Chapitre 13 - Equipe D

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Dans un vrombissement sonore, les derniers chasseurs de l'équipe D s'élèvent au-dessus du sol, laissant derrière ceux qui ne participeront pas à cette opération. On pourrait croire que les mains s'agitent inutilement, en bas, car les pilotes ne les verront jamais, mais peut-être le sentent-ils dans leur coeur, et dans ce cas, c'est ce soutien qui leur permettra de ne jamais baisser les bras.

Même si l'équipe D, la dernière à décoller, ne sera chargée que de la diversion pour la véritable mission, leur rôle est sans doute tout aussi crucial. Bien sûr, ils ne savent pas que, dans l'ombre, des forces ont oeuvré pour les envoyer non vers la victoire, mais vers une défaite assurée. Pour eux, l'espoir est toujours présent. Pour eux, la possibilité de revoir leurs amis existe. Pour eux, celle qui est le visage de la rebellion aux yeux du Gouvernement, sans même avoir cherché à l'être, ne peut pas être une traître. Oui, elle leur oppose un certain mépris des règlements, oui, elle est considérée comme le loup blanc au sein de l'Organisation, mais aucun d'eux ne pourrait douter de sa loyauté après tout ce qu'elle a sacrifié pour la cause. Comment pourraient-ils deviner à quel son âme torturée cherche le moindre refuge, même s'il lui faut pour ça payer le prix fort ?

Si on expliquait son choix à n'importe qui, il ne comprendrait pas de quoi il retourne. Il clamerait des excuses, il dirait qu'elle est devenue complètement folle de faire ça, que rien ne justifie tant de gâchis. Et il aurait raison, il aurait raison de penser que de tels actes ne peuvent pas être dictés par le bon sens. Parce que s'il disait ça, il mentirait. La vérité, c'est qu'Astrid n'est bel et bien plus dirigée par le bon sens. Mais que celui qui ose le lui reprocher vienne le clamer haut et fort, et se demande d'abord s'il a vécu des choses similaires qui lui permettraient de juger.

Malgré tout, que ses intentions ne soient pas vraiment mauvaises ne change pas que ces hommes se dirigent peut-être droit dans la gueule du loup. Peut-être... peut-être parce, du fond de sa folie, Astrid a trouvé suffisament de lucidité pour ne pas révéler tout ce qu'elle savait. Elle n'a pas mentionné cette autre variable, cette équipe de diversion, mais simplement une attaque sur Chicago. Elle n'a pas non plus parlé du projet d'évacuation de l'Organisation vers une autre planque, au cas où la mission échouerait et ils seraient trahis par l'un des leurs. Finalement, on peut se demander si ces soldats n'ont pas raison d'espérer, même si c'est évidemment pour les mauvaises raisons. Tout n'est pas perdu...

Mais tous ces raisonnements leur sont complètement étrangers, à eux, alors ils se contentent de suivre leur chef de mission, Jonas, un agent qui a fait équipe avec Allen lors de la mission Diane. Quant à lui, l'angoisse lui serre le coeur à la pensée de l'importance de son rôle, mais il est fermement décidé à ne pas décevoir l'Organisation. Il s'imagine déjà revenir, triomphant, au QG, mais ce n'est pas de l'arrogance, loin de là, juste un puissant désir de reconnaissance pour quelqu'un qui a dû vivre caché toute sa vie. Ce qui l'attire vraiment, dans sa vision, c'est la perspective d'un monde bientôt libre.

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Volant au ras du sol, les avions rebelles semblent ne réagir à aucune logique, et pourtant, ils sont organisés précisément. Au loin, on aperçoit déjà les plus hauts bâtiments de Paris, qui dépassent au-dessus de la cime des arbres.

Bientôt, un premier avion, qui n'est pourtant pas celui de tête, se pose dans le champ, dont l'herbe haute ondule doucement dans le vent. Aplatissant tout sur son passage, il trace une sorte de piste faite de deux trouées dans le champ. Enfin, il finit par s'immobiliser à la lisière des arbres, et très vite, tous suivent le mouvement. Un à un, les pilotes atterrissent, puis s'extirpent de leurs cocks-pits, s'étirant après le voyage. Le cliquetis d'armes qu'on dégaîne, puis qu'on vérifie, résonne au milieu des chants d'oiseaux, du bruissement de la forêt, et de tous les autres bruits naturels. Abandonnant là leurs engins, les rebelles se réunissent, échangent quelque mots, puis disparaissent rapidement dans les sous-bois d'un pas énergique. Dans la lumière de l'aube, le métal des avions luit et renvoie des rayons étincelants vers le ciel.

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Une petite troupe silencieuse se déplace dans la forêt depuis maintenant une heure, et à présent, de nombreuses constructions sont visibles à travers les frondes. L'homme de tête, Jonas, lève soudain la main dans un signe clair. Immédiatement, tous les autres s'arrêtent derrière lui en une masse compacte et resserrée.

Tous sont habillés comme n'importe quel civil au premier abord, mais en y regardant de plus près, on peut distinguer quelques petites incohérences dans leurs tenues, qui trahissent la présence de leur combinaison. En vérité, leurs vêtements ne sont que des illusions créées technologiquement en détournant et remaniant certains photons. De la même manière, leurs nombreuses armes sont totalement invisibles, malgré tout prête à être dégainées au moindre souci. Un murmure à peine perceptible, suivi de plusieurs autres, trouble soudain le silence. Les têtes se penchent les unes vers les autres, un conciliabule commence entre ces rebelles entraînés, qui décident à présent de la meilleure stratégie pour s'introduire dans la ville sans se faire remarquer. Même si nulle barrière, nulle protection, ne sépare vraiment Paris du monde sauvage, l'accès à l'extérieur est strictement défendu, et la DFAO renforce en secret les tours de gardes pour justement prévenir toute intrusion de l'Organisation. Déguisés en civil, les soldats scrutent la frontière invisible toute la journée.

Cependant, quand le gros des forces est concentré sur la zone morte, des bâtiments bombardés et complètement abandonnés lors de la reconstruction, d'où se faufiler à Paris est plus facile que n'importe où ailleurs, un passage est bien moins surveillé : les quartiers grouillants de vie où les hommes sont placés dès leur Intégration. C'est là que tous s'installent pour travailler et faire vivre la cité : sans eux, rien ne serait possible. Sans les fourmis travailleuses, la reine ne pourrait pas survivre. Cependant, du fait de la foule constante et de l'agitation éternelle qui y règne, la frontière est donc bien plus difficile à surveiller, surtout aux heures de pointe. Et midi approche à grands pas...

Le ciel clair, dont le bleu apparaît presque comme gelé en cet fin d'hiver, n'est traversé que par quelques petits nuages blancs solitaires, et le soleil brille de mille feux, réchauffant petit à petit le monde. Même s'ils sont toujours sous le couvert des arbres, les rebelles sont tenus au chaud grâce à leurs combinaisons améliorées. Le conciliabule à présent terminé, tous attendent dans le plus grand calme que le moment parfait arrive, celui où les rues seront tellement envahies qu'ils passeront totalement inaperçus.

Une dizaine de minute s'écoule encore avant que Jonas, le meneur de cette mission, ne touche son oreille avec un sourire éclairé. Ses yeux reprennent tout leur éclat et, quelques secondes plus tard, il annonce doucement à ses soldats :

- Nous avons le feu vert.

Aussitôt, la troupe se met en branle et repart, aussi discrète qu'une horde de chats. Les abords de la ville se rapprochent à chacun de leurs pas ; bientôt, les premières constructions ne sont plus qu'à quelques mètres, et les arbres un lointain souvenir. Traversant ce terrain découvert le plus vite possible, l'angoisse au ventre à l'idée de se faire repérer, ils s'introduisent cependant sans encombres dans les rues, un à un, petit à petit, comme au compte-goutte. Les immeubles d'habitations qui les surplombent cachent une nouvelle fois le soleil, et, après un court passage à l'ombre d'une petite ruelle, on n'aperçoit plus que Jonas qui continue, seul, sa route droit devant lui. Les autres semblent s'être évaporés, comme par magie. Séparés, ces hommes ont évidemment plus de chances de passer inaperçu, et on les remarquera beaucoup moins.

Un sourire détendu aux lèvres, Jonas remonte donc sa sacoche sur son épaule d'un geste tout à fait naturel et poursuit sa marche sans jamais accélérer l'allure, comme s'il était là dans son bon droit. Au fur et à mesure qu'il s'enfonce vers le coeur de Paris, il croise de plus en plus de gens, mais personne ne semble jamais prêter attention à lui. Bientôt, il débouche dans une petite rue piétonne, où les commerces bourdonnent d'activité, pour la plupart envahis soit par des acheteurs qui préfèrent emporter leur repas dans un endroit plus tranquille, soit par des travailleurs venus prendre leur pause de midi, parfois seuls mais souvent en groupe. Les conversations vont bon train partout, on s'échange les derniers ragots, on part d'éclats de rire sincères ou forcés, on écoute de bon grès, ou bien juste en priant pour pouvoir partir le plus vite possible. Et au milieu de tout ce brouhaha, Jonas marche toujours, imperturbable, son sourire aux lèvres, et personne ne songerait jamais qu'il puisse être un rebelle, ni les simples citoyens, ni les soldats de la DFAO les mieux entraînés.

                      ***

Bâtiment phare du quartier le plus vivant, le plus agité de Paris, la Tour de Résurrection se dresse au milieu d'une grande place marchande. Quelques hommes viennent parfois l'admirer, elle qui est plus haute que ne l'était la Tour Eiffel, et à présent tout aussi connue. Mais pour la plupart, ils passent devant sans même lui accorder un seul coup d'oeil : à force de la croiser tous les jours, parfois même plusieurs fois, elle est presque aussi banale pour eux que leur immeuble.

Malgré tout la dizaine d'hommes qui attendent à bonne distance, éparpillés autour de l'immense flèche, ne font pas encore tâche dans le décor... pas encore.... Soudain, l'un d'eux porte la main à son oreille, et ses lèvres murmurent un ordre bref, ou bien, qui sait, une réponse. Un acquiescement. Une fraction de seconde plus tard, il a disparu, mais il réapparaît rapidement tout près de la flèche. Quelques jours par an, exceptionnellement, celle-ci est ouverte aux visiteurs : elle est effectivement juste assez large pour qu'un escalier à l'ancienne permettent de grimper au sommet. Mais lors de ces rares occasions, elle est alors sévèrement gardée en permanence par une dizaine de soldats du Gouvernement, qui patrouillent autour et contrôlent soigneusement chaque entrée. Parfois, ils vont même jusqu'à escorter les visiteurs, qui doivent prouver leurs identités. Bien que tout le monde se rende compte de l'inutilité de ces mesures, du moins en apparence, personne ne songe jamais à protester, puisqu'après tout il s'agit du monument le plus célèbre de Paris. Et si jamais une idée saugrenue venait un jour à l'esprit de quelqu'un, elle serait bien vite étouffée.

La dernière ouverture de la Tour de Résurrection a d'ailleurs eu lieu à peine une semaine auparavant, mais aujourd'hui, jour normal parmi tant d'autres, un seul garde est en faction devant la petite porte qui, une fois ouverte, débouche sur l'escalier étroit. Et manifestement, il semble beaucoup, beaucoup s'ennuyer.

Sautant sur l'occasion, Jonas s'avance lui aussi, tandis que l'autre rebelle fait toujours semblant de scruter le haut de la tour à quelques mètres de là. Le plus naturellement possible, mais avec une pointe d'angoisse sciemment dévoilée, il aborde le soldat et commence les présentations. Quelques minutes plus tard, il prend un air désespéré tandis que le soldat secoue la tête de droite à gauche, d'un air réellement désolé. Leur conversation, loin d'être secrète, commence d'ailleurs à attirer quelques badauds, qui contemplent la scène d'un air amusé ou compatissant.

- ... et je reviens chaque jour depuis, mais je n'ai toujours pas été autorisé à rentrer, supplie faussement Jonas. Je vous jure que j'ai absolument besoin de ces clés, la voiture m'a coûté très cher et je n'ai ni les moyens de la rendre pour en acheter une autre, ni ceux de payer un spécialiste. Je voudrais l'offrir à un de mes amis pour son anniversaire, et je me sentirais bien mal d'arriver chez lui sans rien du tout, surtout qu'à cause de cette voiture, j'ai de plus en plus de mal à boucler mes fins de mois... Ce sont toutes mes économies qui sont parties en fumée, je vous en prie...

- Si ces clés sont si importantes pour vous, il ne fallait pas les perdre lors de la dernière ouverture, surtout quand on sait très bien qu'on ne reviendra pas avant plusieurs mois... Franchement, vous devriez faire plus attention à vos affaires.

Tout en répondant cet argument tout fait, le garde essaye de rester le plus ferme possible, mais on voit que sa détermination commence à faiblir face à la pitié qui l'envahit. Il faut aussi dire que Jonas est très bon acteur... et sa comédie semble toucher plus d'une personne. Si on regarde bien, on peut d'ailleurs remarquer que ceux qui affichent les mines les plus compatissantes ne sont autres que les rebelles eux-mêmes. L'homme qui s'est avancé en premier vers la Tour s'extirpe d'ailleurs de la foule pour rejoindre le garde et son interlocuteur. Il prend la parole alors que Jonas semble totalement perdu, et surtout, désespéré :

- Bonjour, je viens d'un autre quartier et je suis venu voir la Tour de Résurrection aujourd'hui, quand j'ai entendu votre discussion. Je dois d'ailleurs dire que je la suis avec attention depuis le début. Écoutez, je sais bien que ce n'est pas dans vos habitudes, que vous n'en avez sûrement même pas le droit, mais franchement, ce pauvre homme me semble dans une belle galère. Il ne demande qu'à entrer pour récupérer ses clés, ça ne prendra pas plus de quelques instants...

De plus en plus hésitant, indécis, le soldat se frotte le menton et marmonne quelques mots avant de relever la tête, apeuré cette fois :

- Figurez-vous que, si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais laissé passer cet homme depuis bien longtemps. Mais j'ai des ordres, et si on ne me voie pas à mon poste...

Il laisse sa phrase en suspends, manifestement déchiré. Le rebelle venu en renfort penche la tête de côté, comme s'il réfléchissait, avant de déclarer abruptement :

- Vous n'êtes pas obligé d'y aller!

Puis, comme s'il sentait mal d'avoir osé formuler une telle chose, il baisse les yeux et poursuit :

- Je ne veux bien sûr pas vous donner d'ordres mais...

- Poursuivez, lui ordonne alors le soldat avec comme une note d'espoir dans la voix.

Gêné, l'intéressé se dandine d'un pied sur l'autre.

- Si ce sont vos supérieurs qui vous font peur, je pourrais l'accompagner, et vous resteriez à votre place. Ainsi, vous ne ferez prendre aucun risque à personne, et personne ne remarquera rien...

                      ***

Le sourire aux lèvres, mais n'osant faire aucun commentaire, Jonas et son coéquipier gravissent quelques marches avant de s'arrêter brusquement.

Trifouillant dans son manteau, ou du moins ce qui y ressemble en apparence, le second homme en extirpe le plus vite possible une sorte d'engin fait de fils entrelacés les uns aux autres, et ce qui, de l'extérieur, passait pour une imposante bedaine, se dégonfle aussitôt. Posant l'engin sur les marches, il se penche dessus en même temps que Jonas et tous deux effectuent des réglages de dernière minute avant de s'apprêter à repartir. Puis le meneur de mission sursaute, laisse échapper un petit cri et s'exclame :

- Attends! Le champ de force, on l'a oublié!

L'autre jure entre ses deux, sors un deuxième appareil, bien plus petit, de ses poches, et le dépose à côté du premier.

- Voilà, maintenant, on ferait mieux de partir.

Tous deux dévalent alors les quelques marches, sautant sur le petit palier, se reconstituent une image détendue et étirent leurs lèvres d'un sourire joyeux. Puis ils poussent la porte, et se retrouvent nez à nez avec le garde, qui pousse un soupir de soulagement en les voyant arriver.

- J'ai bien cru que vous n'arriveriez jamais, chuchote-t-il comme s'ils étaient espionnés. Alors, ces clés ?

Jonas brandit alors un trousseau de clés d'un air joyeux et s'écrie en faisant tinter le métal :

- Merci infiniment, sans vous...

- Oui, oui, le coupe le soldat. Et maintenant, déguerpissez, et n'oubliez pas : nous ne nous sommes jamais parlé.

Les deux hommes acquiescent, parlent quelques instants dans l'air pour faire bonne mesure, avant de se séparer, chacun s'enfonçant de son côté dans la foule. À peine ont-ils rejoint des ruelles adjacentes à la place qu'une explosion assourdissante fait vibrer le sol sous les pieds. Dans un fracas gigantesque, la tour s'effondre sur elle-même tandis qu'un champ de force invisible confine chaque débri à l'intérieur. En quelques secondes, sans faire une seule victime, la Tour de la Résurrection est partie en fumée, ne laissant, là où elle se dressait avant fièrement, qu'un tas de ruines d'où s'échappent des tourbillons de poussière. Les hurlements affolés surpassent à présent largement le vacarme, qui commence d'ailleurs à s'estomper. Le garde, quant à lui, ouvre de grands yeux écarquillés où la fureur commence à pointer, cependant toujours largement surpassée par l'horreur. Il lève la tête, lentement, vers les ruines toujours contenues dans une sorte de cylindre scintillant qui adopte à la perfection chaque forme de l'ancienne Tour. De petites fissures commencent à apparaître à sa surface. À son tour, poussant un grand cri, il se met à courir, pour s'éloigner le plus vite possible.

Comme lié à lui, le champ de force se brise au moment même où la place de vide complètement.

Et un par un, les débris vont rejoindre le sol dans une nouvelle explosion.

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