29

4 minutes de lecture

Le plus étrange fut l’absence de réactions des marchés à la disparition de celui qui faisait près d’un quart du flux de donnée sur internet, distancé immanquablement par le porno qui brulait quatre-vingts pour cent de la bande passante (intervention de rang 2 requise pour valider la cohérence des chiffres). L’explication en était un simple communiqué de la NEC indiquant que l’Ange avait souhaité se retirer dans le désert pour une durée indéterminée. C’était là, très habilement, expliquer l’effacement de l’Envoyé, et se donner le temps d’espérer le récupérer.

La situation s’avérait complexe, à tel point que LIA refusait de répondre aux questions, sous le prétexte que c’était l’heure de sa pause. En sous-main il fut décidé d’arrêter l’alimentation de LIA à partir d’informations de la fonction publique.

La Nouvelle Église Convergente aurait bien voulu remettre la main sur son ancien nouveau porte-parole, gentiment, mais fermement, sans pour autant contrevenir aux trente-deux procédures secrètes posées en recours devant les tribunaux. Les Mahométans Réformés, voyant leur « partenaire » dans la panade, tentaient des escarmouches pour mettre la main sur le phénomène, façon de rééquilibrer leur relation amicale. Les anciens de HDP voyaient dans cette rupture contractuelle une opportunité de renouer des liens malheureusement distendus. La PAV, avec sa PISSE, pensait avoir une carte à jouer, d’autant que ses relations avec le PAV d’Amérique et de Chine s’étaient détériorées. D’autres entités, difficilement rattachables à un pouvoir, mais très voyantes par ailleurs s’agitaient également. Pour l’instant, tous ignoraient la localisation de l’Ange.

La propriété de Matou, un ancien manoir, était ceinte de hauts murs. Elle avait débauché des sbires de Jo, trop heureux d’avoir un uniforme et les vingt-huit heures de travail mensuel, conformément à la loi. Elle avait également fait installer des caméras autodétectives et tout ce qu’elle avait pu admirer lors de son séjour chez HDP. Cela donnait la quiétude nécessaire à la petite troupe pour réfléchir, ce qui se concrétisait par leur endoctrinement de la part de Suzon et de ses « amis » qui se succédaient. En fait, seul Hector suivait, alors que Tancrède approuvait.

Ils découvrirent la première attaque le matin, quand le garde des écrans, penaud, avoua s’être absenté « pour raisons personnelles ». Le visionnage valait son pesant de radis (expression à vérifier). Une antique camionnette thermique s’était approchée de la propriété. Elle avait commencé par s’embourber, les jours précédents ayant été fort pluvieux. Quatre hommes en descendirent, porteurs de robes. Matou ayant lésiné sur la qualité, il était difficile de distinguer s’il s’agissait de soutane, de kamis, ou de djellabas. La seule certitude était que c’était la foi qui les menait.

Une fois la camionnette sortie de l’ornière, en couvrant les participants de boue, ils sortirent une échelle pliante. Las ! Faute d’un repérage préalable, elle s’avéra trop courte, d’autant que le sol détrempé ne permettait pas de la stabiliser. Un complément de boue clôtura cette tentative. Après un flottement, ils approchèrent le véhicule du mur et posèrent l’échelle sur son toit. Cette tentative audacieuse leur permit de constater qu’elle dépassait maintenant la hauteur du mur. Un peu trop, puisque le téméraire grimpé chuta, ce qui mit fin à l’équipée. La vidéo les montrait s’éloignant en claudiquant, puisque la camionnette, définitivement embourbée, se révélait inutile.

Ils étaient là à se tordre de rire quand Uriel, sans doute en empathie avec ces maladroits, fit remarquer :

— Ce sont quand même les plus malins, puisqu’ils nous ont trouvés.

La pertinence enfantine du propos fit passer la troupe en vigilance rouge et un savon au vigile qui s’était absenté durant son temps supposé de travail.

L’information devait circuler entre ces services frères et concurrents, car dès la nuit suivante, ils furent assaillis par une bande de balaises vêtus d’une tenue noire ultramoulante, laissant deviner tous les attributs de leur force. Une fois l’assaut réussi, leur chef baragouina longuement dans sa radio, légèrement énervé. Il s’avéra, leur expliqua-t-il dans un français châtié, inclusif et à l’orthographe rectifiée, que ses ordres s’arrêtaient là. Entrainés dans la course entre services secrets, ils avaient suivi le mouvement, avant de s’apercevoir que la question de l’Ange ne les concernait pas.

Ils burent un coup, sans alcool, avec leurs otages, avant de s’éclipser discrètement. Cette fois, le garde était resté à sa place, puisque ligoté sur son fauteuil. Il fut félicité pour la qualité des nœuds, qui montrait son attachement à sa mission.

Matou décida de lever le camp. Depuis sa retraite de la vie active, elle aimait passer ses nuits tranquillement. Son ancien métier lui avait appris la nécessité d’avoir un protecteur. À lui de gérer les relations extérieures, à elle de se consacrer à son petit métier. Il en était de même. Maintenant que leur planque était un secret connu de tous les polichinelles, les demandes de rencontres abondaient, sans pour autant freiner les approches nocturnes, plus brutales. La pose d’une ligne haute tension sur le faite des murs en avait refroidi plus d’un, même s’ils avaient un peu cramé.

Matou avait de l’expérience. Se rapprocher de ceux qui avaient des vues sur les messages de l’Ange était à écarter. Elle se rappela la première entrevue avec la PAV, si satisfaite de s’être entendue parler si profondément sous l’effet divin. Cette fois, l’Ange n’avait pas fait que passer.

Bref, la Présidente de la République Laïque, Religieuse et Sociale d’Europe et de Russie Réunies, selon son appellation officielle, avait tous les atouts et les services spéciaux pour devenir un bon protecteur. Aucune ingérence n’était à craindre, puisqu’elle était sa propre penseuse et sa propre porte-parole. Quand elle faisait, rarement, visiter ses appartements, elle était fière de montrer sa collection de LIA et de KACA, petites choses dont elle raffolait quand on lui en offrait.

L’accord fut immédiat et la petite troupe déménagea sous haute escorte avant de s’évanouir dans un des repères secrets et immémoriaux de l’État, hérités des siècles de grandeur passée.

Suzon continuait son travail d’élaboration de nouveaux messages.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Jérôme Bolt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0