Lumière au cœur des ténèbres

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Le soir, à la lumière des réverbères, Victor remontait une rue pour rejoindre un ami. Le froid se faisait de plus en plus mordant, la nuit s'annonçait glaciale, il fallait se dépêcher et trouver un refuge. En plissant les yeux, au loin, il distingua une silhouette imposante. Impatient, Victor avançait, pas de doute, c'était bien Aldo. Poignée de main virile, large sourire, ils furent heureux de se retrouver et Victor s'empressa de raconter au colosse les événements de la veille :

— Hier une dame m'a offert le repas et j'ai pu dormir au chaud dans un immeuble. Ce matin j'avais même le droit à un sac rempli de provisions.

— Tu as une bonne étoile mon gars !

— Oh non ! Je pense que c'est grâce à Sadjo Bel ! Il a créé un nouvel élan de solidarité.

— Tu n'as peut-être pas tort. À midi, je dessinais devant une sandwicherie et sans rien demander, j'ai eu le droit à un menu gratuit.

— Ah, ben tu vois !

— Hey, sinon, j'ai un bon plan pour ce soir.

— Pour ça, j'te fait confiance !

Les deux hommes se mirent en route, en marchant, ils ne croisèrent personne. Depuis la vague de meurtres les citadins ne sortaient plus ! La psychose faisait son œuvre, ils passèrent devant des fast-foods et des restaurants franchisés désertiques. Boudant ce genre d'enseigne, Aldo continua son chemin pour entraîner Victor dans des ruelles toujours plus sombres. Devant un bâtiment à la façade décrépit le colosse s'exclama :

— On est arrivé !

Puis le géant poussa la porte lugubre avant de s'engouffrer à l'intérieur. Malgré son appréhension, Victor entra. Il déboucha dans une salle spacieuse au décor rustique, en balayant du regard la pièce, il distingua des tables dressées et un bar bien fourni. Les vieux meubles et le parquet en bois donnaient une ambiance d'antan. Avec un sourire jusqu'aux oreilles, Aldo murmura :

— Au fait ce soir, c'est moi qui t'invite !

Des bruits de pas lourds et réguliers brisèrent le silence. En claudiquant, un homme trapu à la moustache imposante approcha. Il avait les cheveux dégarnis et le visage marqué, Victor lui donnait un bon demi siècle.

En regardant Victor, d'une voix tonitruante, le type déclara :

— Je suis Gregor, bienvenue dans ma taverne associative. Asseyez-vous à une table, je vous apporte la carte !

Sans attendre, les deux amis s'installèrent au plus proche d'un radiateur et Gregor revint avec deux petits dépliants et une bouteille de vin.

L'homme avoua :

— À cause du tueur en série qui rôde toujours, j'ai moins de client. Donc pour les plus téméraires j'offre le vin et le dessert ! Pour le plat de résistance, j'vous conseille la tartiflette de la maison, ça tient au ventre et ça vous réchauffe.

Victor et Aldo échangèrent un regard avant d'accepter la proposition. Le tavernier hocha la tête et demanda :

— Vous désirez une entrée ?

Les deux hommes regardèrent la carte, ils optèrent pour l'assiette de mâche accompagnée de betterave rouge et de fromage de chèvre.

Victor regarda Gregor partir en boitant puis il chuchota :

— T'as vu Aldo, il a une jambe de bois comme les pirates.

— Je sais que c'est un ancien militaire. Je n'ai jamais osé lui demander pour sa jambe, mais je pense que c'est une blessure de guerre.

— C'est triste...

— Ou héroïque ! Tout dépend notre vision des choses. Et puis, regarde-le, il semble heureux.

— Oui, tu as raison !

Au chaud, en attendant leurs assiettes les deux amis discutèrent et d'autres clients débarquèrent. Une jeune et jolie serveuse arriva, d'une voix chantante elle annonça :

— Voilà vos salades Messieurs ! Bon appétit !

Pendant qu'ils savourèrent leur entrée, le lieu nocturne prenait vie. Les gens allaient et venaient. Certains se retrouvaient et riaient de bon cœur, d'autres allaient à la rencontre d'inconnus. Gregor avait su créer un espace convivial et accueillant.

Maintenant que l'ambiance battait son plein Aldo s'amusait à observer l'attitude de chacun. Son œil d'artiste avide s'imprégnait du moindre détail. Et la cerise sur le gâteau ce fut quand la tartiflette arriva ! Elle était délicieuse, ils ne regrettèrent pas leur choix.

Soudain, des bruits sourds éclatèrent et le temps s'arrêta. Tout le monde tourna la tête en direction de l'entrée. Qu'est-ce que se passait ? D'où provenait ce raffut ? La porte s'ouvrit violemment et un homme habillé de guenilles s'approcha ! Son masque hideux, et la hache dans sa main ne laissait rien présager de bon. Dans un premier temps, face à cette menace, personne ne bougea. Fou furieux, l'homme abattit brutalement son arme sur une table, elle ne résista pas et se fracassa par terre. Effrayé par cet excès de violence, les clients s'écartèrent. Le type brandissait à nouveau sa hache et par des gestes d'apaisement la majorité essaya de le calmer, sans succès. De sa poche, l'individu extirpa un sac plastique, puis d'une voix rocailleuse, il lâcha :

— Vous mettrez toute vos thunes à l'intérieur du sac quand je passerais à côté de vous ! Celui qui essaye de me duper ou qui refuse de m'obéir, goûtera à ma lame !

Il toisa son auditoire avant de commencer sa funeste tournée par Victor qui tremblait de peur.

Venant à la rescousse de son ami, le colosse lâcha :

— T'as pas de chance mec, je crois que tu as commencé par le seul qui n'a pas un sous en poche...

— Te fous pas de ma gueule connard !

Piqué au vif, Aldo se leva doucement puis du haut de ses deux mètres dix-huit, il regarda sévèrement le braqueur.

Il haussa le ton :

— Répète pour voir ?

Face à cette montagne en colère, l'homme masqué recula d'un pas et rageur, il cria pour effrayer sa cible. Ses doigts se crispèrent sur le manche de la hache, et il frappa. Le geste était maladroit, Aldo s'écarta et d'un mouvement, il déstabilisa son agresseur, puis il le plaqua violemment contre le parquet. Immobilisé, le bandit se mit à geindre :

— Pitié, pitié ! Ne me cassez pas la gueule !

Avec une poigne de fer, Aldo, retourna le type, puis il lui arracha son masque. Sa surprise fut totale quand il découvrit un jeune homme boutonneux. Le colosse n'eut pas le temps de prononcer un mot avant que Gregor arrive à grand pas.

En fronçant les sourcils, le gérant vociféra :

— P'tit voyou ! Qu'est-ce qui t'as pris de faire ça ?

— Je...

Le tavernier le coupa en lui saisissant l'oreille et rétorqua :

— Pour rembourser les dégâts, tu vas faire la plonge mon bonhomme ! Mais avant, tu vas tout ramasser !

La serveuse arriva avec une pelle et une balayette. Grâce à la participation de chacun, après quelques minutes une table fut de nouveau dressée et la soirée reprit son cours, enfin presque... Un jeune homme était en train de recevoir une leçon de vie qu'il n'était pas prêt d'oublier.

À vingt-deux heures, l'estomac comblé par la tartiflette, Victor et Aldo passèrent au dessert. Le premier opta pour un fondant au chocolat, et le second pour une île flottante. Après un moment d'attente, la jolie serveuse vint avec les mets sucrés et à leur vue, ils salivèrent. La première bouchée fut exquise et délicate, tout deux avaient les papilles en émoi. Durant la dégustation, ils bavardèrent tranquillement et s'esclaffèrent à plusieurs reprises.

Pour régler l'addition, les deux amis se levèrent et se dirigèrent au comptoir. Gregor expliqua :

— Les desserts sont offerts ! Et pour les deux salades et deux tartiflettes, ça vous fera vingt euros.

Après avoir encaissé la monnaie, le tavernier ajouta :

— Aldo, encore merci d'avoir maîtrisé le jeune. J'ai parlé avec lui et c'est pas un mauvais bougre !

— Il nous a tout de même fait une belle frayeur ! Durant un instant, j'ai bien cru que c'était l'homme à la hache.

— J'dis pas le contraire...

— On se revoit tout à l'heure ?

— Ouais, j'vous rejoins dès que j'peux !

Aldo présenta à Victor le salon de la taverne.

— Tu vois, c'est un espace pour se divertir et se détendre. Il y a un baby foot, un billard, des fléchettes et des jeux de société. C'est convivial et en général, on délire bien.

— Ah, c'est cool !

Il y avait déjà du monde, certains étaient concentrés dans leur partie d'échecs pendant que d'autres rigolaient en distribuant des cartes. Les deux amis jouèrent au baby foot, puis au bout d'un moment des habitués se joignirent à eux. N'arrivant pas à rivaliser face à des types comme ça, Aldo et Victor prirent une bonne raclée. Mais à force de conseils, les sensations d'antan commençaient à revenir et avec un peu d'entraînement, ils pourront leur tenir tête plus longtemps. En fin de soirée, Gregor arriva avec un cubi de rosé, l'alcool coula à flot et enivra les esprits. Happé par l'ambiance festive, Aldo et Victor étaient heureux, il y a belle lurette qu'ils ne s'étaient pas amusés comme ça. Durant la nuit, épuisés, ils se laissèrent choir dans des fauteuils flambant neufs et en quelques minutes, ils basculèrent dans un sommeil profond.

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