Les négociations 12/

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Ils traversèrent des corridors sublimes, surveillés à intervalles réguliers par des dragoniens en armures. Ombre se maîtrisa pour contenir les frissons que lui inspiraient ces frères détraqués. Ils arrivèrent au milieu d'un couloir à la hauteur d'une double porte d'ébène et de sapin jaune finement travaillées, que le serviteur ouvrit avec une certaine prestance.

La famille de Xévastre sirotait un vin local, et malgré leurs efforts juraient avec le décors. Leurs broderies semblaient plus ternes et moins soignées que celles des rideaux. Maître Xavier l'apperçut le premier, et lui fit signe de venir avant de congédier sèchement le jeune humain.

  • Ah, Ombre, il ne manquait que toi !

Méfiante, elle conserva son air béat et lui sourit. Il comprit et lui demanda à mi-voix :

  • Aurions-nous quelques indiscrets aux portes ?

D'un geste, elle demanda un silence que l'aîné lui obtint en toute discrétion. La conversation parut mourir d'elle-même. Ombre désigna la porte en face et leva le pouce. Sans attendre, Bastian bondit et ouvrit le chambranle avec fracas, ainsi que la joue d'une jeune servante terrifiée de cette agression soudaine.

  • Oh, veuillez m'excuser, susurra l'homme, j'avais cru entendre un bruit suspect. Dites-moi, n'est-ce pas dangereux de saigner à proximité de ces bêtes ?

Il désigna du menton les gardes de faction, la visière des casques tournée vers la damoiselle. Mal à l'aise, elle prit la fuite à une vitesse tout juste polie en s'excusant. Bastian referma la porte, et s'enfonça dans le fauteuil qu'il venait de quitter avec un soupir d'aise.

  • Quel bonheur ces fauteuils, il nous faut le nom des ébénistes qui y ont travaillé !
  • Et vous deviendrez gras et fainéant, siffla Dame Utiale.
  • Personne ici n'est gras et...
  • La fainéantise hante cet endroit, embrume les esprits et la morale.

L'affranchie profita du persifflage de la comtesse pour rejoindre son seigneur, et lui murmurer le danger immédiat auquel elle était exposée. Il lui restait moins d'une heure pour échapper à un viol. Gérald paniqua aussitôt, et sut s'accaparer l'attention :

  • Père, vous devez trouver une occupation pour Ombre pour cette nuitée !
  • Pour quelle raison, Gérald ? Vous vous rendez compte que vous pourrez passer une nuit seul sans votre chiffon d'enfant ?

L'injure fit rire les trois aînés, et pétrifia la dragonienne. Herbert en eut le hoquet, pendant que Bastian écrasait une larme et s'enquit :

  • Que se passe-t-il ?
  • Le palefrenier veut un tête à tête sous cinquante minutes désormais...
  • Et donc ? interrompit Xavier. À peine arrivée que tu séduis déjà un homme, voilà bien un talent que tu nous as dissimulé !

Les hommes ne purent s'empêcher de ricanner, à l'exception de son seigneur. Moritifée, Ombre se rapprocha de lui, l'interposant entre ces égoïstes et elle.

  • Je connais ses méthodes, toutes celles qui sont passées entre ses mains se sont suicidées.

Ils s'échangèrent des regards badins. Seule Dame Utiale se garda du moindre commentaire. Herbert murmura quelque chose à Bastien, qui gloussa et passa le mot à Xavier, qui le transmit au Comte Thomas. Les quatre hommes peinèrent à contenir leur rire.

  • Messires, il me faut votre assistance. J'espionne pour vous...
  • Et tu n'as pas vu les muselières venir, releva Xavier. Ni cette invitation.
  • Je vois le passé, pas l'avenir, se hérissa l'espionne.
  • Ce soir je te prends comme guide pour passer une insomnie, va, décida Bastian.

Satisfait, il prit ses aises et s'affala comme un bienheureux. Le silence désappointé le contraignit à rouvrir les yeux.

  • Eh bien quoi, nos hôtes nous ont bien trop nourris, une balade digestive s'impose pour ma part. Et il me faut bien une sotte pour lui raconter mes derniers exploits à l'entraînement. Cette nuit Ombre, tu seras bien occupée et indisponible pour quiconque.

L'affaire réglée, Maître Xavier la releva de ses devoirs d'espionnage pour la durée du séjour, et la famille poursuivit son badinage, demandant à Ombre de retenir leurs spéculations et impressions. Ils voulaient savoir dans quelle mesure ils parvenaient à voir clair dans le jeu de la famille de Vorn. Neuf heures du soir passèrent, ce n'est que vers onze heures passées que, fidèle à son engagement Bastian demanda à Ombre de l'accompagner, et lui rebattit les oreilles de vantardises et de termes techniques liés à l'escrime.

Elle n'eut pas à feindre son intérêt. Au cours de leur errance, il l'accompagna jusqu'aux appartements nauséabons des siens. Près de la tour, le palefrenier les interpella.

  • Veuillez pardonner ma rudesse, messire...
  • En aucun cas, partez, grogna le noble.
  • Cette non-humaine devait m'aider ce soir, elle s'y...
  • Elle ne vous doit aucune assistance, ni à vous ni à aucun autre serviteur ici. Restez loin d'elle, elle est au service exclusif du Nord.
  • Sauf votre respect...

Bastian dégaina une dague avec nonchalance et la pointa vers son interlocuteur, à hauteur de l'estomac.

  • N'outrepassez pas vos droits. Elle est au service de ma famille. Et de personne d'autre. S'il lui arrive quoi que ce soit durant ce séjour, vous serez le premier que je soupçonnerais. Est-ce clair ?

Le palefrenier leva lentement les mains, et se recula, crispé. Bastian le tint en joue, et raccompagna personnellement la petite rousse. Il maugréa au sujet du sale regard de l'homme, et souhaita la bonne nuit à l'écailleuse.

Soulagée comme rarement, elle le remercia avec des effusions inhabituelles. Dès que le noble partit, Obtèrr saisit sa fille par la taille et l'enlaça, reconnaissant envers cet humain, et tout ce qui avait bien pu épargner des horreurs à son enfant. Cette dernière s'abandonna à son emprise, et ils ronronnèrent de concert.

  • Je ne te laisserais pas seule ici... lui murmura son père.
  • Merci...

Le reste de la nuit, Ombre se laissa bercer dans les bras de son père, jusqu'à se laisser emporter dans le passé.

Au lendemain, elle parvint à esquiver toute sortie des appartements réservés aux dragoniens de Xévastre. Malheureusement, de nouveau à la venue du soir, les de Xévastre la convièrent de nouveau, et comparèrent leurs ressentis à la réalité. À vrai dire, Xavier faisait montre d'une certaine clairvoyance.

Cette fois, personne ne daigna la raccompagner. Bastian était occupé à croiser le fer avec le général de Vorn, et Gérald convié à prendre exemple.

Seule sur le chemin du retour, elle recroisa le chemin du palefrenier. Son regard en disait long sur ses intentions.

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