Chapitre 6 : Bienvenue (2/2)

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— Mauvaise réponse, chantonne Mackenzie en applaudissant. Recommence.


— Va te faire foutre, je rétorque en crachant au pied de Mako.


Mes Nanos se précipitent pour combler le nouveau trou en une vague d’irritation qui me fait grincer des dents. Les voix dans ma tête m’enjoignent de m’arracher une des barres pour la planter dans la gorge dégagée de Michael. Certaines exposent des plans d’attaque de plus en plus tentants. D’abord Michael, puis se servir de Mako comme bouclier face à Mackenzie…


— Les toxicomanes, oui, reprend Michael d’un ton dégagé malgré un énième grognement dédaigneux de la part de Mako.


— J’ai l’air d’un camé, s’indigne Mako en faisant tourner une autre barre dans mon ventre douloureux.


Je l’aime de moins en moins. Les voix me susurrent à l’oreille des tortures délicieuses.


— Mais pas seulement, l’ignore Michael. Toutes les coquilles vides de la NanoRé qui ont fait les mauvais choix. Les parasites. Ceux qui n’ont aucune chance de survie dans l’Arène…


Il me regarde en haussant les sourcils, comme s’il voulait tester mes capacités de déductions. « Montre tes cartes seulement si tu es sûr de gagner ou de perdre », me disait mon père. On n’avait pas de jeu de cartes à la maison, mais c’était un grand amateur d'images en tous genres.


— Les Intacts ? j’essaye en lui envoyant mon regard le plus innocent.


Mako tire sur une tige en métal sans la retirer en entier. Fichtre ce que ça fait mal, puis ce que ça démange. La vision des taches de couleur sur ma peau qui s’empressent de grignoter mes plaies pour les soigner me révulse toujours autant. Le bruit du rebond s’arrête et Mackenzie s’approche enfin pour attraper l’autre tige en fer qui bloque ma main gauche.


— L’Assainissement se finira dans quelques minutes maintenant, dit-il d’un ton sérieux pour la première fois. Plus le temps de jouer.


Il arrache la barre de fer et ne recule même pas en me voyant relever le bras avec brusquerie.


— On met chez les H ceux qui vont mourir et ceux qu’on veut voir mourir. À notre arrivée, les gardiens font un récapitulatif de nos Nanos et suppriment celles qu’ils trouvent trop dangereuses. Ils en droguent d’autres de force pour les faire passer pour de simple camé.


— Ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux avec des NanoCap de dissimulation plus élaborée que les machines de l’Arène, complète Mako en arrachant la dernière barre de mon ventre d’un geste souple. Comme nous.


Michael s’occupe du dernier rempart à ma liberté avec une désinvolture qui fait peur. Il se penche vers moi assez près pour que son nez frôle le mien.


— Nous n’aidons jamais les nouveaux lors de leur première Purge. C’est une règle de l’Arène. Il faut montrer ses capacités de survie. Un détenu qui survit à son baptême du feu devient par la suite véritablement membre de sa Cellule. Donc que tu le veuilles ou non, H66, tu es un H. Tes emmerdes sont les nôtres, tes ennemis sont les nôtres et inversement.


— Comme si on en avait avant son arrivée, murmure Mako en passant néanmoins ses mains vertes de Nanos au-dessus de mes blessures pour accélérer la cicatrisation par mes propres Nano.


Mackenzie s'accroupit lui aussi à mes côtés pour me parler d’un ton aussi coupant que les griffes aiguisées de Mako.


— Tu ne nous fais pas confiance et inversement, mais tu as autant besoin de nous que nous dépendons de toi. En tuant C4…


— Je n’ai pas tué ce taré ! m’énervé-je avant d’être coupé par la main osseuse de Michael plaquée contre ma bouche.


— Tu as ses Nanos, et il est mort ! C’est la même chose, murmure-t-il d’une voix plus agressive que la normale. Abe, un A, a décidé de jouer avec toi et par la même occasion avec tous les H. Notre seule chance de survie, c’est de continuer cette fable grotesque. Tout cela parce que je peux t’assurer, que mieux vaut avoir les C comme ennemis qu'un seul A ! Si tu veux mourir, dis-le-nous, Mako se fera un plaisir de réaliser ton vœu le plus cher et de régler nos problèmes au plus vite.


J’ai envie de hurler que toutes leurs salades ne m’intéressent pas ! Que je ne suis pas là pour servir de divertissement aux produits défectueux de la NanoRé. Mais je ne peux pas mourir, pas avant de savoir ce qu’est devenue Aïcha. Pas avant d’avoir retrouvé mon bébé. Alors je serre les dents, et quand Michael et Mackenzie m’attrapent les mains pour me relever, je me laisse faire.


— Alors, me murmure à l’oreille Mackenzie. Camarade de Cellule, l’Intact ?


— Allez tous vous faire foutre, grogné-je un sourire aux lèvres cette fois-ci. Je suis un H, et alors qu’est-ce que ça change ? J’ai toujours ces voix dans la tête. Ces démons faits de Nanos qui me hurlent de vous égorger dans votre sommeil.


Les deux hommes s’éloignent de moi en me tournant le dos. Ils doivent avoir assez confiance en moi pour ne plus craindre pour leur vie. Ou être assez puissant pour me réduire en charpie en un clin d’œil. De toute façon Mako me tient toujours à l’œil. Il me colle avec ses mains qui parcourent les muscles de mon dos désormais.


— On va s’occuper de ce petit problème dans un instant, H66, m’apprend Michael en s’adossant à la Nanovitre.


— Mioche ! l’appelle Mackenzie en secouant le gosse pour le réveiller. Debout, c’est l’heure.


Le petit ouvre les yeux en papillonnant et me cherche du regard. Un grand sourire éclaire son visage tout en fossettes quand il s’aperçoit que je le regarde dans les yeux.


— Salut ! Levert m’a dit de prendre soin de toi, s’exclame-t-il en attrapant le pantin amorphe sur lequel il reposait avant de le porter avec adresse sur son dos nu. C’est l’heure de la douche, mais Mackenzie a dit que je n’ai pas le droit de m’amuser et que toi aussi tu dois rester sage. Dommage, j’adore jouer dans le Brouillard !


Les autres H lui jettent des regards indulgents. Même la tête toute froissée de Mako s’adoucit devant cet étalage étrange de candeur. Il se durcit néanmoins très vite en se concentrant à nouveau sur moi. Normal, j’ai franchi un tabou. Même ici, on ne touche pas aux gosses. C’est une règle que je respecte.


— Désolé, gamin, murmuré-je un peu gêné. Je ne voulais pas…


Je n’arrive pas à prononcer les mots : je ne voulais pas te tuer, t’étrangler… C’est un mensonge. Sur le coup je ne rêvais que de cela. Ou plutôt, les monstres qui hantent mon cerveau le voulaient. Le gosse ne remarque pas mes excuses, à l’inverse des autres. Mackenzie hausse même les sourcils d’un air moqueur.


— C’est qu’il a un cœur, murmure-t-il à Michael.


Des bruits de pas de l’autre côté de la NanoVitre et une sonnerie stridente m’empêchent de lui répondre.


— Les affaires reprennent, s’exclame Mackenzie en se remettant à jouer avec sa balle de tennis. H66, tous les yeux seront braqués sur toi, tu es la star de l’Arène.


— Ne l’écoute pas, marmonne Michael en tirant par le bras le Mioche pour qu’il arrête de sauter dans tous les sens. Fais-toi discret le temps qu’on trouve un moyen de t’aider à maîtriser tes Nanos. Et H66…


— Quoi ? lui répondis-je en repoussant la main trop insistante dans mon dos de Mako.


— Arrête de faire la chochotte, grogne celui-ci en la recollant contre ma peau provoquant une explosion de démangeaisons. Sortir d’une Cellule blessée, c’est un aveu de faiblesse.


— La faute à qui ? marmonné-je en grattant les trous fraîchement rebouchés par les Nanos grouillants de mon ventre.


— H66, évite de te faire tuer par les gardiens, s’il te plaît, m’implore Michael d’un ton sérieux.


À côté, même le Mioche me regarde sans sourire ni s’agiter comme il en a l’habitude. Les membres des Cellules inférieures sont tous liés en période hors Purge. Si je meurs, ils en pâtiront. S’il leur arrive malheur, je serais dans la merde.


— J’essaierais, lui répondis-je avec autant de sincérité que possible.


Cela à l’air de leur suffire. Même Mako me fout la paix et se poste à côté de moi sans plus me toucher. Les parois de la NanoVitres s’ouvrent et laissent pénétrer un nuage de fumée puant la javel et d’autres produits chimiques.


— Mais qu’est-ce qu’on a là ? s’exclame une voix bien trop enjouée pour la situation. Des petites merdes de H accompagnées de leur nouvelle poupée.


Des bottes en duro-cuir émergent de la fumée et une dizaine de gardes en uniformes tout propres, une Ficheuse à la main, s’approprient les lieux en quelques secondes. Ils nous entourent et s’arrêtent leurs mains libres posées sur la garde de leur matraque.


— C’est l’heure du bain, mes lapins, s’amuse le chef de l’escouade d’une voix lourde de sarcasme. À poil, les mains sur la tête et à genoux les moustiques. Inspections des Nanos avant de partir se refaire une beauté.


Mackenzie et Michael s’échangent un regard interdit et quelques froncements de sourcils. Une petite discussion silencieuse entre amis. Je sens le plan foireux. Finalement, ce connard de Mackenzie me lance un regard plein de malice tandis que Michael hausse les épaules d’un air fataliste. Je sens à mille kilomètres que je vais détester les prochaines paroles qui sortiront de la boîte en métal qui sert de bouche à mon camarade H.


— Vous n’en avez rien à faire de nos Nanos Cap, lâche ce faux frère d’un ton badin. Vous êtes là pour l’Intact et les Nanos de C4. Faites donc, personne ici ne vous en empêchera.


Le « Cap » fronce ses sourcils jolis sourcils bien épilés et marmonne un « bien sûr que je fais ce que je veux » avant de coller sa Ficheuse à la hanche de Mackenzie. J’avoue que le voir s’écrouler de douleur après le choc électrique que lui a infligé la machine me tire un sourire goguenard. Ce connard m’a vendu en pâture.

Le gardien se rapproche ensuite de moi. Derrière moi, un autre homme me file un coup de Ficheuse dans le dos. Je ne vois même pas le sol se rapprocher. Je ne sens pas mes genoux céder. La douleur est trop intense. Toutes mes Nanos se séparent et se fusionnent sous ma peau, brûlent et déchirent mes muscles.


— Enchanté l’Intact, susurre à deux doigts de mon nez ce chacal à l’haleine fétide. Je suis le Capitaine de cet étage de dégénérés. Ici, c’est moi le chef de maison et je vais avoir le plaisir de te faire le trou du propriétaire.


Il lève sa Ficheuse avec autant de lenteur que de délectation vers mon front. J’ai connu mieux comme accueil.

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