Où 7/10

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La guérisseuse interpela ensuite quelqu’un, un dragonien vaincu par Ombre, qui emmena Gérald sous la tente, le regard hostile. Ombre ne put s’empêcher de hérisser les écailles, guettant le moindre signe de violence. Il ne se passa rien, et Ssdvenna’êk lui laissa le temps de s’assurer que l’humain ne soit pas maltraité.

Son seigneur sous la tente, les locaux se concentrèrent à nouveau sur leurs tâches. Le tisserand se racla la gorge pour attirer de nouveau son attention. Son coffre contenait divers rouleaux tissus. Il en déploya un gris perle, qu’il déploya devant la dragonienne. Il détailla brièvement l’ensemble, réenroula le tissu et sortit une autre teinte grise. Il recommença plusieurs fois, jusqu’à trouver ce qu’il cherchait. Le dragonien déroula plusieurs bandes, prenant sensiblement de tête les mensurations de sa cliente.

- Tou aimes ?

- … Pourquoi…

Elle s’intéressa à sa charpie ensanglantée. Le choix n’existait pas.

- Oui. J’aime.

- Bôge pas… s’enorgueillisa Ssdvenna’êk.

Ombre se laissa manipuler pour prendre diverses poses, tandis que son esprit tentait de comprendre ce qui lui arrivait. Son seigneur se trouvait incarcéré chez des dragoniens libres. Deux telles énormités lui étaient inconcevables. Elle ne savait rien du lieu, ni des personnes qui y vivaient. La dragonienne ne comprenait même pas les conversations. Elle pouvait écouter tout son saoul, sans comprendre goutte à ce qui se racontait. Cela la perturbait au plus haut point. Avant, elle savait beaucoup. Désormais rien. Avant, elle jouissait d’une certaine situation, de plusieurs rôles. Désormais, rien. Avant, elle connaissait ses droits, savait quand parler, de quelle manière, à qui s’adresser en cas de besoin. Désormais, rien.

Et elle ne le supportait pas. D’autant plus qu’elle aurait du mourir. Le savoir ne l’aidait pas. Elle et son seigneur ne pouvaient pas vivre. La surface était trop éloignée. Par quel miracle avaient-ils pu s’en sortir ? Cela n’avait aucun sens. L’inconscience, puis la vie…

Un nouveau grognement attira son attention. Ssdvenna’êk brandissait fièrement une robe gris foncé aux coutures rouges, et lançait des regards insistants vers l’arrière de la grande tente.

- Maintenant ?

- Tou poueras moins ssssans ççççça ; répliqua-t-il en désignant ses restes de tissus du menton.

Il n’avait pas tort. Ombre se saisit du vêtement, et l’observa. Le tisserand venait tout juste de le coudre, quelques chutes pendaient de son métier à tisser. En le retournant, elle constata avec horreur qu’il dévoilerait tout son dos.

- Keuah pas te plairrrr ?

- Je… ne veux pas… montrer mon dos.

Ssdvenna’êk pencha la tête, perplexe. Puis il déploya ses ailes brunes.

- Pôrtant prrr’tique… keumant teuah…. Sôrtir âles ?

Le silence d’Ombre lui déplut. Il émit un grondement sourd, et lui demanda de lui montrer ses ailes.

- Je ne peux pas.

- Houmains côper âles ? se hérissa le dragonien.

- Non. Je n’ai jamais pu.

Cela ne suffit pas à l’apaiser. Ssdvenna’êk fulminait. Il indiqua d’un mouvement de tête l’arrière de la tente avec autorité, et bouscula Ombre dans cette direction. La dragonienne s’assura que personne ne pouvait la voir. Nul dragonien du campement, il s’agissait de sa seule certitude. Mal à l’aise, elle prit toutes les peines du monde à cacher à d’éventuels regards son intimité. Sa veste liée autour des hanches, elle put mettre sa nouvelle robe, et flairer ses anciens vêtements, à la recherche d’un indice.

Ils sentaient la sueur, témoignaient de son état d’esprit au cours de son voyage jusqu’au fond de la mer. Il sentaient le sel, l’humidité, mais pas les algues ni le poisson. D’après les résidus olfactifs, Kaïros l’avait traînée. Le sable ne portait aucun odeur, ce qui la surprit. Le sol paraissait par ailleurs mort. Rien ne se dissimulait dessous, seule la mer le mouvait. Et pourtant, la forêt vivait. Qu’est-ce qui avait bien pu tuer cette plage… et par quel miracle la dragonienne vivait-elle ?

Ombre se demanda avec effroi s’il ne s’agissait pas d’un lieu où arriveraient les morts sans Ancêtres. Si la forêt au loin ne correspondrait pas à la vie. Elle repensa à certaines théories d’avant le culte des Ancêtres, antérieures même au culte des Vents. Cela pouvait correspondre. Mais si elle vivait toujours, quels risques courrait-elle à approcher de ces lieux vivants et bruissants, odorants ? Ssdvéna… le dragonien affirmait que son seigneur périrait en y pénétrant.

Une fois son fourreau pendu à la ceinture, Ombre retourna auprès du traducteur. Il remarqua aussitôt qu’elle avait rejeté ses cheveux dans son dos, ce qui lui allait bien. Un peu petite, mais très belle la nouvelle. Enchanté d’avoir su couper correctement du premier coup, il en fit le tour.

Ombre se retourna d’un bloc lorsqu’il gronda avec colère derrière elle. Ainsi, une part de son humiliation se voyait malgré la longueur de ses cheveux.

- Qui ? siffla Ssdvenna’êk.

- Une personne haïssable.

- Morte ?

- Non.

- Loui ?

- Non.

- Qui ? Cet houmain deuah môrir.

- Oui. Je ne veux pas en parler.

Le dragonien lui lança un regard hostile et cracha :

- Quel â mô nom ?

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