Nouveau statut 2/4

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  • Une chose fort simple. Ombre mérite d'être affranchie, et d'obtenir par conséquent le statut de servante rattachée à mon service personnel.

Utiale fulminait, mais un regard de son époux lui imposa le silence. Aussi, plutôt que d'exclamer sa désapprobation, enfonça-t-elle les ongles dans l'ébène de son trône. Les hommes de la famille, au contraire, acquiescèrent gravement. Herbert glissa tout de même :

  • Je crains que cela ne redore guère votre blason, à vous deux.

Gérald jeta un regard noir à ses frères qui se gaussaient à cette pique. Puis il interrogea Ombre du regard. Cela lui convenait-il ? Comme à l'accoutumée, elle le dévisageait avec froideur. C'est un raclement de gorge du Comte qui lui intima de répondre verbalement :

- Ce geste me touche, mon seigneur.

Ce titre fit ricaner Bastian, et sourire les deux autres frères. Gérald n'hériterait de rien, Herbert avait déjà de la chance d'obtenir un château perdu vers le sud-ouest du comté, et encore devrait-il obéissance à son aîné pour empêcher toute fragmentation de leurs terres.

Présence de l'assemblée oblige, Ombre ne précisa pas que ce geste, en réalité, la laissait de marbre. Cela ne changerait rien à son quotidien. Esclave personnelle ou servante de son seul seigneur ne faisait guère de différence. Théoriquement, elle percevait un salaire directement utilisé pour la vêtir et la nourrir. Et nombre de serviteurs vivaient comme elle, nourris, logés, et parfois payés. La seule différence résidait dans la possibilité d'être vendu, et dans son interdiction actuelle de partir. Sauf qu'elle ne comptait pas partir. Et même esclave, lorsque son seigneur mourait de vieillesse, à moins qu'il ne transmette son autorité à une autre personne, Ombre serait alors libre. Et quand bien même il transmettrait son autorité... elle n'obéissait que parce qu'elle le voulait bien.

  • J'approuve, trancha Thomas. Dès que nous aurons confondu ces traîtres, tu seras libérée au vu et au su de tous.

Le regard franc, la petite rousse accepta d'un hochement de tête. Elle entendit le froissement discret d'un tissu contre la peau juste à côté d'elle. Son seigneur s'était retenu de l'enlacer. Avec docilité, la dragonienne attendit la suite des évènements.

  • Tu peux vaquer à tes occupations et faire savoir que nous ne souhaitons pas être dérangés, la congédia le Comte.
  • J'aimerais m'entretenir avec elle avant ! intervint Xavier.

Son père donna son assentiment, et l'humain suivit l'écailleuse vers la porte à doubles battants menant à un large couloir de pierre. Gérald voulut les suivre, mais son aîné s'y opposa. Une fois sortis, il demanda à Ombre de leur trouver une pièce vide.

Elle obtempéra, écoutant brièvement ce qui se passait derrière les portes perçant les murs, jusqu'à en trouver une vide. La petite bibliothèque privative plut au futur Comte, qui entra aussitôt dans le vif du sujet avec un ton de conspirateur :

  • Mon frère a mentionné le fait que tu te souviennes de tout. Est-ce vrai ?
  • Oui.
  • Quelles sont les limites de ton pouvoir, petite ?
  • Je ne connais pour seule limite que le temps de mon sommeil.
  • Comment cela fonctionne-t-il ?
  • Je l'ignore.
  • Au fond, cela importe peu... accepterais-tu d'espionner pour moi ?
  • À la seule condition que cela ne se retourne jamais contre mon seigneur.

Xavier lui répondit avec un sourire lupin.

  • Pour qui me prends-tu, Ombre ?
  • Pour un intrigant.

Sa franchise le fit rire. Il soupira :

  • Toi qui vois le passé, tu dois connaître les rouages de la politique.
  • Oui.
  • Et donc tu acceptes de devenir l'un de ces rouages à mon service, sans tergiverser ?

Il la scruta.

  • Messire, cela fait seize ans que je vous connais, vous et vos aspirations pour ce comté. Sachez que j'approuve la plupart de vos décisions sur la manière de gouverner. Je désapprouve vos raisons, mais l'impact de vos choix sera bénéfique pour tous. Ce sera un honneur de contribuer à restaurer la grandeur du Nord. Sachez par ailleurs que votre femme se languit du Sud, et que nombre de ses amies demeurées là-bas ont l'oreille de conseillers influents. Revenir en sa région natale peut la soulager du froid d'ici, et lui permettre de transmettre certaines de vos pensées. Je ne puis vous garantir les conséquences, malheureusement.

Cette tirade laissa Xavier perplexe. Il songeait depuis peu à laisser sa femme revoir sa famille, plus pour le confort de cette dernière qu'autre chose. S'il pouvait l'utiliser pour préparer sa prise de pouvoir et promouvoir ses idées...

  • Aurais-tu espionné ma femme ?
  • Mon seigneur se demandait si elle vous méritait. Elle vous aime sincèrement, même si elle peine à le montrer.

Il prit de nouveau le temps de réfléchir.

  • Suffit-il de t'interroger pour que tu donnes ce type d'information ?
  • Demandez à mon seigneur. Il pourra vous répondre sur ma fiabilité.

Xavier se lissa la barbe.

  • Voici ce que je te propose : à partir de cette nuit, tu m'écriras un rapport sur le sujet que je t'aurais donné.

D'un hochement de tête, elle accepta.

  • Comment pourrais-je vous transmettre ces rapports ?

Le temps qu'il réfléchisse, elle connaissait déjà la réponse. Consciente du temps qui pouvait manquer aux de Xévastre, elle la donna :

  • Je me réveille à minuit. Je pourrais transmettre mes rapports en les glissant sous votre porte.
  • Qu'il en soit ainsi. Cette nuit, je veux le détail des relations qu'entretiennent ces amies de ma femme.

De nouveau, Ombre opina du chef, et put vaquer à ses occupations comme ordonné. En partant, elle sourit et savoura enfin le trouble que procurait sa voix normale à maître Xavier. La dragonienne estimait cet homme. Elle fit savoir aux serviteurs bourdonnant autour de la salle où dissertaient leurs seigneurs et maîtres qu'ils devraient attendre, les nobles réglant quelque affaire urgente à laquelle elle ne comprenait goutte.

Elle s'assura personnellement que plus personne n'erre dans les environs, ni humain ni dragonien. Puis, comme ses deux heures de dressage équestre approchaient, elle rejoignit Astuce avec bonheur. Deux heures durant, elle ne pensa qu'à faire corps avec sa jument, attentive au moindre frémissement de muscle, à la plus petite marque de déséquilibre.

Ce jour-là, elles travaillèrent sur des obstacles. Si la jument possédait une excellente souplesse, et une endurance fort appréciable, sa détente laissait à désirer, aussi avait-elle tendance à préférer contourner plutôt que bondir par-dessus les souches et les roches.

Dans le même temps, Ombre affinait sa communication avec sa fidèle compagne. Pour le moment, d'un geste elle pouvait lui indiquer l'allure et la direction souhaitées. Cependant, les idées lui manquaient pour communiquer à distance. D'autant plus qu'elle ne modulait que difficilement ses sifflements. Les claquements de langue la tentaient, mais elle craignait que cela ne porte pas suffisament une fois dans les bois. Or, son objectif était de pouvoir communiquer à bonne distance avec Astuce. Son accord avec maître Xavier lui laisserait moins de temps pour assouvir sa curiosité personnelle... néanmoins, elle ne regrettait pas cette opportunité.

Maître Xavier souhaitait donner plus de liberté aux dragoniens, et ainsi profiter de tous ces travailleurs libres et qualifiés pour accroître la richesse du comté... et un jour, certainement, du Royaume du Nord. L'héritier visait avec cette liberté un second but. Permettre aux dragoniens de s'adonner à la magie, et les convaincre d'en user pour protéger leur territoire fraîchement acquis. Combien de nobles en rêvaient ? Tant...

De plus, le noble avait besoin de cette magie. Malgré les vastes terres du comté, le climat rigoureux réduisait de beaucoup le nombre d'hommes d'armes à sa disposition. Même en recrutant des dragoniens libres, sans magie ses aspirations ne se concrétiseraient jamais. Et Ombre voyait une seconde raison à mettre le comté en avant. Les humains du centre du continent radicalisaient leurs méthodes d'asservissement des dragoniens. Elle espérait qu'une démonstration de force, de ce qu'octroyait la liberté des siens rende la vie plus douce à son sang.

Quoi qu'il advienne, elle savait qu'une fois Xavier devenu Comte, des guerres éclateraient. Et elle souhaitait plus que tout pouvoir préserver son seigneur. Lui n'était pas fait pour un monde en guerre, aussi inéluctables ces dernières puissent être.

Une fois sa séance d'obstacle et de dressage terminée, elle prit soin de sa jument et de son équipement, avant de venir seconder les intendants du château en comptant ce qui se trouvait dans diverses réserves.

C'est la tête pleine de chiffres qu'elle rejoignit Gérald au repas de midi, dans leur pièce attitrée.

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