Chapitre 10 - Agathe

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Ada transféra les données récupérées sur le serveur sur une puce pour Jack. Elle passa sous silence toutes les informations qui concernaient ce mystérieux bâtiment énergivore. Elle aura surement envie d’y faire un tour, pour découvrir ce qu’il cachait.

Elle décida de remettre cette enquête à plus tard et de rejoindre Jack, leur contact, qui les attendait au « Chat noir ». C’était samedi soir et l’ambiance était électrique. Le son du saxophone et de la contrebasse résonnait dans la rue, attirant les foules. Ada et Léo se faufilèrent dans une file d’attente. Le videur les laissa passer sans encombre en reconnaissant Léo. Ils entrèrent dans le club, plongé dans la pénombre, et se dirigèrent vers le fond de la salle, où Jack les accueillit avec un large sourire.

Le bar était bondé de monde. Des serveurs en costume noir et blanc se faufilaient entre les tables rondes. Des lampes à abat-jour diffusaient une lumière tamisée. Sur les murs, des affiches de jazzmen célèbres côtoyaient des photos en noir et blanc du vieux Paris. Sur la scène, un quartet jouait un morceau entraînant, sous les applaudissements du public.

Mais le club avait beaucoup changé depuis le début de soirée. Les amateurs de jazz se faisaient moins nombreux et étaient remplacés par des marginaux de tout genre, qui venaient chercher des informations, des contacts ou de l’espoir. Des écrans holographiques projetaient des flux d’actualités, des publicités ou des messages codés qui contrastaient avec la décoration plus sobre des photos noir et blanc. Des joytoys aux implants cybernétiques offraient leurs charmes aux clients les plus généreux.

— Bonsoir, mes amis ! Vous avez réussi ? demanda-t-il.

— Oui, sans problème. Voilà des données de la centrale électrique, cela pourra vous servir plus tard. Répondit Ada en tendant la puce dans sa pince.

— Parfait ! Vous avez fait du bon boulot ! Venez, je vous offre un verre pour fêter ça ! dit Jack en les entraînant vers le bar. Vous savez que je connais un bon charcudoc qui pourrait vous mettre une main cybernétique comme un rein.

— Merci, c’est sympa. Mais on ne peut pas rester trop longtemps, on a d’autres choses à faire. Et pour mon rein, je préfère les garder les deux, dit Ada en jetant un regard vers la sortie.

— Quoi donc ? Vous avez une autre mission ? s’étonna Jack en commandant trois whiskys.

— Non, pas exactement, dit Ada en baissant la voix.

— Alors, trinquons à votre prochain contrat.

— A la vôtre ! dit Jack en levant son verre.

— A la nôtre ! répondirent Ada et Léo en faisant de même.

— Dites-moi, vous êtes ensemble depuis longtemps ? demanda Jack en les regardant avec curiosité.

— Depuis quelques jours, dit Ada en souriant.

— Et vous êtes tombés amoureux ? insista Jack en sirotant son whisky.

— Pas exactement, dit Léo en haussant les épaules. Il remarqua que Ada devenait rouge. On est plutôt des partenaires, des amis. C’est tout.

— Allez je vous laisse les amoureux, ricana Jack, je dois m’occuper d’une affaire urgente. Tant à toi Ada, je t’attends demain soir, si tu veux te faire quelques Euros.

Ada attendit que Jack s’éloignât et se concentra malgré le vacarme du bar en espérant que seul Léo était à ses côtés.

— Tu es là Lèo ? demanda Ada à voix basse.

— Oui Ada, répondit-il en se rapprochant d’elle.

— On pourrait rentrer, s’il te plait, j’ai mal à la tête.

Ada et Léo se dérobèrent du bar en ignorant Jack. Ils se frayèrent un chemin dans les rues sombres et sales de la banlieue, assaillis par les bruits et les odeurs de la ville. Ada avait mal à la tête, elle était prise de vertiges. Elle savait que c’était à cause de son implant neural, qu’elle avait trop utilisé pendant la mission. Elle se collait au bras de Léo, qui la réconfortait avec tendresse. Il lui chuchotait à l’oreille, essayant de la détendre, de la distraire, de la faire sourire.

Ils traversèrent le bidonville où ils vivaient. C’était un amas de tôles, de planches et de bâches qui s’étendait sur des kilomètres. Des milliers de gens y survivaient tant bien que mal, des enfants jouaient dans les détritus, les dealers proposaient leur marchandise aux passants. Elle s’appuyait sur Léo, qui la guidait avec douceur. Il lui décrivait ce qu’il voyait, essayant de lui faire oublier la misère ambiante. Il lui décrit les graffitis sur les murs, les fleurs qui poussaient dans les interstices, les sourires des gens qu’ils croisaient. Il lui disait qu’il était content de vivre avec elle, qu’il aimait partager son toit avec elle, qu’il la considérait comme sa nièce.

Ada et Léo arrivèrent enfin devant la cabane de Léo. C’était une petite construction de fortune, faite de bric et de broc, qui se fondait dans le décor du bidonville. Mais à leur grande surprise, ils virent une silhouette les attendre devant la porte. C’était une femme, vêtue d’un long manteau noir et d’un chapeau qui dissimulait son visage. Elle tenait une mallette à la main, comme si elle s’apprêtait à partir ou à arriver. Ses yeux étaient cachés par des lunettes noires, mais son sourire énigmatique trahissait une certaine malice. Elle avait des cheveux bruns coiffés. Elle les regarda s’approcher avec un air de connivence.

— Je suis fort ravie et enchantée de vous rencontrer Monsieur, Madame, dit-elle en faisant une révérence. Léo reconnut tout de suite la silhouette, même s’il ne l’avait jamais rencontrée. Il n’y avait qu’une seule personne dans le quartier qui se comportait de la sorte. C’était la servante du Vicomte.

— Qui est-ce ? demanda Ada à Léo.

— Je t’expliquerai plus tard, chuchota Léo à l’oreille d’Ada.

— Je suis vraiment désolée de vous importuner à cette heure si tardive, mais je serais extrêmement ravie si nous pouvions discuter Dame Ada et moi-même dans votre humble demeure.

— De quoi voulez-vous parler ? demanda Ada avec méfiance.

— Bien sûr, veuillez entrer, Madame, dit Léo en bafouillant. C’était la première fois qu’Ada remarquait l’absence d’assurance dans la voix de Léo.

— Je vous remercie grandement Votre Grâce, répondit la femme avant de rentrer avec prudence et élégance. Après quelques pas à l’intérieur de la pièce principale, qu’elle scruta avec professionnalisme, elle se raidit de toute sa taille devant Léo et Ada qui la suivaient. Ada sentit son parfum capiteux et entêtant qui contrastait avec l’odeur de misère du bidonville.

— Je suis honorée d’être la messagère d’un présent qui vous a été accordé par le Vicomte. Certes, je suis impardonnable. Appelez-moi Agathe, expliqua-t-elle. Son Altesse a fort apprécié votre dévouement pour alimenter en électricité le quartier, et il vous prie de lui rendre un service.

Agathe s’approcha et ouvrit son coffret. Elle le retourna vers Léo.

— Deux optiques tout droit sorties des laboratoires Cybergen. Elles sont faites pour toi, Ada. Oyez ce tintement métallique ? C’est le son de la franchise. Ada entendit le cliquetis des objets métalliques dans l’écrin et frissonna. Elle se demanda ce que le Vicomte attendait d’elle en échange de ces prothèses.

— Quelle est la contrepartie ? demanda-t-elle d’une voix rauque.

— Juste ouvrir un coffre avec verrouillage numérique, en utilisant vos talents que vous avez si bien démontrés à la centrale. Je serai votre écuyer, à vos côtés pour m’assurer que vous ne rencontrez aucun problème, proposa Agathe.

— Et pourquoi moi ? Je ne suis pas la seule hackeuse dans l’entourage du Vicomte ?

Elle huma l’air et sentit une odeur de parfum envoutant de Agathe. Cela confirmait qu’Agathe était une femme élégante et raffinée, mais aussi froide et calculatrice.

— Bien sûr que non, mais il faut faire vite, et vous êtes celle qui demeure dans la chaumière la plus proche. Répliqua Agathe. D’ailleurs, si vous acceptez, il faudrait partir maintenant.

— Si je peux me permettre, dit Léo, qui était resté à l’écart jusqu’à présent, tu devrais y aller, c’est la seule opportunité que tu trouveras pour sortir de ce taudis. Ce n’est pas avec les missions de Jack que tu pourras t’en sortir. Tu viens de la haute Paname, si quelqu’un peut t’aider à remonter les marches c’est bien le Vicomte. Agathe sortit une montre à gousset de son manteau avec délicatesse.

— Je suis vraiment désolée de vous presser dame Ada, mais il faudrait qu’on y aille.

Ada se sentait submerger par des émotions, des sensations, des confrontations qu’elle ne comprenait pas. Elle ignorait tout de ce monde qu’elle explorait à tâtons. Elle se croyait étrangère, intruse, impostrice. Elle se laissait mener, sans contrôler sa vie. Elle n’avait aucun souvenir, aucun repère. Elle ne savait même pas son nom, ni à quoi elle ressemblait. Elle ne savait pas ce qu’elle faisait ici, ni ce qu’on attendait d’elle. Rien ne lui revenait en mémoire depuis une semaine, pas même un fragment de sensation, un écho de voix. Elle se demandait si elle avait eu une vie avant, ou si elle était née dans ce bidonville ou dans la haute comme le disait Léo. Avait-elle une famille, des amis, des ennemis ? Des ennemis, elle en était sûre, mais la croyaient-ils morte, la cherchaient-ils ici ? Elle se demandait si elle avait un but, un rêve, une passion. Elle se demandait qui elle était vraiment. Elle était perdue. C’était un fait, mais elle refusait que ce soit son destin. Jusqu’à présent, Léo lui avait toujours prodigué de bons conseils. Elle allait encore une fois lui faire confiance et saisir cette chance.

— OK allons-y lâcha Ada.

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