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L’échographie n’avait laissé aucun doute : malgré l’impossibilité d’un tel évènement, c’était bien des ailes qui se formaient sur le petit haricot ! Non pas comme un chiroptère, pédanta-t-elle, mais sur le dos, comme un…

La radiologue, qui était subcroyante, se mit pourtant à genoux, commençant des psalmodies, accompagnées d’un mouvement de balancier de son corps. Les parents, affolés, s’enfuirent, ce qui fit sortir immédiatement la praticienne de sa transe en hurlant à la grivèlerie. Le choc était de taille ! Après s’être accusés mutuellement de maladies génétiques dissimulées, ils se retrouvèrent d’accord sur une grâce de Dieu destinée à les sortir de leur inconfort matériel et de la cité. Ils établirent immédiatement des plans où les écrans plats et les SUV avaient une bonne place, mais ils butaient sur l’échéance : à quel âge un ange fait-il son premier vol ? Parce que, auparavant, un simple gamin avec des ailes n’était guère bankable. Pour une fois, ils se couchèrent sans s’envoyer des mots doux à la gueule, chacun refaisant sa vie, sans place pour l’autre imbécile.

Elle se rappelait : il voulait un gosse, mais ce baiseur infernal n’arrivait pas à l’engrosser. Ce qui était plutôt bien, car ils n’avaient pas les moyens d’acheter une autorisation d’enfant, encore moins au marché noir. Sans permis, ils l’auraient pris pour leurs troupes à quinze ans, juste quand ils deviennent chiants. En tant que chômeurs volontaires, ils n’avaient droit à aucune aide médicale, sans l’autorisation de gamin. Elle avait répondu à la publicité de l’armée cherchant des « cobayes en phase de reproduction ». Moyennant quelques ovules, abandonnés à leurs recherches patriotiques, elle avait eu droit à une réimplantation, autorisée et à la précieuse autorisation. C’était un stagiaire, postdoctorant qui survivait en faisant le laborantin, qui avait procédé à l’opération. Un rigolo ! Pendant l’opération, il racontait qu’ils essayaient de mélanger animaux et hommes afin de développer de nouvelles aptitudes pour les fantassins. Pour ce que cela la concernait, leurs affaires ! Elle n’avait rien compris, mais il avait un peu fumé et elle avait senti une hésitation sur la fiole retenue. Il s’était même marré : « J’espère que je ne vous ai pas mis un kangourou ou un fennec ! ». Heureusement que ce n’était pas le fennec, rapport à l’odeur, mais quel maladroit ! Elle avait laissé croire à l’autre imbécile que c’était le résultat de ses œuvres à Berck, histoire d’avoir la paix. C’était sa version à elle, désireuse de garder le bénéfice de son dévouement à la cause nationale. Après tout, c’était son corps, et elle n’avait pas à le partager, directement ou indirectement, si tel n’était pas son choix.

En signant leur contrat de non-travail, ils avaient également renoncé aux assurances, s’estimant jeunes et en bonne santé, mais avaient obtenus la distribution de la nourriture étatique, qui était incluse dans l’option recyclages et solidarité des forces vives. Avec l’autorisation, ils auraient pu être pris en charge. Ils avaient quelques mois pour réfléchir, mais comment accoucher discrètement, sans qu’un de ses personnels soignants, avides de sous et de renommée, ne se vomisse en photos et commentaires creux sur le premier réseau social venu. C’était leur secret et leurs droits d’auteur, ou à l’image, ou parental. Ils ne savaient pas trop, sauf que c’étaient LEURS droits, et les revenus associés. Pas question que des profiteurs viennent vautourer leur bien, leur petit enfant qu’il chérissait déjà.

La seule solution était de trouver une bonne femme qui ferait sortir le gniard, sans lui abîmer les ailes, en le gardant vivant et en fermant son clapet. Les oiseaux et les chauves-souris y arrivaient bien ! La mama dénichée, après d’âpres négociations, déclara qu’elle en avait plus mis au monde que n’importe quel mec en blouse blanche. Comme elle était aussi arracheuse de dents et diseuse d’avenirs, il n’y avait qu’à la croire !

Ça ne s’est pas entièrement passé comme prévu. D’abord, quand la vieille a vu le bout des ailes, elle s’est mise à se signer, ce qui était bizarre pour une fatma du bled. Mais, comme ils ne pouvaient plus changer de prestataire, ils ont laissé faire. Surtout lui, car la parturiente hurlait de douleur, tandis que le père harcelait l’intervenante de faire attention aux ailes. Résultat, la vieille s’est évanouie, la mère aussi et il s’est retrouvé avec le marmot ailé dans les bras. Pas beau ! Surtout que, s’il avait des cheveux, aucune plume n’ornait la membrane rouge. Il se dépatouillait comme il pouvait quand la vieille lui annonça qu’il devrait s’occuper seul du môme, car sa mère avait baissé définitivement les bras, ce qui ne changeait pas le prix de l’opération, précisa-t-elle. Elle tentait de voir si ce qu’elle avait aperçu était réel, mais le père sortit les billets pour détourner habilement son attention.

Une fois un peu d’ordre remis, un état des lieux s’imposait. Il faudrait faire une déclaration pour la morte, histoire de s’en débarrasser et une déclaration pour la naissance, avec un prénom. Ils avaient oublié ce détail. Il navigua ardemment pour finir par comprendre que seuls les archanges avaient un nom. Les anges sont sans nom, information intéressante, mais inutile. En plus, archange, c’est le grade au-dessus. La différence entre les deux, à part ça, il ne voyait pas. Autant donc, prendre un archange, se dit-il, puisqu’il devait le nommer, et puis, au cas où… Il choisit Uriel, car c’était le dernier de la liste, et que ses neurones étaient encore emmêlés par l’évènement.

Finalement, Gérard était content, la situation avait bien tourné ! Ça commençait à devenir vinaigre avec sa douce, qui ne l’avait jamais été, et il regrettait de s’être marié, rapport à la prime de bonnes mœurs qui les avait motivés. Ils étaient partis la consommer à Berck, une semaine de folie, avec comme résultat ce machin, selon la version de la parturiente.

Pour Gérard, elle était devenue un problème de résolu. S’occuper du chiard ne lui posait pas de problème. Il avait vite compris qu’il y avait deux sortes de mecs, les virils et combatifs, qui luttaient pour leur survie, et les autres, sans désirs et sans destins, qui profitaient des miettes des supers mâles alpha. Ça lui suffisait. Un bon rapport énergie sur emmerdes. En plus, il allait toucher gros : la prime de naissance, plus l’indemnité d’enfant était plus avantageuse que le chômage volontaire de l’autre. De quoi vivre autre chose, en attendant que le petit vole de ses propres ailes ! Bon public, il se marra de son humour.

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