Balade nocturne 1/4

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Un mouvement fugitif attira l'attention de Kassia. Une ombre courait le long des pierres sombres de la salle d'instruction. La mère adoptive réprima une moue de dégoût. Quelle déception que cette enfançonne, inapte à recevoir une éducation digne de ce nom. La petite croisa son regard, et la salua d'un sourire béat.

La jeune dragonienne poursuivit son chemin. Non contente de rester une sans-instinct, elle grandissait à vitesse humaine. À son âge, elle devait tout juste arriver à la taille des adultes, peiner encore sur quelques phrases... et non déjà atteindre la fin de son adolescence. Les pas de la petite rousse lui firent quitter l'aile dédiée aux études et à la garde des enfants, pour rallier les écuries bien plus loin. Elle sourit à ceux dont elle croisait le regard.

Durant les seize années écoulées depuis qu'on l'eut découverte sous la carcasse de sa mère, ses yeux de cuivre s'étaient obscurcis. De longs cheveux ondulés accompagnaient ses mouvements, et ses écailles lui donnaient une teinte bronzée malgré l'hiver éternel du comté. Comme nombre des siens, elle avait développé un corps musculeux. En revanche, sa taille demeurait en-deçà de la moyenne, aussi bien humaine que dragonienne.

Après s'être occupée de ranger deux des salles de jeux pendant l'absence des enfants du château, Ombre se glissait jusqu'à sa prochaine destination. Au cours de son avancée, seuls quelques gardes dragoniens postés aux portes daignèrent lui accorder leur attention, en se fiant aux battements de son cœur. À moins que son odeur de savon de la veille au soir ne les interpelle.

Son chemin habituel pour rejoindre sa compagne équine la conduisait à une salle de réception rarement usitée, aussi l'apparition subite d'un bras lui barrant le passage la fit sursauter. Un soldat écailleux de faction grogna. Elle leva vers lui de grands yeux étonnés, et émit un couinement interrogateur.

  • Tu peux pas passer par là aujourd'hui, soupira le dragonien.

Pour toute réponse, elle pencha la tête et cilla. Le garde grinça des crocs. Comment expliquer à une attardée qu'une réunion confidentielle avait lieu ? Son collègue humain tenta sa chance, avec patience :

  • Où dois-tu aller, Ombre ?
  • Mon seigneur, il m'a dit d'aller m'occuper d'Astuce, alors j'y vais ! Pourquoi je peux pas passer par là aujourd'hui ? s'enquit-elle.

Les deux soldats soupirèrent. Sa voix enfantine, perpétuellement curieuse agaçait. Et surtout, il fallait savoir se montrer indulgent avec sa lenteur d'esprit. L'humain quêta du côté du prédateur humanoïde un soutien quelconque. Mais le dragonien ne risquait pas de le remarquer, occupé à lancer des regards noirs à la petite. Cela ne suffirait pas à se débarrasser d'elle, ils le savaient tous les deux.

  • Le Comte Thomas y tient une réunion, et personne ne doit le déranger. Tu comprends, ça ? tenta l'humain.

Tous deux purent voir son esprit se mettre en branle avec difficulté, et parvenir à une illumination souffreteuse. Bouche bée, elle acquiesça, fit demi-tour et changea de trajectoire pour aller prendre soin de sa jument. Dire que huit ans plus tôt, elle avait trouvé l'intellect nécessaire pour maintenir une pouliche en vie, la nourrir assez régulièrement jusqu'au sevrage, puis en obtenir la responsabilité. Certains juraient même l'avoir vue participer au débourrage.

La dragonienne avait eu le temps de reconnaître l'odeur et la voix des quatre personnes avec lesquelles s'entretenait le Comte Thomas. La Comtesse Utiale de Xévastre, maître Xavier de Xévastre, le duc Descombes de la seigneurie Fedouèl, et le baron Wulik de la baronnie éponyme. La présence de ce dernier surprenait Ombre. Contrairement au duc, ce n'était ni un allié de longue date, ni un client. Il s'agissait même d'un concurrent assumé, désireux de créer une nouvelle race de chevaux.

Consciente qu'elle obtiendrait les réponses à toutes ses questions dans la soirée, Ombre ne perdit pas de temps en suppositions. Pour le moment, la meilleure partie de la journée l'attendait. Celle qu'elle pouvait accorder à sa jument.

Enfin parvenue à la basse-cour, elle put passer sous le chemin de ronde la séparant des écuries. Astuce la salua en frappant la porte du sabot, les oreilles dressées. Tout aussi heureuse de la revoir, Ombre ouvrit le box et lui flatta allègrement l'encolure. Elle en profita pour lui ébouriffer les poils, et retirer un peu de poussière. La porte toujours ouverte, l'esclave s'arma d'une pelle, d'une brouette et enleva le crottin. La jument resta sagement les sabots dans la paille, suivant le ballet habituel avec intérêt.

Ombre pansa consciencieusement son petit cheval pie bai, puis la laissa mettre elle-même le tapis de selle. La cavalière finit de harnacher sa bête, et deux heures durant la monta dans la carrière, travaillant aussi bien la souplesse que l'obéissance d'Astuce. Toutes deux appartenaient au décor, nul ne se souciait des miracles réalisés par la paire. D'un geste, la dragonienne pouvait envoyer sa jument à l'opposé de la carrière, d'un sifflement la faire revenir, et même charger des points précis.

Plus personne ne s'étonnait de leurs prouesses équestres, voir Ombre sauter de selle, excécuter quelques accrobaties puis remonter appartenait au quotidien. Ses talents de cavalière comptaient dans ses trop rares qualités unanimement reconnues. Et comme elle était inapte à expliquer ses méthodes, à partager son expérience... le château préférait la laisser agir à sa guise. Et puis, personne n'oserait faire pleurer de frustration son maître en l'interrompant dans ses deux heures de liberté.

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