?

Je ne peux pas l'abandonner, peu importe ce que ça m'en coûte, je dois la sauver.

- Nous allons venir à la capitale, mais qu'est ce qui nous prouve que vous tiendrez parole ?

- Non Cole ! M'ordonne Laylana alors que Niler resserre son emprise sur elle pour la faire taire.

- Lana tais-toi ! Je ne vais pas t'abandonner et tu le sais !

Cette dernière phrase jette un froid qui dure quelques secondes. Les yeux de Lana deviennent brillants. Elle semble réfléchir tandis que des larmes coulent sur ces joues.

- Je suis désolé, dit-elle la voix tremblante.

Elle prend une grande inspiration et cesse de pleurer. Sa voix est désormais pleine d'assurance.

- Il faut que vous gagniez. Je t'aime Cole, merci pour tout, déclare-t-elle en laissant échapper une dernière larme. Elle saisit la main armée de Niler et appuie sur la détente. L'arme fait feu, tirant une balle qui traverse la tête de Lana. Niler semble sous le choc puis lâche le corps de ma sœur dont la tête est désormais éclatée et méconnaissable. Il y a un mouvement de panique autour de lui puis la vidéo est coupée et l’écran devient noir. Il règne un silence de mort autour de moi tandis que j’essaie de comprendre ce qui vient de se passer.

Non, impossible. Ça ne se peut pas ! Les larmes montent immédiatement, pleines de douleurs et de haine. Je crie à m'arracher les cordes vocales. Je frappe et détruit tout ce qui me passe sous la main. Je lance des écrans, tape sur le mur, retourne un bureau, donne un coup de pied dans une chaise qui s’envole à travers la pièce. Impossible ! Elle n'est pas morte ! Pas elle ! Chris devait la surveiller ! Chris ! Il est là, le regard perdu sur l'écran qui est maintenant noir, les yeux baignés de larmes. Je fonce sur lui et le plaque au sol. Il ne se défend même pas. Il a tué ma sœur ! Elle est morte à cause de lui ! Je le frappe encore et encore en hurlant, jusqu’à ce que son visage soit en sang. Les gardes du corps de Fox se jettent sur moi mais je les repousse sans peine. Fox les retient, personne n’ose agir autour de moi. Ils savent sans doute que rien ne m'empêchera de tuer le responsable de la mort de ma sœur. Je saisis le cou de Chris et serre aussi fort que je le peux. Ses yeux rougissent et sortent de leurs orbites, ses veines gonflent et ses lèvres bleuissent. Quelqu’un essaie d’intervenir mais il n’arrivera pas à me faire lâcher prise. Je sers la trachée de Chris et le secoue comme un fou en lui hurlant dessus. Tout le monde se jette sur moi, m’ordonnant de le lâcher, mais en vain. Il est en train de perdre connaissance quand je sens comme un pincement dans mon cou suivi d’une horrible sensation de brûlure. Je lâche Chris et me retourne pour affronter mes agresseurs. Je suis face à Morgane. Elle a les yeux humides et une seringue vide à la main. Je comprends soudainement ce qu’elle vient de faire lorsque la douleur s'intensifie et se diffuse dans tout mon torse. Ça devient très vite insupportable. Je hurle, cogne dans tout ce qui est à proximité. Je suis à bout. Je sens mon corps en feu, je suis plein de rancœur et de tristesse. Mon cœur est en miettes et j'en veux au monde entier. Je tombe à genoux, épuisé par ma rage. Je prends un dernier souffle et je hurle toute la haine, toute la douleur physique et surtout mentale que je ressens. Je pousse un dernier cri noyé dans les larmes en pensant au visage meurtri de ma sœur puis je perds connaissance.

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