Rencontre nocturne 6/

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Gérald tenta d’esquiver le sujet. De mille façons, il louvoya. La duchesse finit par se tourner à demi vers la créature derrière elle, puis demanda à son aimé :

- Si vous pensez son esprit trop chaste et simple pour cette conversation, vous pouvez la faire partir.

Ombre espéra sincèrement que son seigneur accepte et la chasse. Isa se jouait d’elle. Cela la révulsait. La garde rapprochée ne tenait guère à écouter les confidences à demi-mots de l’un comme de l’autre.

L’espace d’un instant, son seigneur sembla distrait. La duchesse se redressa subtilement. La température dans la pièce s’amenuisa le temps d’un battements de cils. Un mouvement attira l’attention d’Ombre en direction de la porte face à elle. Il lui sembla distinguer la silhouette d’une biche bondissant hors de la pièce, passant par l’interstice de la porte fermée.

- Elle restera. Bien sûr que je pense régulièrement à vous, ma mie.

Le promis ne portait son attention à personne en particulier. Il semblait absent, ce qui alerta sa garde. Il venait de se passer quelque chose. Les Ancêtres venaient-ils d’intervenir ? Existaient-ils seulement ? Ombre pinça les lèvres, en proie à un doute supplémentaire. L’heure n’était pas à la théologie, mais à la maîtrise d’elle-même.

- Permettez-moi d’en douter, contra Isa d’une voix qui trahissait son malheur.

Les paroles qui suivirent nécessitèrent quelques secondes, le temps qu’elle contrôle de nouveau sa voix.

- Oseriez-vous me mentir ?

- Oseriez-vous mettre ma parole en doute, vous, ma promise ?

- Pourquoi ne parvenez-vous pas à me regarder droit dans les yeux, en ce cas ?

- Derrière vous se trouve un animal, situé dans mon champ de vision à votre demande, alors que sa place est derrière moi. Vous la travestissez en femme sans me demander mon avis, et avivez en moi une curiosité déplacée. Que je peine à y résister vous surprend vraiment, vous qui savez comme les hommes peinent à discipliner leur passion ?

Les deux femmes entendaient le sarcasme inhabituel de Gérald.

Voir ces deux personnes en même temps le mettait à rude épreuve. Le futur époux étouffait déjà sous l’ampleur des sentiments contradictoires qu’elles lui inspiraient. Sa raison et ses passions se querellaient durement. Seul son besoin de rendre justice lui permettait de tenir encore le coup. Il remarqua les écailles à peine hérissées d’Ombre qui tressaillaient à un rythme irrégulier. Le décolleté carré de sa robe offrait une vision renversante de la musculature de son torse. Toute cette puissance qu’il aimait, à laquelle il souhaitait offrir le bonheur. Au lieu de quoi il devait se dédier à la destructrice de son Ombre. L’ardeur qu’il ne pouvait donner à la passion, il la réservait à l’anéantissement de la duchesse.

Toujours était-il qu’il commençait à se compromettre. Les belles paroles ne suffisaient pas. Mais depuis le courant d’air dans la pièce, il ne parvenait plus à supporter le regard de sa promise. Il éprouvait presque des regrets à souhaiter du mal à cette si magnifique femme.

Il leva de nouveau les yeux vers la blonde. Voulut rattraper ses dires. Mais les idées lui manquèrent. Quelque part, il sentait que ses yeux l’avaient trahi, de même que ses dernières paroles. Il serra les dents, se demandant s’il venait de condamner Ombre à mort. Pouvait-il déjà s’être trahi ? Par les Vents...

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