Chapitre 2 - ALLEN

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C'est donc cela qu'il nous faut pour nous réconcilier ?

C'est donc cela qu'il lui faut pour ne pas me repousser ? Avoir un mort sur la conscience, la mort de quelqu'un qui comptait beaucoup pour moi ?

Depuis ce matin, je vois une culpabilité nouvelle briller dans ses yeux, mais évoquer Mehdi est trop douloureux pour moi, alors je n'essaye pas de la réconforter. De toute manière, je sais qu'aucun des mots que je ne prononcerai ne réussira à la faire changer d'avis : dans son esprit, c'est elle qui a tué mon mentor et ancien référent, et elle est trop bornée pour admettre le contraire.

Quand cessera-t-elle enfin de se haïr ?

J'aimerais tant l'aider à se défaire de ces sentiments, qui l'empêchent de voir l'avenir, mais je suis moi-même épuisé maintenant. Sans cesse essayer, pour sans cesse me faire repousser, m'a vidé de mes forces. Je commence même à me demander si je ne devrais pas l'abandonner pour de bon, quand enfin, elle semble sortir de sa léthargie pour m'accepter à nouveau. Ah, même si je me sens cruel de le penser, il est vrai que les choses auraient été tellement plus simples si elle m'avait hurlé dessus à nouveau pour me dire de m'en aller. Mais aujourd'hui, je ne trouve rien à lui reprocher, à elle qui a essayé de me soutenir de son mieux alors qu'elle est en rééducation et que, ce matin encore, elle arrivait à peine à mettre un pied devant l'autre. Malgré tout mon abattement, elle restera ma soeur à tout jamais.

Ma soeur.

Ma famille.

Tout comme ma mère.

- Tu veux aller voir Diane ? lancé-je soudain, sans réfléchir.

Je me mords les lèvres de n'avoir pas su me retenir. Que va-t-il se passer, maintenant ? Je sais qu'elle est épuisée.

- Je...

Je n'ose même pas la regarder de peur de lire dans ses yeux quelque chose que je préfèrerais ne pas connaître. Elle hésite un long moment, semblant peser le pour et le contre, si longtemps que je commence à croire qu'elle ne me répondra pas. Alors je me perds dans mes pensées, dans l'idée que je me fais de ma mère, jusqu'à ce qu'elle finisse par déclarer, ravivant mon espoir :

- Oui, allons-y maintenant. Je ne pourrais pas attendre une seconde de plus.

Je pousse un soupir de soulagement et pose ma main le plus délicatement possible sur son bras. Heureusement, elle ne me repousse pas, et je m'en veux immédiatement de douter d'elle à ce point. J'ai l'impression de la voir comme un monstre, et cette impression ne me plaît pas du tout. Oui, elle a eu un moment d'égarement, un moment qui a duré de longs mois, mais elle va se reprendre. Je dois avoir confiance en elle, lui accorder le bénéfice du doute.

Depuis une semaine maintenant, je résiste à l'envie cuisante de passer cette petite porte pour aller voir notre mère, qui a été mise à l'isolement. Sa présence ici est encore un secret pour grand nombre de personnes. Mais je ne pouvais pas pénétrer dans cette pièce sans ma soeur. Cette pensée m'était juste insupportable, bien plus forte que mon désir de rencontrer Diane. À présent, avec l'accord du médecin d'Astrid, mes rêves les plus fous vont enfin se réaliser.

Même si ma soeur ne s'en souvient pas encore, même si elle refuse de récupérer sa mémoire, je me rappelle pour ma part parfaitement toute notre enfance. Et une grande partie de nos discussions tournaient autour de cette chimère : maman. À l'époque, nous ne connaissions même pas son nom, et elle était comme un nuage inaccessible très haut dans le ciel. Nous nous demandions à quoi elle ressemblerait, comment elle réagirait. Nous avait-elle abandonné avec bonne grâce, ou avait-elle lutté pour nous garder auprès d'elle ? Pensait-elle toujours à nous, où qu'elle soit ? Nous aimait-elle, si elle était encore en vie ? Bien sûr, nous n'avons eu réponse à aucune de ces questions, et quand Astrid est partie pour sa mission, sans même se souvenir de qui j'étais, je suis resté seul avec mes espoirs sans espoir.

Je pousse la petite porte sans une hésitation, sachant qu'un petit couloir nous séparera encore de sa chambre. Je ne peux cependant pas m'empêcher de jetter des regards furtifs autour de moi. La décision de Marshall d'accueillir Sacha dans nos rangs a été très controversée parmi les rebelles, et son autorité commence à être contestée par quelques groupes de mécontents. Je n'imagine même pas quel effet cette nouvelle pourrait avoir sur la population du complexe ; beaucoup se demanderaient, et d'ailleurs à raison, pourquoi notre leader a pris tant de risques pour une simple femme. Être notre mère ne justifie pas de mettre la cause en danger pour être sauvée. Son statut n'est pas encore assez important à leurs yeux. Et leur réaction sera pire encore quand ils apprendront que c'est dans cette mission que Mehdi a perdu la vie. Attentionné, calme et compréhensif, mon mentor essayait toujours de satisfaire chacun, même s'il savait se montrer dur parfois. Il était de ce fait particulièrement apprécié dans la rébellion. Pour l'instant, Marshall a décidé de cacher sa mort, mais la nouvelle ne tardera pas à s'ébruiter, et à ce moment-là, certains lui demanderont des comptes. Une raison valable. Quand ça arrivera, ce qui ne saurait plus tarder, mieux vaudra pour Diane qu'elle soit totalement remise.

Enfin, nous arrivons devant sa porte. Marshall s'est arrangé pour que nos Communicateurs aient l'accès demandé, afin que nous puissions lui rendre visite quand bon nous semble. Un tourbillon de pensées me pénètre tandis que je suspends mon Communicateur à quelques centimètres du détecteur. Je songe avec effarement que je dois encore annoncer à Astrid la mort de Willer, mais plus que tout, ses dernières révélations. Il était le frère de Christian, et par conséquent, notre oncle. N'ayant jamais rencontré le Leader de Paris, et n'ayant jamais eu de véritable contact avec Willer, cette nouvelle ne me bouleverse pas. J'ai bien sûr été horrifié et dégoûté d'apprendre ce lien de parenté que j'ai avec lui, mais je m'en suis vite remis. Ce qui m'effraie plus, c'est l'impact que cela aura sur ma soeur. Elle qui a déjà été bien trop éprouvée par le Gouvernement, dont de nombreuses fois par Willer lui-même, elle ne supportera sans doute pas l'idée qu'il soit son oncle.

Un court moment, je songe à lui cacher, mais je sais combien les mensonges peuvent faire mal, et je n'oserai jamais lui infliger la douleur de l'apprendre au détour d'une conversation. Quoi qu'il m'en coûte, je dois être celui qui lui annoncera, et rapidement.

Cependant, aujourd'hui n'est pas non plus le bon moment. Pour l'instant, je dois la laisser profiter de notre mère sans gâcher ce moment unique avec Willer. Oui, un moment unique, qui ne se reproduira plus. Il n'y en aura qu'un seul, et ça vaut pour moi aussi. Je me reprends au moment même où Astrid commence à s'impatienter. Mais, me surprenant une fois encore, elle n'est pas agressive quand elle me parle. Au contraire, ses mots sont doux, presque réconfortants.

- Allen ? Allez, tout va bien se passer. Pourquoi en serait-il autrement ? Retarder ce moment ne pourra que te faire du mal.

Nous prononçons la phrase suivante d'une même voix :

- Lance-toi sans réfléchir.

Nous nous dévisageons, éberlués tous les deux, bien que pour des raisons différentes. Elle est sûrement en train de se demander comment j'ai pu prédire ce qu'elle allait dire, et moi, je sens simplement l'espoir m'envahir en songeant qu'elle a dit naturellement cette phrase de notre enfance. Lorsque l'un de nous deux hésitait, l'autre l'encourageait toujours de cette manière, et bientôt ces mots sont devenus comme notre devise, que nous nous lançions chaque fois que le doute nous étreignait. Sa mémoire commencerait-elle à remonter sans même un déclencheur ? Mais je me garde cependant bien de le lui dire, de peur qu'elle n'enraye le processus. Je me contente de retenir mes larmes tout en répétant d'une voix étranglée ses propres mots :

- Allons-y. Je ne pourrais pas attendre une seconde de plus.

Mais avant que je n'aie pu passer mon Communicateur devant le détecteur, la sonnerie d'un appel entrant sur son propre appareil déchire le silence.

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