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Il ne l’appréciait plus comme avant, ne la trouvait plus aussi belle, ne trouvait plus sa prestance d’avant.

La tête basse, les cheveux encroûtés de sel, sa robe à dos nu soulignait bien sa féminité, et le nom d’Isa dans son dos. Il déglutit en pensant à la torture subie par sa garde rapprochée.

- Toujours désireuse de retourner chez nous ?

- Oui.

Gérald soupira. Ils ne dirent mot le temps qu’il mange et boive, puis, chose étrange, elle s’intéressa à sa journée sous la tente.

- J’ai profité de votre absence prolongée pour aller me soulager dans les bois, en gardant la grande tente dans mon champ de vision.

- C’est dangereux…

- Tu préférerais que je perde toute dignité et que je vive parmi mes propres déjections ? maugréa son seigneur.

- Non.

- Quel curieux endroit, reprit alors Gérald. Ces arbres sont immenses, et ces feuilles d’une largeur et d’une forme surprenantes, ne trouves-tu pas ?

Pour toute réponse, elle fronça les sourcils.

- Désirez-vous sincèrement rester ici ?

- Avons-nous le choix, Ombre ? Enfin quoi, je ne te comprends pas. Ici tu es libre, véritablement libre, sans la moindre intrigue politique pour t’enchaîner à des rôles qui s’imposent à toi, entourée de dragoniens libres, avec l’Histoire de ton peuple à découvrir, toi qui aime connaître le passé, et tu voudrais y renoncer ? Pour quoi ? Retrouver des mouvances qui limitent tes libertés, des mesquineries conduisant à te faire louvoyer avec la mort, de prétendus alliés qui ne t’écoutent pas et te renvoient chez Isa ?

Ombre l’interrompit d’une mimique hargneuse.

- Je désire vous savoir à l’abri, mon seigneur, en mesure de vivre heureux et libre des mesquineries, comme vous dites, qui conduisent à vos épousailles avec la Demoiselle Isa. Quant à ma vie… je l’ai toujours menée comme bon me semblait, obéi parce que je le voulais bien. Certes, maître Xavier a abusé de ma confiance. Kassia veut m’ériger en martyre…

Elle s’interrompit devant l’air médusé de Gérald.

- Kassia compte unifier les dragoniens contre les humains, et pense que mon martyr servirait sa cause. Mon silence l’a déçue, et a détruit l’intérêt qu’elle me portait. Je souhaite pouvoir empêcher cela. Toutes leurs dissensions internes les minent. De plus, chez nous je connais la langue, les us et coutumes, je contrôle l’image que je renvoie… je puis contrôler au moins en partie les évènements. Et que sommes-nous en ces lieux, mon seigneur ? Personne. Deux… deux étrangers ignares.

Elle s’humecta les lèvres avant de reprendre.

- Déjà chez nous, j’étais une anomalie, une dragonienne dépourvue de magie, qui grandit à vitesse humaine, et privée de sa forme draconique. En plus de ces deux tares, me voilà inapte à communiquer, incompétente dans la vie quotidienne et faible. Vous entendez ? Faible.

Le ton montait peu à peu, Gérald se rendit compte pour la première fois que sa compagne de toujours pouvais monter haut sa voix. Se reprenant, Ombre s’interrompit d’un coup. Après une grande inspiration, elle conclut :

- Je désire retrouver Astuce, Kriss et Brouillard.

Un silence plana. Puis tous deux baillèrent, avant de se séparer, ne trouvant rien à se dire.

Remuée, anxieuse, Ombre rejoignit sa couche de la veille. À peine allongée, le Doyen endormi se tourna vers elle, plongé dans quelque songe de chasse. Bien vite, la petite rousse se laissa happer par le passé.

De nouveau, les cordes grincèrent, en cette après-midi estivale. Les corbeaux conversaient pour la seconde fois dans la vision qui invoquait Ombre en ces lieux. De nouveau, l’horreur de l’absence d’odeur autre que celle du pus et d’un sang vicié. Et ces pensées, ces haines, ces litanies jamais prononcées.

La dragonienne tenta de s’extirper de ce souvenir. Peine perdue, elle avait la sensation de tenter d’échapper au présent pour voir l’avenir. Ses pensées se mêlaient dangereusement à celles du pendu supplicié, tandis qu’il maudissait les humains parasites.

Alors qu’elle cherchait à agir pour s’extirper de ce passé sans se diviser, elle sentit une présence aux alentours, qui appartenait à son présent. La sensation d’une pensée étrangère, tiède et mouvante, et non figée dans le froid du passé, investit son esprit.

- Du mal à partir ?

Elle ne l’entendit pas distinctement, mais sut avec certitude que le Doyen lui posait cette question. Elle répondit par l’affirmative de vive voix, espérant qu’il l’entende.

- Combat sa volonté. Tout est question de volonté, surpasse la sienne.

Comme les guérisseurs qui ne parvenaient pas à surpasser le besoin d’Isa de la marquer… maudit intérieurement Ombre.

- Des incapables.

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