Balade nocturne 3/4

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En un clin d'œil, elle réintégra son corps. Étourdie comme à chaque fois, elle se laissa le temps de se réchauffer. Ombre se lova contre son seigneur, laissant la chaleur de ce dernier finir de rattacher son esprit au présent. Dans son sommeil, son seigneur l'enlaça en grognant de bonheur, ancrant la dragonienne à la vie. Inlassablement, elle froidissait comme un cadavre en dormant. Inlassablement, il lui fallait du temps pour se ranimer.

Une fois en mesure de marcher, la dragonienne se couvrit d'une lourde pelisse, puis s'aventura aux cuisines. Se fiant à sa mémoire, l'ombre silencieuse se passa de torche, comptant les pas et les marches de ces lieux qu'elle connaissait comme sa poche. Les quelques gardes en ronde ne la remarquèrent pas, ouïr leur cœur et leurs pas lourds bien avant de percevoir le halo de leurs torches lui permettait de les esquiver.

Ceux-ci contournés, l'affamée atteignit le cellier, cinq étages plus bas . Là, elle se servit une généreuse tartine de pâté de sanglier, finissant un pot bon à jeter pour les humains. Le château croulait sous les victuailles, depuis quelques accords passés avec des seigneurs de régions à la gastronomie réputée. Nombre de terrines d'algues, de rillettes et de salaisons remplissaient les réserves.

Repue, elle se promena dans la forteresse endormie, bercée par les oiseaux nocturnes au loin, les loups et les patrouilles. L'odeur fraîche des deux nobles dans une cuisine au premier étage la surprit. Curieuse, elle approcha jusqu'à se coller au mur. Ils conversaient à voix basse, et connaissaient certainement assez les rondes des gardes pour avoir choisi ces lieux.

Aucun humain n'aurait pu les surprendre. Et les gardes dragoniens patrouillaient en extérieur. Leur tranquillité était assurée... Elle tendit l'oreille.

  • ... Je persiste, ces gains ne suffisent pas. Je vous préviens, il vous faudra me promettre davantage.
  • Pourquoi renégociez-vous maintenant, par les Ancêtres ?

Ombre reconnut le second interlocuteur. Leur concurrent baronnique. Le Duc Descombes reprit.

  • J'ai relu vos conditions et vos engagements. Vous spéculez en partie sur du vide. Puisque vous êtes si certains d'obtenir l'aval du roi, obtenez-moi le prolongement des terres que je vous ai demandé.
  • Mais... il s'agit d'une enclave de Vorn, c'est intouchable.
  • Alors j'en demande la valeur pécunière.

Un silence de mort accueillit cette offre. Le Baron Wulik rétorqua toujours à voix basse :

  • Avez-vous la moindre...
  • Huit cent mille orins ; oui, j'en connais la valeur.
  • Comment voulez-vo...
  • La vente de chevaux vous apportera beaucoup, n'est-ce pas ? Donc vous aurez bien les moyens. À vous de voir.

Ils négocièrent encore une bonne demi-heure, avant de trouver un terrain d'entente. Elle les entendit déplier un parchemin et l'aplanir sur la table, avant d'écrire. Ils appliquèrent le buvard, et l'un d'eux se déplaça pour saisir une bougie. Ombre reconnut le son caractéristique du bougeoir de métal posé sur la table de bois, étouffé par une nappe. Elle perçut le bruit sec du briquet au silex, et supposa qu'ils apposaient leur sceau. Tous deux restèrent silencieux un long moment, relisant certainement. Après quoi, Ombre s'esquiva dans une pièce attenante, tandis qu'ils réintégraient leurs chambres.

La petite dragonienne réfléchit. Certaine d'être seule, elle jeta un coup d'œil à la cuisine, éclairée par le ciel étoilé. Il ne restait aucune trace du passage des nobles. Même la bougie avait été remise à sa place. Elle pouvait se risquer à chercher le buvard et le texte compromettant dans les affaires de ces invités... ou reconstituer le document d'une manière ou d'une autre.

Dans la cuisine, la nappe caressait le sol. Ombre s'allongea sous la table, se détendit pour dormir et se concentra sur ce qu'elle venait de voir et d'entendre. La sensation de basculer en arrière la reprit, le froid du passé fut moins prégnant et la tiédeur du présent bien plus prenante. la dragonnienne une fois consciente du vide qui l'accueillait à chaque endormissement, hanta le passé immédiat de la pièce, traversant à demi la table sous laquelle elle se trouvait dans le présent. Elle fit face aux deux alliés, les écouta, puis guetta la manière dont ils appliquèrent le buvard. Le texte demeurait intelligible. Une seule vision lui suffisait pour se souvenir des moindres détails, Ombre pouvait se réveiller sans plus attendre, avant de perdre trop de chaleur corporelle.

Réintégrant le présent, elle n'eut que peu de temps à attendre avant de pouvoir se mouvoir. Tendant l'oreille, elle ouït une patrouille approcher. Les quatre humains éloignés, elle partit fouiller dans un secrétaire plus loin.

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