La feuille blanche m’appelle, comme à chaque fois que je me retrouve seul le soir, avec un peu de temps devant moi.

Je saisis mon stylo et commence à noircir le papier, pour le plaisir de voir des mots apparaître.

La plume frotte la page. Se faisant, un murmure naît timidement. Il me rappelle les notes de musique que ma fille tente d’assembler les unes aux autres. Parfois ce bruit ralentit, parfois il accélère, souvent il fait le mort. Quelques secondes défilent. Je poursuis sans savoir ce que j’écris. D’ailleurs, est-ce vraiment moi qui écris ? Mon stylo bouge de lui-même ; mon regard se contente de le suivre, pendant que mon esprit, lui, vagabonde je ne sais où. J’entends aussi, tout en continuant d’user l’encre, le lointain brouhaha de la rue. Un camion. Un klaxon. Quelques bruits d’assiettes. Puis tout cela disparaît. La seule chose qui me raccroche au présent, au réel, c’est de sentir entre mes doigts le plastique du stylo, et sous mes ongles le métal froid de la plume.

Et c’est là, alors que mon cerveau s’est éloigné de moi, que débute ma rédemption. J’étais fatigué, usé par une journée de travail qui m’emprisonnait à mille lieues de cela ; mais en cet instant, mon cœur s’apaise. Une joie mystérieuse vient m’habiter. Finis les bruits de la rue, les soucis de la vie, et les misères du quotidien. Place à l’étrangeté de sentir mon cœur battre, à la mesure de la progression du stylo sur la feuille, déjà noire.

Reconnecté à moi-même, je peux enfin commencer à écrire.