Aux aurores le lendemain, un véritable serviteur frappa à leur porte, et tendit une nouvelle robe à la dragonienne, sans un mot. Ses pairs sortirent de leur chambre commune le temps qu’elle se change, et sifflèrent d’admiration lorsqu’elle ouvrit la porte, dépitée.

- Ce vert te va encore mieux ; s’extasia Clément.

Elle le gratifia d’un regard sinistre. Déjà la veille son Seigneur lui avait apporté une attention malvenue. Ce jour-ci risquait d’être pire. De plus, elle se demandait quelles conséquences auraient ses actes nocturnes. Comment la duchesse et les autres mages considéreraient la disparition de l’un des leurs ? Ombre éprouva des démangeaisons dans les membres. Le besoin de fracasser quelqu’un, de le mettre en pièces détournèrent son attention.

Jugeant préférable de se changer les idées, elle prit le temps de réfléchir aux options limitées pour lesquelles elle pouvait opter. En vérité, ses choix se limitaient à attendre de se faire appeler par Gérald, ou le rejoindre. Se mouvoir lui parut préférable. La rousse prit le temps de s’assurer du bon état de ses armes, profita des manches bouffantes de son nouvel habit pour y glisser quelques lames, et rejoignit la chambre de son maître.

Deux heures plus tard, depuis l’antichambre, elle l’entendit se lever et savourer un instant de tranquillité. Il s’adonna à ses ablutions matinales, et parut ébloui en la voyant dans sa robe verte à traîne de brocart. Subjugué, il resta pantois plusieurs minutes, le temps de se reprendre.

- Elle me met durement à l’épreuve.

- J’ai mis à mal un mage cette nuit.

Gérald en demeura interdit. Il balbutia.

- Que… veux-tu dire par là ?

- Cette nuit, un dragonien capable de m’arracher du sol a voulu que je lui transmette diverses informations. Je suis parvenue à le maîtriser, et à…

Un tressaillement agita ses écailles.

- Le mettre hors d’état de nuire.

Gérald lui adressa un regard incrédule et sévère.

- Tu ne l’as pas tué ?

- Non. Je l’ai confié aux esclaves sexuels de votre promise.

Estomaqué, il la dévisagea, sans sembler la reconnaître.

- Pardon ?

- Il avait deviné trop d’informations, et ne connaissant pas l’étude de ses pouvoirs, j’ai préféré qu’il ne puisse divulguer ses découvertes à personne. J’ai vérifié par la suite, il est déjà arrivé qu’ils s’emparent d’un dragonien de Vorn. S’ils en ont vite terminé avec le mage, il ne doit plus en rester quoi que ce soit d’identifiable. Ainsi sera-t-il considéré comme déserteur.

Gérald se recula d’un pas. Pour la première fois, Ombre l’inquiétait. La veille, elle avait mené plusieurs hommes à la mort. Cela, il le savait, découlait de leur survie à tous les deux, et elle avait demandé aux gardes rapprochés de son frère de se charger de cette besogne. Mais désormais, elle utilisait sans sourciller les armes d’Isa. Une angoisse fugace le traversa. Et si ce voyage la perturbait encore plus qu’il ne le craignait ? Si Ombre… commençait à ressembler à Isa ? Non, il ne pouvait porter crédit à une telle supposition. Hélas, cela traçait déjà un sentier dans son esprit.

La garde rapprochée perçut la crainte nouvelle de son protégé, et ne lui répondit que par un regard froid. Lui aussi, allait-il la trahir? Lui aussi, ne voyait-il en elle qu’un animal savant et sacrifiable ? Cela lui noua la gorge. Pas son Seigneur. Pas son père et frère. Cela ne se pouvait pas. Cet endroit la rendait folle, et impactait certainement quiconque traversait ces murs.

Après un long silence au cours duquel ils se contemplèrent comme deux étrangers, ils partirent s’attabler. Pour le moment, rien ne laissait soupçonner que l’assassinat du mage fut connu.