Conséquences 6/7

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Ombre se statufia. Elle savait, au fond. Et jamais elle ne l’avouerait. Obtèr guetta un signe, dans le comportement de son enfant, qui lui indiquerait… quelque chose, n’importe quoi. Elle trouvait que l’étreinte paternelle se modifiait, devenant restrictive. Elle sentait la confiance que lui vouait son père se tarir. Après un silence, elle prit une inspiration tremblante, et reprit de façon atone :

- Ce n’est pas tout. Je ne rêve pas la nuit… jamais… je vois le passé, je puis le vivre à travers les yeux de ceux qui l’ont vécu. Et je m’en souviens toujours. Toujours.

Obtèr jugea préférable de la laisser poursuivre, mais rien ne vint. Il ne put s’empêcher de demander :

- As-tu pu découvrir l’identité de tes parents ?

Cela répondrait à tellement de questions.

- Non. J’y suis aveugle. Quelqu’un me confia à la première dragonienne rencontrée, qui prit un portail pour me faire vivre ici, et périt de froid sur le chemin. Elle venait de la frontière entre Vorn et Fénui. Et impossible de trouver la moindre trace de ma famille. À croire qu’ils n’existent pas en ce monde. Ou que ceux de mon sang sont immunisés contre ce pouvoir.

Obtèr soupira, déçu. Ombre poursuivit.

- Pourtant, malgré mon acharnement, je n’ai pas obtenu d’information sur une immunité quelconque. Nulle conversation, nul évènement dépourvu d’acteur trahissant cet aveuglement, rien. Sauf ce jour où une brume humanoïde et naine me tendit à cette dragonienne. Ce qui confirme quelques rumeurs. Aucun Ancêtre ne peut me guider.

Cette fois, elle perçut que son père se détendait légèrement. Ainsi encouragée, l’affranchie se relâcha aussi, et quelques larmes recommencèrent à couler, sans que cela ne s’entende dans sa voix, tandis qu’elle continuait.

- Ce qui m’isole plus encore. Même toi, tes Ancêtres te visitent certaines nuits, pour t’aider à prendre les meilleures décisions, tantôt pour toi, tantôt pour ton peuple.

- Notre peuple, corrigea Obtèr avec plus de rudesse que voulu.

Seul un gémissement lui répondit. Sa fille se recroquevilla. Décontenancé, il lui caressa le dos et la berça, poursuivant même lorsqu’elle fit mine de se reprendre.

- Je sais que Kassia veut ma mort. Je ne correspond pas à ses espérances. Et il est possible que je sois une hybride, une sang-mêlé, une demi portion, une demi-immondice, inutile, impotente, ne pouvant qu’appauvrir le sang dragonien. Cela fait des années que je le sais. La nuit même où elle décida de m’utiliser comme martyre je l’ai su. J’étais derrière la porte quand elle parla de ce projet à Niurr.

Estomaqué, son père ne réagissait pas. Elle lui laissa le temps de mesurer l’étendue de ses connaissances, et de comprendre seul sa neutralité. Si les humains avaient appris ce projet, surtout son seigneur Gérald, tous les chefs de la révolte dragonienne auraient été traqués et assassinés depuis longtemps. Ombre jugea inutile de préciser qu’elle se sentait en mesure de se défendre si Kassia attentait à sa vie. Obtèr n’avais pas besoin de savoir qu’elle appartenait depuis deux ans déjà à l’élite de Xévastre. Finalement, elle ne lui dévoilerait pas tout. Seulement de quoi briser, au moins pour un temps sa solitude. Ce qu’elle ne supportait plus.

Une minute s’écoula. Puis deux. Puis trois. Puis cinq. Puis dix. Puis vingt. Enfin, Obtèr reprit la parole avec nervosité :

- Que faisais-tu si tard derrière la porte ?

- Cela fait douze ans que j’arpente les couloirs du château pour manger la nuit puis lire à la bibliothèque. Bien que le terme de lupanar corresponde mieux à ce que cela devient une fois la nuit tombée. Je te l’ai dit père, ma présence comme mon absence laissent tout le monde de marbre.

Le dragonien s’étrangla. Depuis ses six ans, Ombre avait été confrontée, seule, aux choses de l’amour, et espionnait tout le château la nuit venue. Que tout ce qui existe lui pardonne de l’avoir négligée au point d’ignorer ça !

Songer aux mille et un ébats dont elle avait été témoin réveillèrent ses souvenirs de Vorn. Vaincue, elle sanglota :

- Je veux oublier et rêver, cauchemarder ! Obtèr, comment oublier ce qu’elle m’a fait ? Pourquoi cela atteint l’esprit avec autant de force ? Pourquoi ! Pourquoi ni l’alcool ni les plantes ne m’atteignent ?

Obtèr pesa ses mots avant de répondre avec prudence :

- Tout ce que je sais, c’est que les outrages que tu as subi par sa main sont graves. Ta réaction est normale, rien ne pourra effacer ça.

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