Un exercice difficile

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Terminant tôt ses journées de travail, Ed profitait du reste de l’après-midi pour découvrir Trévoux. Aujourd’hui, il se dirigea en bord de Saône. Les bateaux de croisières allaient et venaient. Grâce à son château fort et au charme de la vieille ville, Trévoux bénéficiait d’atouts indéniables pour attirer les touristes.

Afin de s’installer convenablement, Ed se posa sur un banc. De sa sacoche, il extirpa un carnet à croquis et quelques crayons à papier. En observant les passants, le jeune homme essayait d’esquisser leurs silhouettes sans vraiment y parvenir. Il n’avait pas l’aisance d’un pro et avait du mal à capter l’exactitude d’un mouvement. Néanmoins, il appréciait l’exercice.

Sur un banc, il remarqua une vieille dame. Elle bouquinait à l’ombre d’un arbre. Edward n’hésita pas et tout en souplesse, avec quelques coups de crayon, il posa les bases de son dessin, puis par petites touches, il affina l’ensemble. La chance était avec lui, la dame semblait absorbée par son ouvrage. Avec la gomme, il effaça les traits inutiles avant de rajouter les détails. L’ensemble était réussi, il ne restait plus qu’à mettre quelques ombres pour apporter plus de réalisme.

Ed leva les yeux de son dessin et constata que son modèle prenait la fuite. Sans attendre, la petite vieille rangea son livre et se leva.

Partant d’un bon pas, elle s’éloigna mais trébucha sur une racine pour tomber de tout son long. Souffrant pour elle, Edward grimaça. À part lui, personne ne semblait avoir assisté à la scène. Tous vaquaient à leur occupation.

« Ne pas rester les bras croisés. Il faut agir ! » se répétait-il.

Il laissa ses affaires sur le banc et alla promptement au secours de la vieille dame. Arrivé à ses côtés, il déclara :

— Madame vous allez bien ?

Face contre terre, elle rétorqua :

— Ça pourrait aller mieux !

Après s’être retournée, en lui tendant ses deux mains, elle enchaîna :

— Jeune homme pourriez-vous m’aider à me relever ?

Hésitant, Edward l’empoigna délicatement et tira doucement. Une fois debout, la dame se secoua puis s’appuya contre lui en déclarant :

— C’était une belle gamelle n’est-ce pas ?

Timidement, Ed acquiesça d’un hochement de tête. Avec un large sourire, elle s’exclama :

— Rien de cassé, mes vieux os sont encore solides ! Comment vous remercier ? Je n’habite pas loin, vous voulez un café ?

Cette petite vieille manquait sûrement de compagnie. Ne voulant pas dire non face à tant de gentillesse, Ed accepta. Il récupéra sa sacoche et son carnet avant de la rejoindre.

En le regardant, la dame lança :

— Je vous embarque avec moi, mais je me suis pas présentée !

Après une petite révérence, elle entonna :

— Je m’appelle Gisèle et j’ai quatre-vingts ans.

Ed fut surpris, il ne lui donnait pas son âge, car elle était encore vive et pleine d’énergie. Tranquillement, ils s’éclipsèrent du bord de Saône et après un bon quart d’heure de marche, ils arrivèrent face à une maisonnette érodée par le temps. Durant son ouverture, le vieux portail rouillé grinça et d’une voix chantante Gisèle s’exclama :

— Il nous souhaite la bienvenue !

Ils traversèrent une cour étroite pour s’arrêter devant une porte en bois. D’une main tremblotante, l’octogénaire la déverrouilla péniblement, puis elle invita Edward à entrer. À l’intérieur, le jeune homme fut surpris par la simplicité des lieux. Son regard croisa plusieurs tableaux et portraits , le parquet était usé et les meubles anciens. Un poêle à bois trônait au milieu de la pièce et dans l’angle il repéra une cuisinière à gaz qui sentait le vécu. Soudain, l’ouïe du jeune homme fut attirée par un « tic- tac » régulier, il tourna la tête pour apercevoir une horloge mécanique. Dans cet univers antique, seul un téléviseur à écran plat dénotait du reste. Cette dame vivait chichement, elle semblait imperméable à la consommation de masse. Ed fut tiré de sa rêverie par le sifflement d’une bouilloire.

Avec un grand sourire Gisèle lui proposa de s’asseoir avant de demander :

— Ça ne te dérange pas de boire du café soluble ?

— Pas de problème, ça me va !

La dame posa le pot et la boîte à sucre sur la table et ajouta :

— N’hésite pas à te servir, fais comme chez toi.

À peine le café dosé, l’eau fut versée. Avec étonnement, Ed observait Gisèle mettre un sucre après l’autre dans sa tasse, elle en était à cinq !

En remarquant le visage interloqué de son invité, Gisèle révéla :

— Ne sois pas surpris mon p’tit gars, je suis gourmande !

Sur une console murale, Ed remarqua une photo en noir et blanc. Intrigué, il se leva pour l’observer. Un couple enlacé faisait face à l’objectif, la jeune femme était d’une beauté sauvage et l’homme aux yeux perçants dégageait une certaine autorité.

Il se retourna vers Gisèle pour lui poser une question, mais il fut devancé :

— Sur ce portrait, je suis en compagnie de Sadjo Bel, le père de mes enfants ! Il avait un charisme incroyable et il était très agile de ses mains. Il aurait pu devenir un pickpocket de renom, mais avec ce don il a choisi d’épater les enfants en faisant apparaître ou disparaître des papillons entre ses doigts. C’était un magicien atypique, il s’en est allé trop tôt…

Nostalgique de cette période la vieille dame hoqueta et des larmes coulèrent le long de son visage. Ne sachant pas quoi faire, Ed déclara :

— Je suis désolé, je ne voulais pas vous faire pleurer… Je ne savais pas qu’il était mort.

— Oh non, il n’est pas mort ! En fait je ne sais pas… Il est parti sans rien dire quand notre fils aîné a eu ses dix-huit ans. Il a toujours été libre et voyageur, je savais qu’un jour il reprendrait la route. Qu’il soit resté à mes côtés durant vingt ans c’est une très belle preuve d’amour, je ne pouvais pas en demander davantage.

Ed et Gisèle discutèrent un bon moment ensemble et ils furent étonnés de se découvrir de nombreux points communs. Leur échange était parfois agité mais chacun respectait le point de vue de l’autre.

Quand Ed passa le portail pour s’en aller, il leva sa main pour saluer la petite dame debout sur le seuil de sa porte. Cette rencontre présageait sûrement le début d’une belle amitié. Gisèle lui avait fait forte impression, elle était unique et une chose était sûre, il repasserait.

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