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Ils eurent une longue, très longue conversation, durant laquelle l’adolescent comprit laborieusement qu’il était désormais nubile. Sur le temps nécessaire à cette illumination, seuls ses deux frères les plus âgés étaient restés, et se consultaient presque à chaque phrase avant de s’adresser à lui.

La fratrie orpheline depuis des décennies reposait sur eux, et ils se rendaient bien compte qu’ils ne savaient pas éduquer les petits derniers. Ssdvenna’êk était leur échec le plus cuisant, charge à eux de rattraper leurs erreurs… et ils n’avaient aucune idée du pied sur lequel danser.

Maintenant qu’il pouvait nommer ce qui lui arrivait, le futur tisserand les harcelait de questions, auxquelles ils coupèrent court :

- Ssseh, écoute, maintenant tu peux, tu es capable de devenir père.

- Oui j’ai compris.

- Mais c’est pas parce que tu peux, que tu dois. Vu ?

- Oui, oui, de toute façon… comment on devient papa ? Parce que moi… je veux pas, ça…

- En…

Les deux plus âges lui tournèrent le dos, et échangèrent des messes basses. Deux fois ils se redressèrent, avant de se raviser et de reprendre leur conciliabule. La troisième fut la bonne, bien qu’hésitante :

- Quand t’es dur comme ce matin… ssseh… à force de frotter…

Le second prit le relais.

- Tu as un genre de liquide qui sort, et quand ça arrive dans une consœur, elle peut tomber enceinte. Et c’est là que tu deviens papa.

- Mais c’est dégueu de les approcher avec ! se hérissa le tout juste pubère. ‘Fin c’est moche et c’est sale !

L’aîné ouvrit la bouche plusieurs fois, se ravisa, puis murmura de nouveau avec le second. D’un côté, la situation les agaçait prodigieusement. Et de l’autre… s’ils ne répondaient pas à ses questions, qui le ferait ? Ses amis ? Ils préféraient veiller à ce qu’il ne devienne jamais un élément honteux de leur famille, et ils s’en voulaient d’avoir toujours reculé ce type de conversation. Ils trouvaient plus aisé de protéger leurs sœurs notamment en les prévenant, que d’enseigner à leurs frères comment se comporter dans ce type d’intimité.

- Tu as du percevoir de nouvelles odeurs, depuis quelques semaines, non ?

- Si… grogna Ssdvenna’êk.

Où voulaient-ils en venir ? Quel rapport ?

- Les odeurs de consœurs surtout plus âgées que toi ?

- Ouais.

- Qui te donnait envie de les suivre et de t’en rapprocher toujours plus ?

- Oui, oui.

- Voilà, donc tu connais l’odeur des chaleurs. Cette odeur-là, pendant quelques années, va te durcir à l’instant, c’est normal…

- Mais vous voulez en venir où ?

- Ssseh…

- À force de te rapprocher, vous allez baiser. C’est à dire que vous écailles à l’air, dans un état second euphorique, t’auras ta lance dans sa moiteur entre ses cuisses, et je te conseille de bien lui mordre la nuque et de couvrir son dos pour l’empêcher de se transformer.

Le plus âgé des trois applaudit le puîné avec sarcasme.

- On avait dit…

- Tu sens bien qu’il s’impatiente. Alors autant tout lui dire. Quand un couple s’isole, c’est pour ça. Plus les embrassades, les caresses et les câlins. Plus tu prends ton temps pour les caresses et dire ce qui te plaît, mieux tu baises. Surtout quand tu as aussi écouté ta compagne et que vous vous faites plaisir. Mais surtout, petit, si toi tu n’as pas envie de baiser, tu baises pas. Et si ta compagne veut pas, tu lui fous la paix. Si elle t’emmerde, casse toi. Et si c’est toi qui l’emmerde, elle aura raison de se casser, parce que c’est la définition des connards. Et dans notre famille, on renie les connards.

- Non, il n’est pas question de connard, c’est bien pire que ça. Quand quelqu’un baise de force, on parle de viol. Ce truc, ça nous a empêché de passer du bon temps avec bien des conquêtes. Et valu des bannissements aux coupables.

- Passer du bon temps ? Baiser ?

- Pas forcément. Les câlins et tout le reste, c’est mieux tranquilles à deux que devant tout le monde.

- Et si je veux baiser, je suis obligé de bander ?

- Alors, comme on t’a dit, tu pourras jamais plier la chose à ta volonté. Mais ouais, pas le choix. Et si t’y arrive pas… ssseh, les câlins, c’est très bien. D’ailleurs, si y’en a une qui t’en veux de pas bander quand elle veut, appelle nous, on lui casse la gueule.

Ombre s’intéressa au traducteur de son présent. Il passait de l’un de ses frères à l’autre, bouche bée, les yeux ronds et l’air aussi stupéfait que nostalgique. Leur conversation se poursuivit encore, jusqu’à ce que l’aîné cède et promette à Ssdvenna’êk de poursuivre plus tard dans la journée. Leurs tâches quotidiennes prenaient du retard. Le jeune dragonien partit cueillir des plantes pour le repas sur un dernier conseil :

- Aujourd’hui, reste loin des sœurs en chaleur ! Ça peut rendre fou !

Les deux arpenteurs du passé suivirent l’adolescent à travers les rues boueuses du village, puis s’éloigner sous le regard las de sentinelles guettant plus la faune que d’éventuels ennemis.

Le ciel gris et bas rendait l’atmosphère moite et étouffante comme jamais. Le petit transpirait dans ses vêtements de toile verdâtre, teinte uniquement due à ses bagarres dans la vase. Il remplit consciencieusement ses divers sacs, séparant les herbes médicinales des aromatiques, et prenant à part les agréments croquants pour les repas.

Tandis qu’il ânonnait les vertus de chaque feuille ou tubercule qu’il prenait, une dragonienne plus âgée le prit en chasse. L’adulte se superposa aussitôt à la prédatrice, et Ombre l’y rejoignit. La suite était préméditée. Du moins, en partie. Ssdvenna’êk put découvrir sa propre odeur du nez d’une dragonienne, et suivit avec dégoût ses pensées.

Le cueilleur se trouvait très loin de son campement, lorsqu’elle se jeta sur lui pour le plaquer au sol, et le chahuter avec malveillance. Joueur, le gamin se débattit, aiguisant l’esprit de prédation de son agresseuse.

Alors qu’elle le maintenait sur le dos, il se demanda pourquoi elle lui saisit les poignets pour lui étendre les bras au-dessus de la tête. Il avait déjà reconnu sa domination pourtant. Ils s’étaient bien bagarrés, elle avait encore gagné, et de toute façon il l’avait toujours reconnue comme sa supérieure hiérarchique. Alors pourquoi ce geste qui le mettait mal à l’aise ?

- Tu sens bon aujourd’hui, Sdvenna.

- Ssseh… ah ?

- Serais-tu devenu un adulte ?

- Tu… tu es en chaleur, pas vrai ?

La mimique qu’elle lui offrit le terrifia, tandis que son corps le trahissait, et réagissait aux phéromones qui lui montaient à la tête. Il couina.

- Lâche moi.

- Pourquoi faire ? Je sens que je te fais envie…

- Je veux pas devenir papa…

- Il y a des herbes pour éviter ça, tu sais ?

- Je veux pas devenir papa…

- Le thé du lendemain, tu connais ?

- Je veux pas…

- Bien sûr que si. Laisse faire.

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