Les négociations 8/

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Les voyageurs s'instruisirent mutuellement sur la faune et la flore environnante en cette douce fin printanière. Ombre prenait soin d'écouter chaque conversation sur la botanique et la zoologie issue d'anciens locaux ou de passionnés. Chaque soir, elle assistait les civils en charge des chevaux à installer un enclos et, en prévision d'éventuelles pluies à monter un abri transportable assez grand pour protéger le troupeau conséquent qu'ils emmenaient avec eux.

Elle aidait aussi le matin à choisir des équidés frais pour tirer le carrosse ou porter les gardes et les éclaireurs. Elle prêta même Astuce à ceux qui le méritaient, ou faisait appel à l'autorité de son seigneur pour s'y opposer.

Le soir, la servante se tenait à l'écart des conversations des nobles, qui oublièrent rapidement de l'intégrer à leurs discussions. Elle se garda bien de leur transmettre la moindre information sur l'inutilité de leur déplacement. Quelque part, elle espérait qu'ils se lassent de perdre autant de temps là-bas. Mais au fond, elle savait qu'ils se reposaient bien trop sur cette alliance pour y renoncer. Même les frais de cent déplacements pareils seraient aisément remboursés par ce mariage, même si rien ne se passait comme prévu, la dot de la Demoiselle Isa amortirait sans peine ces dépenses.

Six jour plus tard, ils traversèrent un premier péage pour pénétrer les terres d'un premier seigneur. Le temps passa, les jours s'écoulèrent, trois péages s'ajoutèrent sur la route avant qu'ils n'atteignent enfin la frontière de Vorn. Ceci fait, ils passèrent d'une route de terre à un sol régulier et lisse de pierres taillées.

Même sans le point de péage, tout indiquait un changement de propriétaire des terres. Sans crier gare, les routes se pavaient de pierres blanches et régulières, la forêt entière portait brusquement la marque de la main de l'homme. Tout était ordonné, trop propre. Les orties des ornières disparaissaient brutalement, les ronces s'évanouissaient, les plantes toxiques semblaient volatilisées des environs immédiats des routes.

Même les odeurs environnantes portaient la marque de l'homme. Ombre était certaine qu'aucune carcasse ne pourrissait à moins de deux jours de distance. Aussi, au bout de quelques heures un garde mit le doigt sur une autre absence. Aucune odeur de prédateur ne flottait dans l'air. Ici les humains supplantaient tout, pacifiaient jusque la nature elle-même. Dès l'après-midi, tous les dragoniens, mal à l'aise, s'étaient rassemblés en un groupe compact et dissertaient entre eux.

L'absence de prédateurs, de carcasses, de marquages territoriaux les perturbaient. Cela allait à l'encontre de ce qui leur restait de culture. Sans compter les arbres subtilement taillés, l'odeur des humains omniprésente !

De son côté, Ombre suivit le groupe, légèrement en retrait avec Astuce. D'ici trois jours, ils seraient au château printanier de Vorn. Puis ils perdraient trois semaines en ces lieux de cauchemar, où tout lui serait interdit, où la mort n'attendrait qu'un faux-pas de sa part pour s'abattre. Elle retrouverait Soif, certes. Lui la protégeait, éloignait le danger plus sûrement encore que son seigneur.

Trois semaines. Pour rien. Nerveuse, Ombre flatta l'encolure de sa jument. Cette dernière tourna légèrement la tête vers sa cavalière, à l'écoute, puis mit la queue en panache et marcha l'amble, en exagérant chaque pas. Cela rendit le sourire à sa maîtresse, et elle partir se proposer comme éclaireuse. Usant encore du nom et du pouvoir du sang de son seigneur, elle obtint une mission de reconnaissance pour s'assurer que personne ne les suivait. À peine hors de vue et d'ouïe, les deux galopèrent, s'ennivrèrent de vitesse, volèrent par-dessus des buissons pour le seul plaisir de jaillir comme des Ancêtres en furie.

Ombre savait très bien qu'on lui avait confié une mission inutile. Ces lieux ne laissaient aucune cache exploitable aux malandrins. Elle se souvenait de l'emplacement d'un pommier proche, et elle récompensa son amie quadrupède de son idée en allant au pied de l'arbre. Il était encore trop tôt pour trouver des fruits comestibles, mais l'odeur des fleurs précoces les récompensa suffisament. Cependant, elles se firent plaisir avec de premières fraises.

Rassérénée, Ombre prit le temps encore d'effectuer un détour par un ruisseau où elle mit pied à terre, et prit le temps d'effacer les preuves de sa pause gustative. C'est le coeur plus léger qu'elles rejoignirent la délégation, rênes longues.

Un garde fit mine de s'intéresser à son rapport sur la beauté des lieux et l'absence de suiveurs. Passé son babillage, Ombre profita des lieux. Les pépiements des oiseaux, les rais du soleil dans les feuilles, les taches de chaleur et de fraîcheur, les senteurs agréables. Pourtant, même en se relâchant, en s'imprégnant des lieux, le côté artificiel ramenait toujours les ombres du futur proche à son esprit. Une tension latente qui s'accumulait depuis presqu'une décennie, à deux ans près.

En flairant l'odeur du bivouac, elle soupira. Impossible de ne pas ruminer. Deux nuits de tranquillité, puis le danger. Déjà elle commençait à se tendre, la nervosité l'envahissait et s'installait durablement. L'ambiance de Vorn la gagnait, tout comme les autres dragoniens présents.

Ces lieux leur étaient hostiles. Pas faits pour eux. Lissés, policés par les esclavagistes. L'instinct devait être bridé. L'environnement avait été mesuré pour plaire au regard humain, dégagé, ensoleillé, sans danger. Les arbres les plus fins subsistaient, les plantes non-comestibles manquaient, ou ne servaient qu'à apporter des odeurs plaisantes. Les prédateurs grinçaient des crocs. Tout appelait à se relâcher, à faire oublier les risques. De tels lieux n'existaient pas.

Un appel général résonna. Les prédateurs bipèdes se levèrent, devinant déjà ce qui les attendait. Comme à chaque fois qu'ils arrivaient à cette étape du voyage, les nobles de Xévastre allaient leur rappeler comment survivre à Vorn. Cela marquait leurs derniers instants dans les bois, avant de ne plus voir que des champs d'une régularité déprimante, puis un château de fous.

Une nouveauté les attendait tout de même. Ce n'était plus le lapidaire Comte Thomas qui allait prendre la parole, mais maître Xavier. L'aîné gagnait encore en importance, plusieurs gardes lui montrèrent leur approbation par des applaudissements.

Le futur Comte cilla, surpris de cette manifestation de joie. Il savait ce que les trois semaines à venir coûteraient à ces alliés. La plupart d'entre eux le dépassait d'une bonne tête.

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