Les négociations 15/

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Quand il la prit dans ses bras pour la bercer, c'en fut trop pour Ombre. Obtèr suintait d'inquiétude et de colère froide. Cela confirmait ce qu'elle voulait nier.

Oui quelque chose de grave venait de lui arriver. Elle ne voulait pas, pour rien au monde, être victime de quelque chose de grave. Ni même être victime, tout simplement. Jamais. Pas alors qu'elle était parvenue à être aussi libre esclave qu'affranchie. Pas alors qu'elle avait préservé la famille de Xévastre, pas alors qu'elle voyait le passé et connaissait les secrets de tout un chacun. Non, pas elle. Jamais.

Le soleil finit par se lever. Obtèr, sa fille toujours dans les bras s'assura que leur cachette leur permettrait de s'attarder encore. Oui, les oubliés soient loués. Il prit le temps de lécher le sang sur son enfant. Il goûta celui de sa fille adoptive uniquement sur sa main. Au goût, aucune infection à l'horizon. Il lapa aussi quelques éclaboussures sur son visage, du sang humain, et sur ses vêtements, tout aussi humain et de la même famille.

Ce nettoyage terminé, il se sentit légèrement plus détendu. Sa fille ne portait pas de blessure, au moins son corps était-il intact. Mais comment soutenir son esprit ? Et les conséquences de ces évènements, comment l'accompagner ? Car son violeur devait être mort depuis. Vu tout le sang dont elle avait été aspergée, il devait être exsangue. L'injustice humaine lui tomberait dessus d'ici trop peu de temps. Déjà qu'il n'avait aucune idée des réactions de sa petite avec son esprit limité, Obtèr ne savait comment l'aider après cette tentative de viol.

L'esprit en ébullition, un hoquet d'Ombre lui rappela le présent. Pour le moment, aucune accusation de meurtre ne pesait sur elle, et l'urgence consistait à ne pas agraver son cas.

Tandis qu'elle cédait de nouveau aux larmes, Ombre se sentit soulevée encore une fois, et se laissa emmener ainsi aux quartiers dragoniens. Ils la verraient tous dans son état de faiblesse. Son instinct lui sommait de se cacher, mais la volonté lui manquait. Ses propres larmes lui échappaient, alors se mouvoir pour... aller où ? Même les dragoniens de Xévastre la trouvaient assez misérable pour l'abandonner à son sort.

Une fois dans la salle, si beaucoup vinrent s'enquérir de la nuit d'Obtèr, nul ne lui demanda ce que faisait sa fille sur son épaule avec la main portant un demi-cercle encroûté aux écailles brisées. Le garde ne raconta qu'une fois sa nuit :

  • Ma fille ne revenait pas, maintenant qu'elle est là je la quitte plus. Dites que leur bouffe de merde m'a collé la chiasse, je reste là.
  • Attends, Obtèr... pourquoi tu veux rester enfermé là ? C'est un aveux de faiblesse ta...

Le claquement d'une gifle interrompit l'importun. L'odeur du sang imprégna la pièce, rendant la tension générale palpable.

  • Ta gueule.

Sur ce, il s'imposa près d'une fenêtre ouverte, veilla à ce que le soleil caresse Ombre et l'entoura de ses bras ainsi que de ses ailes. Cette dernière sentait qu'il ruminait bien des choses. Elle aussi. En temps normal elle détestait qu'on lui touche la tête, cette fois les caresses de son père l'apaisèrent peu à peu.

Au fil des impératifs des uns et des autres, la salle se vida, et ils restèrent seuls tous les deux. Obtèr profita de cette solitude pour murmurer à sa petite ce qu'il trouvait de paroles encourageantes, caressantes, et qui l'inciteraient à parler d'elle.

Ombre sentait le besoin de son père de savoir comment elle allait, dans quelles mesures, dans le but de l'aider. Il lui fallut des heures, à démêler ce qu'elle éprouvait et plus de temps encore pour se permettre de relâcher son contrôle dans les bras de son père. L'évènement les dépassait tous les deux. En milieu de matinée, elle lâcha malgré elle le détail du rideau qui se fermait au moment où on l'entraînait dans la réserve. Obtèr en cessa de respirer. Après une longue inspiration, il gronda du bout des crocs :

  • Il est possible Ombre, que certains adultes n'aient pas veillés comme ils auraient du. Ce soir, quand ton seigneur ira te faire chercher, j'en profiterais pour m'en occuper... entre adultes. T'as bien fait de m'en parler. T'as très bien fait... t'as été courageuse et tu as bien agi.

Depuis le temps, la petite rousse ne parvenait plus à verser de larmes, elle se sentait juste vide. Aussi eut-elle seulement la force de le remercier d'un regard.

Le silence plana, puis tous deux ouïrent trois personnes monter dans les escaliers en colimaçon. Au pas de course. Les trois visiteurs se massèrent devant la porte, et tinrent un court conciliabule animé. Finalement, quelqu'un frappa, et les deux dragoniens reconnurent la voix du sieur Bastian de Xévastre leur demander d'ouvrir. Quelque chose dans son ton, en plus de sa simple présence accompagnée de deux gens de Vorn les hérissa. Obtèr laissa sa fille se lever la première, avant de prendre son temps pour la suivre.

Titubante, la dragonienne obéit au sieur. Deux serviteurs humains à l'air hostile se serraient dans son dos, en livrées vertes.

  • Hubert... Ombre... les salua le noble.

Les interpelés acquiescèrent, la première mal à l'aise au possible et le second avec défiance tandis qu'il rejoignait le groupe, laissant voir la fluidité avec laquelle son arme de service coulissait dans son fourreau. Soucieux, Bastian se racla la gorge avant de reprendre.

  • Une affaire grave te concerne, Ombre... la famille ducale et la mienne souhaitent te voir.
  • C'est pour la condamner ? grogna Obtèr.
  • Non. Quoi qu'il arrive, Ombre ne subira aucune peine irrémédiable. Vous en avez ma parole.

Les deux écailleux surprirent sans peine le regard de mépris des deux humains derrière leur seigneur. Grave, Bastian adressa un clin d'oeil à ses serviteur, puis se recula avec brusquerie. Les serviteurs bondirent avec coordination pour ne pas être percutés, et se placèrent déjà quelques marches plus bas.

  • Ces deux hommes vont vous guider jusqu'à la salle de jugement. Je ferme la marche. Sur ce, allons-y.

Plusieurs fois sur le chemin, Obtèr tenta d'en savoir plus et se heurta aux interdits de Vorn, que même Bastian se devait de respecter. Ombre elle, profita du trajet pour améliorer du mieux qu'elle put sa mise.

Les humains les conduisirent jusqu'à une aile que la dragonienne connaissait peu. Au troisième étage, une verrière servait de plafond, laissant entrer le soleil sans offrir le moindre recoin ombragé. Les deux familles se faisaient face, Obtèr et Ombre furent invités à se placer entre les nobles. Quelques lois furent rappelées par le Duc de Vorn, grand homme sachant faire oublier son léger embonpoint par une prestance maîtrisée.

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