8

4 minutes de lecture

Jo mit à disposition son service d’ordre et de protection. Ils participèrent à la peinture d’un vague décor dans une cave, même si on voyait clairement que ce n’était pas leur savoir-faire principal. Des câbles et des projecteurs furent tirés, puis on les éjecta pour le premier tournage. Cette fois, le chérubin avait été pomponner, coiffé et l’effet était saisissant. Le costume un peu plus travaillé, laissant nue, mais décente, une grande partie du corps, achevait le tout. Il y eut de nombreuses répétitions, Matou cherchant les mouvements et postures produisant le plus d’effet. Le chiard étant dans un bon jour, ce fut une dizaine de vidéos qui furent tournées. Ce soir là, heureuse, Matou laissa Gérard profiter de son bonheur.

Une fois le site développé par un geek à Jo, une vidéo fut mise en ligne. Matou attendait un raz de marée, mais il ne se passa strictement rien. Zéro vue pendant 24 heures ! Matou pesta contre Jo, contre son geek, contre Gérard, contre le monde entier. C’est le vieux geek qui lui expliqua la solution : il fallait aller sur chaque site pirate, en commençant par les plus gros, et faire un commentaire indiquant qu’il se passait quelque chose sur le site de l’Ange, Uriel officiel-officiel. Matou avait décidé de dévoiler le nom de l’Envoyé, pour renforcer la crédibilité. Le prix d’accès, la qualité des vidéos et le petit sourire de l’Ange ne laissaient aucun doute. Ce fut l’explosion et la disparition de tous les usurpateurs.

Deux jours après, un homme de Jo arriva avec une valise de billets, de gros billets. Gérard éclata en pleurs hystériques à leur vue. Enfin, il allait pouvoir se payer des écrans plats et un SUV, sans penser qu’apprendre à conduire pouvait se poser comme un préalable. Matou fit deux tas, à peu près égaux, sans demander à l’autre imbécile si ce partage avait son accord. Il y en avait assez pour tout, même beaucoup plus.

Les murs furent couverts d’écrans plats, des SUV se mirent à saturer les parkings, Uriel eut droit à une peluche géante, le calme régnait dans la cité, soudain enrichie par le principe du dégoulinement, qui consistait principalement en la revente des SUV de Gérard, sans forcément son accord. Matou avait sous-traité à une jeunette bien fessue l’entretien du propriétaire des véhicules, se consacrant à son nouveau job de femme d’affaires, de metteuse en scène, de chorégraphe et de cinéaste.

Prenant à cœur ses responsabilités, elle lisait tous les commentaires, analyses et critiques pour essayer de comprendre les attentes du public. C’était compliqué, car les religions tiraient dans un sens et la Congrégation Universelle du Culte d’Uriel Lumineux dans l’autre. Le gamin adorait maintenant cabotiner devant la caméra, mise dans les mains d’un professionnel.

Elle n’avait pas la main sur cette Congrégation, apparue le lendemain de l’apparition, et déjà forte de 13 582 membres. Convaincus de la divinité de sa mission, la CUCUL avait lancé la construction d’églosquées, lieux de cultes destinés à lui rendre hommage et à relayer son message. Leur site ne visait qu’à recruter et à recueillir des fonds pour leurs constructions, dont deux étaient déjà achevées. La CUCUL prit humblement contact avec elle, pour demander que l’Ange privilégie pour ses apparitions les lieux où il était vénéré. Matou botta en touche, en disant que les actions et décisions de l’Envoyé ne relevaient pas de son site, qui ne faisait, humblement, qu’en rendre compte.

La gestionnaire croulait sous les valises de billets et les problèmes, mais elle était heureuse de ces occupations, surtout depuis qu’elle s’était libérée des assauts du père et de ses autres patients. Elle diffusa, avec parcimonie, sa dizaine de vidéos, surveillant la fréquentation et intervenant à chaque baisse. De nombreux commentaires ayant souligné la répétition du décor, elle fut obligée de relancer une série de tournages. N’ayant plus de problèmes de moyens, elle finança sur sa propre cassette des artistes de rue pour des fonds différents. Cet appel à des forces extérieures présentait le risque de dévoiler le lieu de tournage, et donc de résidence de l’Envoyé. Comme elle avait absolument besoin de ces changements, elle aborda le problème avec son business-partner qui la rassura. Jo donna des ordres et ces artistes, à la renommée ne dépassant pas la cité, furent fauchés dans la fleur de l’âge, comme tous les grands artistes dignes de ce nom.

Elle avait également varié les mises en scène et les costumes, les éclairages. Chaque tournage était un progrès. Après une tentative malheureuse, effacée immédiatement, elle intima à Uriel de la fermer, de ne pas prononcer le moindre mot, devinant qu’une maladresse pourrait déclencher un cataclysme mondial, avec une incidence immédiate sur ses nouveaux revenus.

Les valises continuaient de s’entasser et, bonne mère, elle se montrait généreuse avec tout le monde. Un peu trop, car de nombreuses questions surgissaient sur sa fortune. Le site débordait, il fallait passer à la vitesse supérieure et faire sortir l’Ange de sa cave à vidéos. Elle reconnut qu’elle était dépassée par l’ampleur du phénomène.

L’Envoyé était devenu le premier sujet de Toctoc, des autres réseaux, des médias, des conversations de comptoir. C’était à nouveau en plein confinement, les gens s’emmerdaient, mais quand même ! Comment se sortir de ce mauvais pas, sans tuer la bête aux œufs d’or ?

Le compte de l’Ange était saturé de messages, mais plusieurs attirèrent son attention, car ils proposaient de l’aide pour organiser la vie et les apparitions de l’Ange. C’était bien le nœud de l’affaire. L’Ange n’était apparu qu’une seule fois en public, mais sa pérennité nécessitait qu’il recommence, ailleurs. La CUCUL réitérait ses humbles demandes. Matou, même avec l’aide de Jo et de son « patron », ne se sentait pas la capacité d’organiser un tel show et de maitriser les émeutes probables.

Comment choisir parmi ces propositions ?

Un nom lui plaisait bien, Hubert de Puyfou, créateur évènementiel, déjà détenteur d’un parc d’attractions pseudo-historique. Tous ses mots sonnaient bien, même si elle se doutait qu’il allait falloir jouer serré.

Femme retorse, ce qui est un pléonasme, elle négocia avec plusieurs intéressés, histoire d’apprendre les bonnes manières, les points délicats et de sentir le marché. Elle condescendit seulement à prêter attention aux avances de HDP, puisque tel était son surnom.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Jérôme Bolt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0