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Les derniers rayons du soleil disparaissaient dans la brume des marais, tandis que Ssdvenna’êk errait entre les portes du village. La nouvelle de son retour circula plus vite que lui, et son aîné vint le chercher en courant, fou d’inquiétude.

Après l’avoir soulevé, il s’élança vers leur foyer, et comprit à l’odeur que son petit frère avait batifolé avec l’une des filles de leur chef de clan. Et à son attitude, il craignait le pire.

Jeté sur le lit familial, le petit dernier tâta ses poches et pleura en se rendant compte qu’il avait oublié sa récolte du jour. Aucun mot ne lui venait, simplement des relents de honte dont il se situait mal l’origine. Ses quatorze aînés l’entourèrent, sans oser lui poser de questions. L’une des plus jeunes lui tendit timidement un bouillon fumant, il en versa la moitié sur lui sans y prêter attention. Je’hônièk’, le plus âgé de tous, s’accroupit en face du rescapé, et prit son temps pour le scruter en cherchant encore ses mots. De nouveau, le puîné précipita le dialogue.

- On t’en veut pas pour les plantes. C’est…

Il hésita, puis cracha, avant d’écumer :

- Îk’vann ?

Ssdvenna’êk hocha la tête en finissant son bouillon, un autre frère s’empressa de le resservir. Les plus âgés frémissaient de rage, les plus jeunes sentaient l’hostilité et la crainte ambiantes. Effrayés, ils s’aggrippèrent aux plus âgés, formant un bloc face au futur traducteur.

- … Elle t’a demandé la permission ?

L’intéressé se pétrifia. Son regard devint vide, il brisa son bol de terre cuite et pleura, manquant de s’éborgner avec les éclats de vaisselle en voulant dissimuler sa faiblesse. Le bloc de la fratrie le rejoignit aussitôt sur le lit, tous se pressèrent contre lui avec des grognements apaisants.

Plusieurs heures furent nécessaires, avant que les deux aînés ne parviennent à s’extraire de la masse somnolente et ne sortent discuter à voix basse devant la porte de la masure.

- Ké schiarks…

- On peut rien faire…

- Et tu sais c’est quoi le pire ?

- Qu’il peut s’estimer chanceux de vivre encore et sans morceau manquant ?

- … ouais…

Intriguée, Ombre explora leurs pensées, et découvrit que la violeuse de Ssdvenna’êk agissait comme la Demoiselle. Elle découvrait l’absence de limites à ses pouvoirs et en retirait un plaisir croissant.

- Arrête ça… soupira Ssdvenna’êk adulte du bout des crocs. Quelle heure est-il, dans le présent ?

La dragonienne réfléchit, et estima le temps écoulé d’après sa faim :

- Deux heures se sont écoulées depuis notre sommeil.

Son accompagnateur s’efforçait de se reprendre. Revoir cette partie de sa vie le secouait bien plus que ce à quoi il s’attendait. Elle lui laissa le temps, et s’installer sur le toit de son ancienne maison. Des heures s’écoulèrent, assez pour que l’aube se lève sans que les aînés ne trouvent de manière de faire pour aider leur cueilleur de plantes. Îk’vann était intouchable, et pire, devait succéder à son père dans la domination du clan. Ssdvenna’êk reparut, et se recueillit devant ses aînés, accroupi devant leurs regards songeurs et sans espoir pour lui. Il leur murmura des remerciements, avant de s’observer repartir à la cueillette, mû par une décision qui allait faire tourner court son existence.

Le petit se faufila par la fenêtre, profitant de l’engourdissement de son corps pour que les battements de son cœur soient assez faibles pour passer inaperçus, et partit chercher sa récolte de la veille. Il avait décidé d’affronter sa faiblesse qui le rongeait déjà, et souhaitait tout d’abord affronter les lieux. Tout seul.

Ses sacoches retrouvées, il reprit sa tâche abandonnée, la peur et la faim au ventre. Il ne comprenait pas les odeurs restées au sol. Seulement que cela lui retournait l’estomac à l’en faire vomir. Il ne se souvenait que d’avoir été allongé de force par l’une des filles du chef de clan, et d’avoir eu une crampe en un endroit inédit. Ainsi que du sentiment de salissure. Et bien des choses confuses qu’il ne parvenait ni à nommer, ni même à penser.

À force de recherches pour la cueillette, il approcha d’un ruisseau saumâtre. Et d’Îk’vann. La terreur le pétrifia. Puis elle se tourna vers lui, et il improvisa pour dissimuler sa faiblesse. Avec amusement, elle le vit se camper sur ses deux pieds, bomber le torse et carrer les épaules.

- Mon petit champion d’hier, minauda-t-elle.

- Tu m’as fait quoi hier ?

La pointe de haine surprit l’adolescent, qui s’attendait plutôt à ce que ses craintes s’entendent.

- J’ai fait de toi un adulte, tu as aimé j’espère ?

- Oui, d’ailleurs je compte recommencer.

Ça la fit rire. Puis elle secoua la tête.

- Pas envie, casse toi.

Il huma l’air. Elle ne sentait plus comme la veille. Son odeur était redevenue habituelle. Mais elle l’avait brisé. Lui aussi allait la briser. Même en étant plus petit, plus jeune, plus léger. Tous les deux brisés, détruits, ils seraient égaux, au moins au niveau de l’esprit. Il se fit enjôleur, prenant le même ton que ses frères quand ils voulaient passer du bon temps.

- S’il-te-plaît.

Pour toute réponse, elle se désintéressa de lui et reprit son activité : la pêche à la main. Se sentant déjà oublié, le petit dragonien brun en profita. Il s’approcha avec une lenteur extrême d’Îkvann, jusqu’à se trouver dans son dos. Il forma une masse de ses deux poings, régla sa respiration sur celle de sa proie aux pieds dans l’eau. Il sortit les griffes, les planta dans le sol. Tout doucement, ses pieds devinrent des pattes postérieures draconiques, ses ailes et sa queue l’équilibraient dans sa pose.

Il bondit.

La masse de ses poings s’abattit au creux du cou de sa cible, qui s’effondra dans l’eau glauque.

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