Chapitre 8 : Les Douches (1/2)

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Les cliquetis que font pattes des NanoCaméras au plafond me glacent le sang. Des milliers de petites bestioles sculptés pour ressembler à des insectes grouillent dans les ténèbres d’un couloir peu éclairé. Leurs petits yeux rouges luisent d’un éclat malsain. J’ai l’impression que tous leurs regards sont fixés sur moi.


— Ben alors, H66. On n'aime pas le service sécurité du dédale ? se moque un garde en me poussant du bout de sa matraque. Tu devrais les voir... quand elles deviennent agressives. De vraies petites pestes !


Ignore-le ! Ignore les voix ! Pense à autre chose !


Après m’avoir un peu arrangé le portait pour ne pas perdre la face devant ses hommes, le Colonel Gamma m’a refourgué à une petite escouade de gardiens. Des gars du Capitaine, bien remontés contre l’Intact qui a ridiculisé leur chefaillon. Ils m’ont sorti de la cellule par la peau du coup. Puis, ils m’ont encerclé, matraque au poing et Ficheuse bien harnaché à leur ceinture, pour m’escorter je ne sais où.


— Les Grouillantes sont le cadet de ses soucis, s’amuse un autre de ses camarades à ma droite. Entre les C qui veulent sa peau, les E qui veulent ses Nanos et les F qui craignent une montée des H dans la Guerre des Cellules... Ce petit con d’Intact n’a aucune chance.

Ils sont quatre. Deux sur les côtés, un devant et un derrière. Certaines voix dans ma tête ont déjà établi un plan d’attaque pour les mettre hors d’état de nuire. D’autres me hurlent de me mettre en boule et d’arrêter de respirer pour faire le mort. J’essaie de me concentrer sur autre chose pour éviter de me laisser aller. Pour éviter de m’attarder sur la vision de ma peau constellée de taches de toutes les couleurs. Celles-ci se livrent un combat sans pitié pour occuper le plus large espace d’épiderme possible. La sensation de fourmillement ne s’atténue pas, comme si une partie rebelle de mon corps luttait pour les faire sortir sans jamais y arriver. Je me dégoûte.


— Cazaban veut personnellement lui arracher sa petite face de barbare, grogne un type aussi large qu’une allumette. Je doute que quiconque ne lui vole ce plaisir.


Ma sortie de cellule a été brutale. Rien ne ressemble plus à ce que j’ai connu à mon arrivée. Disparue la mezzanine et les détenues Sup. À la place, un plafond agrémenté de quatre spots d’une lumière aveuglante. Les murs brillent maintenant d’une propreté immaculée, rehaussés par l’éclat fulgurant des projecteurs. Le sol a été si récuré qu’on peut y voir son reflet. Dans une immense salle rectangulaire, ma cellule jouxte celle des E et fait face à celle des G, elle-même voisine de celle des F. Un parfait carré magique.

Quant autres Inférieurs, aucune trace à l’horizon. Dans l’immense salle vide, je n’ai entendu que le claquement des bottes des gardes et les ailes des NanoCam toujours présentes. Les portes en NanoVitres entrouvertes m’ont laissé percevoir des cellules aux dimensions bien plus impressionnantes que celle des H. À l’exception de celle des G dont aucun détenu n’a survécu à la Purge. Les Nanovitres de celle-ci sont fermées, mais pas opaques. N’importe qui peut voir les dégâts provoqués par l’explosion.


— Tu parles ! Les D sont aussi sur le coup. Tuer ce minable c’est récupérer les Nanos de C4 ! Se foutre de la gueule de Cazaban, c’est insulter les C dans leur ensemble. La Guerre des Cellules ne s’arrête jamais.


Ils m’ont fait traverser le rez-de-chaussée en m’agonisant d’injures. Les coups donnés par leurs matraques font mal. Leur cuir est fait d’une matière qui repousse les Nanos et provoque ainsi une douleur mordante. Je crois qu’ils ont été surpris de me voir sourire après quelques coups bien sentis. Quel plaisir de se sentir à nouveau un homme ! Sans douleur, on ne peut pas profiter des plaisirs que nous offre la vie. Et puis comme le disait mon père : “Tant que t’en chies, c’est que t’es en vie”.


— Moi je connais deux trois gars de notre équipe qui seraient prêts à leur faciliter le travail, grogne le type derrière moi. Le Colonel à beau l’...


— La ferme Paul ! le coupe son collègue à gauche en s’arrêtant d’un coup.


Le petit groupe pile d’un commun accord. Moi, je me mange l’épaule recouverte de duro-cuire du garde de devant. Je les regarde s’éloigner de quelques pas pour échanger entre eux des murmures furieux. Mon ouïe pourtant fine ne capte rien de leur charabia et je replonge dans mes pensées.

Les gardes m’ont fait longer la cellule G pour arriver au bout de l’Arène. L’un des types, celui aussi épais qu’une feuille de papier, a plaqué sa Ficheuse contre une espèce de renfoncement dans le mur. Un pan de celui-ci s’est ouvert sur le couloir glauque dans lequel je végète en ce moment même.


— On peut quand même lui faire passer l’envie de... s’agace à voix haute un des types avant de se faire reprendre pas un de ses collègues. Entre lui et ces foutus Beta qui s’amusent à refondre l’Arène tous les quatre matins sans nous donner les nouveaux plans...


Les quelques lumières halogènes dispersées à plusieurs mètres d'écart brillent moins que les yeux rouges des bestioles au plafond. Les NanoCaméras en forme d’insectes, les “Grouillantes”, évitent la faible lumière des lampes. Jusqu’ici, aucune intersection ou porte de discernable. Sans Ficheuse, impossible de se repérerez dans l’Arène. Surtout si les murs bougent sur commande.


— … La douche des Inf’ se terminera dans 55 minutes... Assainissement des Cellules enclenchées...


La voix hachée qui s’échappe d’un de leur bracelet tactile fait bondir les compères de surprise. Ils se reprennent bien vite et m’encerclent à nouveau. En silence cette fois-ci. Bien plus pressés qu’auparavant, ils me bousculent et me font emprunter une multitude d’embranchements qui ne se dévoilent qu’au contact d’une Ficheuse. Après quinze minutes de marche à ce train-là, des voix émergent au bout d’un énième couloir.


— Mais qui voilà : des Delta en perdition, s’amuse un garde hilare en tapant l’épaule d’un de ses camarades. Vous en avez mis du temps. N’est-ce pas Paul ?


— Ouais ! répond son comparse avec un sourire qui dévoile des dents limées avec soin. C’est que l’Intact, c’est un dur. Tu sais quoi, Toufik ? Paraîtrait qu’il a foutu en rogne leur Capitaine. Pas vrai les loupiots ?

Les deux nouveaux gardiens sont postés devant un mur incolore. Leur uniforme diffère légèrement de ceux des cerbères qui m’ont escorté. Le leur est gris avec des rebords noirs, là où celui des hommes du Capitaine est gris liseré de bleu. Les Delta ne possèdent qu’une Ficheuse et une matraque. Ces gars-là sont bien mieux équipés : leurs mains sont protégées par des gants dans la même matière que les matraques, au côté de leur Ficheuse, sont accrochée deux armes de poing. Même leur plastron n’a pas l’air d’être fait en duro-cuire, il accroche la lumière et ne fait aucun bruit quand ils bougent. Leurs bottes sont taillées dans la même matière. Ces connards doivent être de vrai petit ninja, impossible à repérer de loin.


— Allez vous faire foutre, crache l’un des gars du Capitaine en me poussant avec force en direction d’un Paul tout prêt à me réceptionner. Si les Beta ne s’amusaient pas à changer les plans de l’Arène tous les quatre matins, on irait tous bien plus vite.


Paul m’attrape par le bras d’une poigne si forte que mes jambes en tremblent. Ses putains de gants lancent des mini décharges qui font débloquer toutes mes Nanos. Les taches sur ma peau prennent une teinte noire et s'éparpillent en une sarabande dantesque. Dans ma tête, les voix deviennent hystériques. La brume rouge de la folie se dépose sur le monde qui m’entoure. Je suis à deux doigts de craquer.


— Oh ! On a oublié de vous faire passer le mémo ! Ce qu’on peut être étourdi, nous autres les Beta, se lamente Toufik en s’adossant avec nonchalance au mur.


Les quatre hommes du Capitaine Delta ne rentrent pas dans leur jeu. Ils préfèrent faire dos rond, ignorer les moqueries et s’éloigner sans un regard pour ma pauvre pomme. Aux prises avec les voix hargneuses et la douleur des décharges envoyées en continu par la poigne de Paul, je laisse échapper un gémissement pitoyable.


— Tiens, je l’avais presque oublié celui-là, ricane Paul en accentuant la pression. Tu nous as bien fait rire, Intact.

Toufik se redresse, un sourire plaqué aux lèvres, avant de passer sa Ficheuse contre le mur. Une fois encore, une large ouverture s’effectue pour laisser cette fois si s’échapper une vapeur corrosive. Les portes de l’enfer doivent ressembler à ce passage qui donne sur des ténèbres brûlantes.


— Si j’étais toi, H66, vient-il me murmurer à l’oreille en m’agrippant le bras libre. Je mettrais fin à ma vie au plus vite. Ici, on ne peut mourir que les jours de Purge, mais entre temps...


— Ce que mon camarade essaie de te dire, le coupe Paul en se rapprochant lui aussi. C’est que dans l’Arène, la mort peut parfois se révéler être une bénédiction. Un moyen pour les plus faibles de faire s’arrêter un long tourment.


Toufik glousse d’un rire malsain. Ses gants ne me lancent pas de déchargent, mais provoquent un engourdissement qui paralyse mes Nanos avec une efficacité redoutable. La brume rouge disparaît, vite remplacée par de petites étoiles. Ces idiots vont finir par me faire tomber dans les pommes avant d’avoir fini leur petit laïus.


— On t’a à la bonne Intact, susurre d’une voix bourrue Toufik. Tu as foutu le bordel entre les Gamma et les Delta. Un véritable plaisir pour nous autres. Du coup, écoute ce proverbe d’Arène et prends-en de la graine...


— “Mieux vaut une mort choisie, qu’une souffrance subie”. Les détenus ont trouvé bien des moyens pour donner envie à leur victime de se foutre en l’air avant une bonne vieille Purge. Alors, choisie bien, me lâche Paul avant que d’un même geste lui et Toufik me jettent avec brusquerie dans la bouche de l’enfer.

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