Conséquences 2/7

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- Pourrais-je m’isoler à la nuit tombée ? S’enquit-elle d’une voix faible.

Sa propre faiblesse la dégoûtait. Elle parvenait tout juste à rester digne face à ses seigneurs. Xavier pinça les lèvres.

- Il est à peine neuf heures, Ombre, l’informa-t-il.

 Remarquant que Bastian se rinçait l’œil, il le congédia d’un froncement de sourcils. L’heure n’était pas à la grivoiserie. Ils pouvaient retirer beaucoup de cet évènement. Isa venait de commettre une erreur, à eux de lui faire payer. Même en se mettant dans l’embarras, Ombre leur donnait l’occasion d’améliorer leurs plans. Quel outil formidable. Xavier poussa Gérald et sa garde personnelle dehors, et demanda à son soigneur de prendre soin de l’affranchie.

 Ce dernier proposa à la dragonienne quelques somnifères, ce qu’elle refusa. Ces décoctions restaient sans effets pour la dragonienne. Ombre accepta les vêtements qu’il lui tendit, puis attendit que la nuit tombe. L’effroi lui coupait l’appétit, et, seule face à ces émotions qui la submergeaient, elle s’égara de nouveau dans le passé. On lui brisait la clavicule. On la violait. Encore, et encore. Toujours, les gémissements la terrorisaient. Jamais tout à fait seule, elle ne se permit aucune démonstration de faiblesse. Le repas de midi et du soir demeurèrent intouchés. Nul ne vint lui parler.

 Jusqu’à la nuit tombée. La rousse n’avait pas senti le passage du temps, enfermée dans ses angoisses. L’espace d’un instant, elle se demanda si Obtèr se tenait face à elle, ou si elle délirait. Au-dehors, la nuit tombait. Son père lui donna une cape de soldat, quelques éléments d’armure afin de parfaire son déguisement, et il l’accompagna à l’extérieur.

- Si tu veux parler, ne te retiens pas, l’invita le guerrier une fois assez éloignés du château.

 Comme toujours, elle ne répondit pas. Ils marchèrent longtemps. Ombre désirait s’éloigner afin de hurler sans être entendue. Lorsqu’elle s’estima assez loin, elle demanda à son père de rester à sa place, tandis qu’elle s’éloignait encore, et le prévint qu’elle rugirait.

 Isolée comme elle le souhaitait, Ombre prit plusieurs inspirations tremblantes. Enfin, elle se permit de pleurer. De nouveau, elle proféra des propos incohérents, espérant qu’une fois prononcés, ils lâcheraient son esprit. Enfin, elle hurla. Ses cris humains s’achevaient en rugissements de dragonienne.

 Au premier mugissement, Obtèr dégaina, et s’élança vers sa fille. Il éprouva une pointe de fierté lorsqu’il entendit le son draconique qu’émettait Ombre sur la fin. Ainsi, cette petite dragonienne était un dressèrn, un dragon des cavernes. Souvent silencieux, discrets et à l’aise dans l’obscurité, tout comme elle. Une fois certain que rien ne la menaçait, il la laissa rugir à s’en briser la voix et s’étrangler dans ses sanglots. Sa crise d’hystérie était légitime. Sa voix s’érailla vite. Cela s’entendait, qu’elle n’était pas habituée à malmener autant sa gorge. Il profita de la sécurité des lieux pour écrire ses découvertes à l’intention de Kassia.

 L’inaction de la famille de Xévastre lui déplaisait. Il savait bien que le mariage entre Gérald et Isa visait le détournement de la fortune de Vorn au profit de Gué-des-Âtres, et par extension de mettre la main sur la banque du royaume. Mais de là à laisser cette barbarie impunie. Les humains compliquaient tout inutilement. Aussi, il réfléchissait aux conséquences de ses actes. Il avait menacé Kassia. Cette dernière, de par sa maîtrise des portails, sa haine justifiée des humains et ses talents de guerrière, avait su s’imposer comme dirigeante de l’insurrection dragonienne en préparation. Le soldat soupira. Ils pouvaient mettre les choses à plat, entre eux. Mais certains fanatiques risquaient de lui faire payer cher cet affront. Déjà que beaucoup le trouvaient bien trop modéré, voilà qu’il menaçait leur dirigeante pour sauver une dragonienne inutile à la cause. Un argument lui vint, même si cela lui hérissait les écailles. Kassia souhaitait faire d’Ombre une martyre, afin de convaincre les modérés que les humains ne méritaient aucune pitié ni compassion. Une martyre dont la mort ne servirait pas encore.

 La garde d’enfants préférait s’assurer que tous sauraient que faire une fois le soulèvement achevé. Et pour la première fois, Obtèr remercia tout ce qui pouvait exister pour le profond désaccord entre les dragoniens du nord et ceux du sud. Les nordistes comptaient parmi les plus extrémistes. Au sud, un inversement des rôles les intéressait bien plus. Ce désaccord ralentissait beaucoup la cause, et Kassia tenait à l’unité dragonienne.

 Soudain, Ombre cessa de rugir de sa voix éraillée, pour s’effondrer en sanglots. Elle griffa l’herbe et la terre en gémissant. Son père n’intervint pas, tandis qu’elle se sentait plus seule et isolée que jamais. Son esprit ne lui laissait aucun répit et la trahissait, la desservait. De nouveaux détails lui revenaient, alourdissant son fardeau. La faim. La soif. L’humiliation sous diverses formes. Elle se souvenait de tout, toujours avec la même force que si cela appartenait au présent. L’épuisement eut raison d’elle, c’est avec dépit qu’elle intégra le passé quasi immédiat. Désireuse de se changer les idées, elle s’intéressa aux activités et aux pensées récentes d’Obtèr, et se mit à sa place tandis qu’il l’écoutait d’une oreille, et pour le reste se concentrait sur son rapport, ses espoirs, ses craintes et ses spéculations.

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