Où 1/10

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Elle sentait qu’on la déplaçait. Quelque chose lui brûlait la gorge. Le nez. Les yeux. Tout le corps. Ses jambes en apesanteur jusque-là touchèrent un sol sableux. Une chaleur vivante la tenait par les aisselles, tandis que sa peau frémissait de froid.

Le sel. Cette odeur écrasait tout le reste. Il lui sembla entendre des vagues mourir sur une plage. Puis elle se rendit compte que même les yeux clos, le soleil l’aveuglait. Méfiante, elle préféra simuler l’inconscience pour le moment. Ses sens embrumes ne lui permettaient pas de déterminer avec précision ce qui l’entourait. Les battements lents de son propre cœur l’assourdissaient.

Elle tenta de se souvenir. Aucun lien logique ne lui permettait de saisir ce qui l’avait amenée à être traînée sur une plage.

Ses sens gagnèrent en acuité. On traînait quelqu’un d’autre. Avec moins de précautions, car cette personne fut lâchée, presque jetée sur le sable, tandis qu’on l’allongeait. Des voix atteignaient difficilement sa conscience. On lui prenait le pouls, pendant que son ouïe s’affinait. Des mains la frictionnèrent. Les voix lui semblaient étrange. Encore incertaine, elle préféra préserver ses forces et ne rien laisser paraître de son état véritable.

- Noss vehla’k rhenn ?

Des borborygmes incompréhensibles et stertoreux. Des sons secs, accompagnés de sifflements terribles et de grondements. Pourtant, ses pensées lui demeuraient compréhensibles. Une femme, ou tout du moins une entité féminine venait de s’exprimer. Une seconde lui répondit. La première voix semblait hésitante, la seconde, derrière la rescapée, bien plus calme. Une prestance naturelle s’en dégageait.

On lui tourna autour, tandis que les frictions se poursuivaient. Quelques secondes plus tard, elle sentit de nouveau le poids des regards. Plus de trois personnes l’entouraient, et elle était au centre de l’attention. Elle rassembla son courage. Et ouvrit les yeux. Lentement. Se donnant le temps de supporter la lumière.

Enfin, le sel lui permit de se savoir ce qui l’entourait. Une douzaine des siens. À travers ses cils, elle vit une silhouette accroupie, celle qui la frictionnait, parut soulagée de croiser son regard. Plus loin, un étrange sable cendreux rencontrait une mer grise couronnée d’écume. Celle qui détenait une voix calme lui tournait autour. Bien que d’une taille normale, il se dégageait d’elle une grandeur indéfinissable. Elle se déplaçait comme une prédatrice. Au fond, n’appartenait-elle pas au peuple prédateur ?

Autour de toutes les trois évoluaient une dizaine de dragoniens. On lui fit suivre du regard un doigt, avant de l’accompagner pour se redresser en douceur. Elle ne comprenait goutte aux échanges.

Elle y voyait désormais parfaitement. Les carnassiers bipèdes allaient et venaient dans sa direction, celle du second rescapé et une sorte de village au centre de la plage désolée. Le décors la surprit. Le sable de cendre formait comme un immense cratère aplani par les millénaires, entouré d’une forêt luxuriante composée d’arbres inconnus. La petite dragonienne incertaine cessa de la frictionner, et lui demanda :

- Ne’k vestuf, issio’k ?

- Je ne comprends pas ce que vous dites.

L’écailleuse mit la main gauche sur son coeur, la salua d’un hochement de tête et insista :

- Hênn-fia.

Après un temps de réflexion, la dragonienne supposa qu’il s’agissait d’une présentation. Elle répondit dans un croassement misérable :

- Mon nom est Ombre.

Son langage rendit la petite blonde accroupie à son côté perplexe. La frictionneuse était une écailleuse plus petite qu’elle, très fine, aux yeux d’un très beau bleu clair, vêtue d’une tunique de lin blanc usée jusqu’à la trame. Une lourde saccoche de cuir ceignait sa taille menue.

La voix d’Ombre attira également l’intérêt d’un dragonien typique, grand brun musculeux, aux yeux orange. Avec un air narquois, il l’approcha, et lui lança quelques mots. N’obtenant aucune réponse autre qu’un regard scrutateur, il conclut, pong droit sur le cœur :

- Onc noh n’oblieux. Onc noh ne donnons le pârdon. Et tôjors, nôs gârdons en têste les ssssévices des ferrrrs. Viokà.

Il jeta un coup d’oeil vers le second rescapé toujours inconscient, et cracha sa bile en sa direction. Il sembla à Ombre percevoir à la fois une ancienne façon de prononcer les mots, et un très fort accent… étranger. Elle ne trouvait pas de meilleur terme. Pourtant, il n’existait qu’une langue. La langue humaine. La langue dragonienne était morte et n’existait plus.

Elle s’intéressa à la silhouette allongée plus loin. Les prédateurs lui tournaient autour, fascinés. Tous portaient des tenues de lin à divers stades d’usure. Tous avaient le dos nu, exhibant leurs ailes enfermées dans leur dos pour le moment. Puis l’un d’entre eux s’accroupit, fasciné par le blessé.

Le sang d’Ombre ne fit qu’un tour. Elle se rua dans la direction de son seigneur, et feula en direction du curieux qui sortait et rentrait ses griffes. Ce dernier, surpris par cette charge, se remit debout et recula, les mains en l’air, montrant qu’il ne souhaitait pas se battre.

Ombre profita de son élan pour se jeter auprès de son seigneur. Gérald respirait toujours. Il vivait. Elle en remercia tout ce qui pouvait exister, tandis que son comportement attisait plus encore la curiosité des dragoniens, qui lui donnaient la sensation de ne jamais avoir vu d’humains. Mais alors, à quoi rimerait la prise de parole de l’étrange brun retourné au campement depuis ?

La garde rapprochée chercha ses armes du regard. La noble l’approcha. Ceux aux alentours lui témoignaient sensiblement du respect. Nul ne restait sur son chemin, tous ployaient la nuque à son approche. Elle était belle. Ses écailles pâles tranchaient avec ses cheveux noirs, et ses yeux verts semblaient détenir une sagesse plusieurs fois millénaire.

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