Ch 2  - Partie 4

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– Là où l’on mit le Romain Scipion sous terre ?

– Lui, il a mis les pieds dessus mais il n’a pas fini dessous. Toutefois, c’est bien ce pays... Cela étant, ça ne nous avance pas...

– Je dirais même plus, on n’est pas rendues. Et je ne sais pas comprendre ce message.

– Tu loges à Herstal depuis longtemps, n’est-ce pas ?

– Cinq années sont passées depuis mon installation... Pourquoi ?

– Rien. Façon de parler...

– Que les cigognes restent, soit, mais pourquoi les écrits volent-ils ?

– C’est ce qui me paraît le plus étrange, en effet.

Hilde observa encore le parchemin avant de poursuivre :

– En même temps, comme dit Mc Ron, il faut considérer l’ensemble...

– Je t’ouïs.

– Oui, ouis ! fit Hilde en dodelinant de la tête après s’être coiffée d’un chapeau pointu.

Une clochette tinta.

– Est-ce ta coiffe qui sonne ainsi ? demanda Mesch.

– Non ! C’est un chapeau de magicien, il ne sonne pas, il aide à penser. C’est la clochette de ma chatte qui s’agite.

– Ta chatte ? demanda Mesch interloquée en abaissant le regard.

– Oui, ma chatte, lorsqu’elle saute de branche en branche, expliqua Hilde en pressant le mot sans dire « citron ». Et cela signifie qu’un danger s’approche ! continua-t-elle en pressant le pas sans vis vers l’entrée, tout en entraînant Mesch par le bras.

Alarme efficace, vous allez voir !

Soudain, la porte s’ouvrit brutalement dans un fracas mêlé de grincements de gonds et d’un hurlement.

Un homme fit une irruption volcanique dans la demeure de Hilde et, encore tout dégoulinant de sang, crachant sa colère, il attrapa les deux femmes avant qu’elles n’eussent dit « ouf ». À l’époque, en effet, cela ne se disait pas. Elles se contentèrent d’un banal « Aaaaah ! », avant de s’effondrer à l’autre bout de la pièce sous le poids de l’agresseur. Celui-ci, étrangement et tel un perroquet, reprit à son tour le cri avant de s’immobiliser.

Passé le bref instant de surprise, elles se dégagèrent de sous la masse pour se relever.

– Oh ! Le Turc ! s’exclama Hilde.

– Oh ! Le truc ! s’exclama Mesch.

– Ce n’est pas un truc, c’est une flèche ! corrigea une voix inconnue en provenance du seuil de la demeure.

Elles levèrent les yeux.

– Qui es-tu ? demanda Mesch, en levant un glaive.

– Oh, ne t’alarme point ! s’écria l’individu campé dans l’entrebâillement, si j’ai occis cet homme, ce n’est pas pour vous agresser !

– Qui sait ! Ce ne serait pas la première fois que deux hommes se battent pour une femme ! rétorqua la Rebelle.

– Vous êtes deux, c’eût suffi au partage…

– Admettons ! Mais je ne brandis pas ceci contre toi, je viens de le ramasser, indiqua Mesch.

– Eh bien, pour répondre à ta question, je suis un Tell.

– Ce n’est pas bien précis, dit Hilde en fronçant les sourcils. Ou bien, serais-tu helvète ?

– Non point ! Pourquoi cela ?

– Ils ont la réputation d’être de bonnes flèches, surtout pour couper la poire en deux...

– Eh non, je suis romano-alaman et me nomme Philémon Tell.

– Ça doit être utile pour appeler...

– Quoi ?

– La corne, à ta ceinture... Et ce numéro qui y est gravé... ?

– Ceci est privé.

– Merci pour ton aide ! finit tout de même par dire Hilde. Tu es arrivé à point !... Mais que fais-tu dans les parages ?

– Je cherche Hilde, la devineresse.

– C’est moi.

– Cette demeure me semble bien être celle de la devineresse, mais on me l’avait décrite plus petite...

– J’ai une taille moyenne.

– Je parle de la maison.

– Elle a été agrandie, il y a cinq ans.

– Ah tiens ? Comment se fait-ce ?

– Ceci est privé. Mais si tu ne me crois pas, je n’en ai rien à sire, hé ! lâcha Hilde.

– Si le roi t’entendait ! fit remarquer Philémon en brandissant l’index !

– C’est bien Hilde la devineresse, je le confirme, intervint Mesch.

– Quant à toi, qui es-tu ?

– Mesch, la rebelle.

– Oho ! s’exclama l’homme surpris. Prouve-le et je vous croirai toutes les deux.

– Comment ?

– Montre-moi ton séant.

– Céans ? Tu n’es pas sérieux ! Mesch la Rebelle ne montre pas son cul au premier venu !

– Je suis le deuxième venu, le premier git là, sans vie.

– Et quelle preuve t’attends-tu à voir ?

– La Rebelle a été marquée au fer par Widukind....

– Eh bien, les nouvelles se répandent vite et partout ! s’emporta Mesch.

– N’aie crainte : en ce royaume, seuls le savent ses amants... Et moi.

– D’où tiens-tu l’information ?

– Tu veux dire « de qui ? »

– Ne joue pas sur les mots !

– Eh bien, c’est Charles, notre roi, qui me l’a confiée.

– Et pourquoi t’aurait-il dit pareille chose ?

– Précisément pour pouvoir reconnaître Mesch.

– Avec quel dessein ?

– Non, seulement son derrière.

– Tu es énervant.

– Prudent.

– Et qu’est-ce qui me prouve que tu dis vrai ?

– Me prends-tu pour un bandit, un maraud, un satyre...?

– Je n’écarte aucune hypothèse ni les jambes facilement.

– Voici un parchemin scellé par Charles le Magne, dit finalement Philémon en présentant ledit document.

Pour mettre un terme à ce dialogue infructueux qui me fait noircir des pages de texte sans que l’histoire ne progresse, Mesch se décida alors à baisser partiellement son vêtement ; juste assez pour mettre au jour la probante marque.

Fort de ce constat, le visiteur expliqua qu’il avait été mandaté par le Magne pour prévenir et aider Mesch ainsi que solliciter l’avis de Hilde. Un conseiller du roi avait en effet été pris à partie par l’envoyé de Bagdad au motif qu’une femme – que ce dernier avait aperçue plus tôt dans le vestibule palatin – lui aurait dérobé un parchemin. Après nouvelle audience auprès du Magne, celle-ci sans succès, le quidam avait fait comprendre qu’il se mettrait en chasse pour retrouver ladite gueuse et lui faire goûter au courroux d’Allah.

Charles avait donc convoqué Philémon, jeune missus dominicus, pour aller en toute hâte prévenir Mesch et, en passant, demander l’avis de Hilde à propos des relations diplomatiques qu’il envisageait avec le calife de Bagdad.

– Et par quel heureux sort as-tu réussi à nous trouver ? s’enquit Hilde.

Ne dites pas «s’enquit-t-Hilde», on ne fait pas la liaison. On dit «s’enqui’Hilde». C’est étrange à dire mais c’est ainsi…

Revenons à la question de l’intéressée.

– Simplement : puisque le Bagdadi te pourchassait, il me suffisait de le suivre discrètement jusqu’à toi ! De plus, j’ai bu une cervoise en deux gorgées puisque cela m’a également mené à Hilde ! termina Tell avec un air de satisfaction, tout en ayant initié une expression encore en usage de nos jours.

– C’est quoi, un Bagdadi ? s’enquit Mesch.

– Un habitant de Bagdad.

– Et un habitant de Raqqa, c’est un Raqqaï ?

– Possible.

On s’en fout, nous, on veut que l’histoire progresse !

– Bon, on va commencer par se débarrasser du Bagdadi, là, je n’ai pas envie de l’avoir dans les pieds plus longtemps, proposa Hilde.

– Mettons-le dehors ; ce tantôt, j’enverrai mes compagnons restés à l’auberge pour lui donner une sépulture au bourg, suggéra Philémon, nous ne sommes pas des barbares, après tout.

– Oh, ça se discute...! commenta Hilde.

– Que dis-tu là ?

– Ils suffit de penser aux campagnes de Saxe : des massacres...!

– Les Saxons n’ont de cesse de se rebeller !...

– Comme moi, fit remarquer Mesch.

– ...Ce sont de païens !

– Comme moi, ajouta la devineresse. Tu vas nous massacrer, dans ce cas ?

– Non, bien entendu ! Vous n’êtes pas des sauvages !

À cette réponse, Hilde et Mesch se regardèrent d’un air entendu. Car, à l’époque déjà, on avait l’air bruyant.

Après avoir traîné le corps étranger dehors, Philémon le laissa sur le bord du chemin. Il obsdrva alors les deux femmes, le regard fixe, comme absorbé par ses pensées.

– Quoi ? demanda Hilde.

– Rien... Je suis absorbé par mes pensées.

– Tu nous déshabilles du regard, oui !

– Que nenni ! Je l’avais déjà fait. En réalité, je me demandais pourquoi cet Oriental ne vous avait pas retrouvées plus tôt, et pourquoi je l’ai aperçu en train de remonter le talus au lieu d’avoir pris la sente qui mène ici.

– En fait, il m’avait retrouvée plus tôt et s’apprêtait à me faire connaître son couroudala comme tu dis, lorsque Hilde, jusque là absente, surgit avec le gourdin et, telle un homme, lui asséna un coup sur le crâne que nous crûmes ainsi fracassé, raconta Mesch. Nous le fîmes alors rouler au bas du coteau pour s’en débarrasser.

Cette explication donnée, les deux femmes regardèrent alors fixement Philémon.

– Vous comptez me transpercer comme le ferait Superman de ses yeux-lasers ?

– Que racontes-tu là ? Tu ris, Tell, comme un coquillage ? Qui est donc ce « Spermane » ?

– Ne cherche pas à comprendre, Mesch, Philémon lui-même ne comprend pas, n’est-ce pas ?

– En effet, avoua Tell, décontenancé.

– En ma présence, les gens peuvent dire n’importe quoi, comme toi et lui venez de le faire ; n’oublie pas que je suis en relation avec le futur... Cela étant, afin de répondre à ton interrogation, je crois que Mesch sera d’accord avec moi pour te dire notre étonnement quant au fait que tu aies retrouvé le poursuivant, malgré le retard que tu avais, et qu’ensuite, tu sois arrivé – disons au moment opportun – pour l’empêcher de nous nuire.

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