Chapitre 3 : Les adieux

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Arrivé à la maison, à ma grande surprise, je retrouve Lana en train de faire la vaisselle. Elle me salue chaleureusement, son habituelle mauvaise humeur du matin semble s'être dissipée. Ou alors elle essaye simplement de m'amadouer car elle sait qu'elle n'a rien à faire à la maison à sept heures du matin. Cette fois je ne peux pas laisser passer ça. Si je dois la laisser se débrouiller seule, il est temps qu'elle devienne responsable.

- Pourquoi t'es pas en cours Lana ? Tu préférerais être à la place de la plupart des gosses de ce trou à rat ? À trimer dans une usine de merde à la place d'avoir le cul bien au chaud dans une salle de cours ? je lui demande dépité.

- Oula on se calme mon vieux... De un, je ne suis plus une gosse, de deux j'ai l'âge de décider si je vais en cours ou pas, et de trois, t'es mal placé pour parler, répond-t-elle en se moquant gentiment.

J'avoue qu'elle m'a eu sur ce coup. À son âge, j'étais bien pire. Je ne peux m'empêcher de lui sourire.

- Des fois je me demande ce que tu vas devenir.

- Sûrement une très grande délinquante, ou une prostituée, comme tous ceux qui ne vont pas à l'école, ajoute-t-elle ironique.

- Fais comme tu veux... je dis ça pour toi c'est tout.

Elle continue à me parler tout en frottant un bol au-dessus de l'évier.

- Je sais, mais je me débrouillerais très bien sans suivre des cours, qui de toute façon, ne me serviront à rien. Enfin tu comprends... Ça va pas m'aider à survivre dans cette ville de merde de savoir calculer des fonctions de je ne sais quoi, m’explique-t-elle excédée avant de reprendre avec un sourire faussement innocent. Pour survivre je n'ai qu'à faire exactement comme mon frère que je trouve vraiment génial parce qu'il ne m'oblige pas à suivre des cours plus soporifique qu'un somnifère.

- Manipulatrice... si un jour tu as de nouvelles perspectives tu regretteras, lui dis-je en souriant tristement.

- Mmm... peu probable.

C'est l'occasion de lui parler de mon départ mais les mots refusent de sortir. Je ne sais pas comment lui annoncer. Je ne peux pas lui dire la vérité, ça la mettrait en danger et elle s'inquiéterait encore plus. Je vais donc devoir la laisser seule sans qu'elle sache exactement pourquoi et elle va me haïr pour ça. Rien que d’y penser j’en ai les mains moites.

- On a peut-être une chance tu sais, de prendre notre revanche sur le haut peuple.

- Je vois pas vraiment comment on pourrait, déclare-t-elle pensive.

- Je ne sais pas, je sais qu'un jour la roue va tourner...

- D'habitude c'est moi l'optimiste de la famille, me dit Lana en rigolant.

Elle perd vite son sourire lorsqu’elle se rend compte que je suis nerveux. Elle s'arrête de frotter et se tourne vers moi. Mon pouls s'accélère, je dois arrêter de me défiler, c'est maintenant ou jamais !

- Qu'est ce qu'y a ? me demande-t-elle inquiète.

- Je vais devoir m'absenter, Lana.

- Comment ça, t'absenter ?

- Je vais devoir partir ce soir, je ne sais pas combien de temps, je ne sais pas si je vais revenir, mais je n'ai vraiment pas le choix, je lui explique désolé.

- Hein ? Et pourquoi ? Je comprends pas... me dit ma petite sœur, l’air perdue.

- Je ne peux rien dire, c’est confidentiel je suis...

- C’est confidentiel ?!

Elle commence déjà à s'énerver. Je reconnais bien là ma sœur. Elle essaie de retrouver son calme et poursuit :

- Ils t'ont envoyé en mission c'est ça ? Le rendez-vous c'était pour ça ?

Je ne dis rien et elle reprend :

- Tu sais que tu peux me faire confiance Cole... Tu peux me le dire, à moi !

- Tu as toute ma confiance, tu le sais, mais pour la mission et pour ta sécurité...

- Arrête de me protéger ! me coupe-t-elle en s’emportant. J'ai pas besoin de ça ! J'ai besoin de personne pour ça ! Dis-moi juste la vérité ! Tu peux au moins me dire pourquoi tu veux me laisser seule dans cet endroit merdique !

Sur ces mots mon cœur se sert, je me sens coupable. Mais je me sentirais encore plus coupable d'abandonner la mission, et avec, notre meilleur espoir de retrouver notre liberté. Je le fais pour le bas peuple, mais je le fais surtout pour Lana. Elle mérite une vie digne de ce nom, peu importe à quel point elle me détestera, je suis prêt à faire ce sacrifice. Je crois.

- Je ne te laisse pas seule, Chris m'a promis de rester avec toi, il passera te voir dès ce soir. Puis si tu as besoin les Résistants t'aiderons et...

- Emmène-moi avec toi ! Tu sais que je suis prête, peu importe la mission ! me coupe-t-elle en me suppliant.

- Non Lana, c'est impossible.

- Tu vas vraiment partir sans rien me dire ? me demande ma sœur, le regard effrayé.

- J'aimerai pouvoir, je t'assure...

- T'as toujours dit qu'on resterait ensemble... Si tes paroles ne valent rien tu peux partir, je me débrouillerai mieux sans toi.

Lana me dit ça la voix pleine de reproches, puis elle se dirige énervée vers sa chambre. Je la suis, lui demande de se calmer et de revenir parler avec moi mais elle me claque la porte au nez. Je tente de la raisonner, elle fait la sourde oreille. Je lui dis à quel point je suis désolé, elle ne répond toujours pas. Je ne peux pas la quitter comme ça, je vais la laisser se calmer et j'irai lui parler avant mon départ.

Les derniers mots de Lana résonnent dans ma tête. "T'as toujours dit qu'on resterait ensemble... Si tes paroles ne valent rien tu peux partir, je me débrouillerai mieux sans toi". Elle est bien la seule personne capable de me blesser à ce point, juste avec des mots. Je sais qu'elle ne le pense pas, qu'elle a dit ça sous le coup de la colère mais j'avoue qu'un coup de couteau m'aurait fait bien moins mal.

Je tourne dans la cuisine, range un peu et fini de faire la vaisselle. Je prépare des pâtes à la bolognaise, sans viande bien sûr, Lana déteste ça. C'est un peu un repas de fête ici, mais je sais à quel point ma sœur aime ça. Puis c'est la seule chose que je sache cuisiner... C'est elle qui s'occupe des repas en général. Je sais que ça ne m'aidera pas vraiment à me faire pardonner, mais au moins ça me permet de penser à autre chose, et puis c'est peut-être la dernière fois que je mange, autant en profiter.

- Lana vient j'ai une surprise pour toi ! je lui crie à travers la porte de sa chambre, sachant que de toute façon elle à bien sentie l'odeur et sait donc très bien ce que je lui ai préparé.

J'entends le bruit d'un objet qui vient heurter sa porte violemment. Apparemment elle ne s'est toujours pas calmée. J'abandonne une nouvelle fois et je vais manger. Seul. Au bout de quelques fourchettes je suis déjà plein, je n'ai pas d'appétit, je suis bien trop préoccupé par Lana et la mission. Je mets nos assiettes dans le mini garde-manger qui nous sert de frigo et fait le tour de l'appartement comme pour lui dire adieu. Je ne peux pas dire que je l'aime vraiment, mais ça reste l’endroit où je retrouve ma sœur chaque soir. Ça reste chez moi. En revanche, je ne suis pas triste de quitter la zone chaude. Je hais cet endroit. Trop de pauvreté, de gris et de malheurs. Je ne veux pas finir ma vie ici à attendre que les choses s’améliorent d’elles mêmes. Si je veux du changement je vais devoir me battre pour l'avoir.

Les heures défilent et Lana ne s'est toujours pas montrée lorsque Chris arrive, comme il me l’avait promis. Je l'accueille, lui parle de mes difficultés à la faire sortir puis il essaie à son tour mais ne récolte que le silence. Nous allons nous asseoir autour de la table en attendant qu'elle se décide à nous adresser la parole.

- Je peux pas partir comme ça, Chris. J'ai perdu mes parents, mon meilleur ami, ma petite amie... À part vous deux j'ai personne. J'ai pas envie qu'elle me déteste, j’avoue à Chris, désespéré par la situation.

- Elle finira par comprendre, Cole.

- Surveille-la bien s’il te plait. Elle peut être très impulsive.

- Ça me rappelle quelqu'un tiens ! s’exclame-t-il.

Ça remarque me fait sourire mais il n’a pas tord. Je suis très impulsif, et sans doute encore plus que Lana. Ça doit être de famille.

- Tu sais mon vieux, moi non plus à part vous deux, j'ai plus personne. Alors crois-moi je la lâcherais pas d'une semelle, tu peux me faire confiance, me dit-il avec un sourir rassurant avant de reprendre plus sérieusement. Tu pars pour une bonne raison, ça j'en ai aucun doute et elle non plus. Mais putain si tu reviens pas au moins avec la tête du gouverneur Malorne... je te botte le cul !

Il n’y a que Chris pour réussir à me faire rire dans un moment pareil. C'est pour ça que je l’aime autant. Il est toujours positif et heureux malgré toute la merde qui nous entoure. Du moins c'est ce qu'il fait transparaître. Je sais que son humour cache souvent ce qu'il ressent vraiment. Il est un peu comme moi.

- Me faire botter le cul par le blond... quel déshonneur, lui dis-je pour l'embêter avec un sourire provocateur.

Il me fait un doigt et rigole.

- Tu pourrais peut-être vivre ici avec elle pendant mon absence ? je lui propose en connaissant déjà sa réponse.

- Y'a aucun souci. Même si vivre avec Lana est sûrement un cauchemar vu son caractère...

- Je sais que tu arriveras à la supporter, lui dis-je amusé par sa remarque. Merci Chris.

Chris et moi parlons depuis plus d'une heure lorsque Lana se décident enfin à sortir de sa chambre. J'ai à peine le temps de me lever et d'ouvrir la bouche qu'elle me coupe :

- Je sais que tu ne me laisserais pas si ce n'était pas très important, je ne t'en veux pas, je comprends. Mais tu es ma seule famille, alors...

Je la prends dans mes bras et la sert fort avant qu'elle ne se mette à pleurer, elle en fait autant. Je sens une larme couler sur ma joue. Je ne saurais dire à quand remonte la dernière fois que j'ai réussi à pleurer. Pas que ça soit l'envie qui m'en manque, pour être franc. Ni une histoire d'égo, ça serait ridicule. Mais je n'ai pas réussi depuis des mois. Je suis soulagé d'avoir son approbation. Je me sens plus léger.

- Essaie de revenir s'il te plaît, me chuchote-t-elle à l'oreille.

- Je vais tout faire pour, je te le promets. Je suis fière de la femme que tu deviens. Reste forte et courageuse. Reste aussi honnête, juste et généreuse que tu l'es, parce que de nos jours ce sont des choses rares. Je t'aime tu sais, je lui dis la gorge serrée.

- Je sais...

- Et occupes-toi bien de Chris s'il te plaît.

- T'es con, répond ma sœur en rigolant dans mon épaule. Je vais essayer, mais tu feras bien ce que je te dis, ok le blond ? ajoute-t-elle en s'adressant à Chris.

- Plutôt mourir que d'obéir à une gamine en pleine crise d'adolescence, lui répond-il avec un sourire narquois.

Je fais signe à Chris de nous rejoindre et il nous prend tous les deux dans ses bras. Nous sommes au milieu de la cuisine, tous les trois enlacés. Tout ce qui m'importe est ici, dans mes bras. Mon meilleur ami et ma petite sœur. Je profite de cet instant lorsque Lana intervient :

- C'est d'une niaiserie sans nom, je vais gerber...

Sa remarque déclenche un fou rire général. Il est vrai que nous ne sommes pas aussi démonstratif habituellement. Son humour va me manquer.

- Promettez-moi tous les deux de rester ensemble et de veiller l'un sur l'autre, je leur demande en retrouvant mon sérieux.

- Promis, me répond Chris solennel.

- Promis, ajoute Lana après un temps de réflexion.

Mon oreillette grésille et un homme à la voix grave me préviens qu'il m'attend en bas de l'immeuble. Mon coeur se serre... J’aurais aimé que cet instant dure un peu plus longtemps. Peut-être même pour l’éternité. Après tout, n’ai-je pas déjà tout ce qu’il me faut ? Est-ce que je ne risque pas de tout perdre à vouloir plus ? Non je ne dois pas penser ainsi. Nous méritons mieux que cette vie. Puis comme me l’a dit la commandante Fox, maintenant que j’ai accepté la mission, il m’est impossible de revenir en arrière. Si je me dégonfle, j’en saurais trop à propos de l’opération Titan et je serais donc une menace pour la mission. Je sais que la Résistance fera toujours le nécessaire pour éviter tout risque de fuite. Quitte à m'éliminer. Je n’ai plus le choix.

- Je dois y aller maintenant, leur dis-je.

- Bonne chance grand-frère, me dit Lana en reniflant.

Nous nous lâchons, j’embrasse ma sœur sur le front et elle retourne s'enfermer dans sa chambre, les joues brillantes de larmes. J’ai mal, ma gorge est comme nouée mais c’est ainsi, je dois l’accepter. Je prends Chris une dernière fois dans mes bras. Ces yeux sont au moins aussi humides que les miens.

- Prend soin de vous deux mon vieux, je lui dis la voix tremblante et le cœur lourd.

- Te fais pas de souci Cole. Reviens nous en entier s'il te plaît.

Je quitte l’appartement et descend les escaliers sans me retourner. Arrivé en bas, je lâche tout ce que j’ai retenu devant Lana et Chris et m’écroule sur le sol, en larme, tout en cachant mes yeux derrière mes mains. Impossible de retenir le torrent qui coule sur mes joues. J’ai l’impression que tout s'effondre autour de moi. Je pleure comme je n’ai jamais pleuré. C’est fait, je suis parti, j’ai fais mes adieux à ma famille et c’est maintenant que je me rends compte du point auquel je l’aime. Mais rien n’est perdu, je dois me ressaisir, je vais y arriver, je reviendrai. Je crie un bon coup et frappe de toutes mes forces sur le mur pour me défouler puis je reprends mes esprits. Je respire profondément, je sèche mes larmes et me redresse. Je dois rester fort. J’ai une mission à accomplir.

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