Prologue 2/3

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Toute la troupe entendit la meute hurler leur découverte. Le lourd cheval du maître-chien refusa d'exécuter une ligne droite, et contourna une crevasse rendue invisible par la neige trop fragile pour supporter son poids. En ces lieux traîtres et sauvages, mieux valait se fier à l'instinct des bêtes. Le danger évité, le maître chasseur mit pied à terre et observa ce qui avait attiré l'attention des limiers. Ils encerclaient un cadavre humanoïde, vêtu à la mode des seigneuries du sud, et tout aussi légèrement. Perplexe, il attrapa les chevaux des deux premiers gardes par la bride, tandis qu'ils approchaient du corps étranger.

Obtèr reconnut à l'odeur une consoeur dragonienne, morte depuis quelques heures, et s'il ne se trompait pas, il s'agissait de feu une lavandière. Les chiens n'avaient pas touché au corps recroquevillé, qui leur montrait un dos d'où dépassaient deux ailes vertes givrées, ayant déchiré le vêtement.

Son camarade humain le laissa approcher le premier. Obtèr secoua la tête pour signifier qu'elle était bien morte, et ne présentait aucun danger. Pourtant...

  • J'entends un cœur qui bat.
  • Ce dragonien est mort, ou pas ? grogna son collègue.
  • Elle est morte... y'a un petit en-dessous...

Précautionneusement, il dégagea le corps raide de la neige, puis, craignant de causer du tort au petit, creusa pour atteindre ce que la morte enserrait dans ses bras. Derrière, les humains contournaient la faille et l'encerclaient peu à peu, circonspects. Le garde sentit la chaleur de la vie traverser ses gants, s'y référa et souleva un poupon.

  • De quoi s'agit-il ? demanda le Comte.
  • Un bébé dragonien, s'étonna le soldat à côté d'Obtèr.
  • Une petite, corrigea ce dernier.

Il retira son casque pour la flairer sous toutes les coutures plus à son aise. À l'exception des écailles, rien ne le différenciait d'un homme. Bien qu'encore imprégnée de l'odeur de la morte, il sentit que le bébé allait bien. Il l'installa contre son torse. Elle ronronnait, lovée contre ce rempart la protégeant du vent, et observait avec attention l'univers enneigé qui l'entourait de grands yeux de cuivre clair.

  • Pourrais-je la voir ? demanda Herbert.

Le dragonien lui présenta la petite, sans soutenir sa tête, ce qui terrifia Xavier. L'écailleux l'entendit ouvrir la bouche, et le devança :

  • Sa nuque peut déjà supporter le poids de sa tête.

Une fois que les trois jeunes nobles eurent vu le poupin chauve et écailleux faire des bulles tout en s'agitant pour retourner dans un nid chaleureux, Obtèr la mit sur un bras. Il voulait savoir si sa part instinctive était déjà éveillée, comme pour lui-même et la majorité des leurs. Il attira l'attention de la petite sur son doigt, en l'agitant rapidement. Ses pupilles ne s'étirèrent pas verticalement. Il s'agissait d'une sans-instinct. Pour le moment, elle ne pourrait ni sortir les griffes, ni cracher d'étincelles... et encore moins se transformer en dragon. Cela pouvait se régler dans l'année... Comme jamais. Il se sentit sous le charme de cette étincelle de vie dans ses bras, qui s'y plaisait.

Le poney approchant rompit le charme, et le petit Gérald voulut lui aussi voir ce que les chiens venaient de trouver. Obtèr obtempéra, et le jeune humain surprit l'assemblée déconcertée par la présence de cette dragonienne en ces lieux de froid éternel, si peu vêtue et accompagnée du bébé.

  • Je peux la garder, père ?

Toute sa famille se tourna vers lui, le garçon se rattatina. Le Comte le dévisagea, critique.

  • Nous avons bien assez de bouches à nourrir au château et dans les villages alentours, Gérald.

Obtèr déglutit. Il protégea la petite de ses bras.

  • Oui, mais elle pourrait être mon amie ! Et puis m'aider partout, et m'aider à devenir plus res... pon... sab... le. Elle sera à moi, alors ce sera à moi de l'élever, non ?
  • Quelle drôle d'idée as-tu, fils ? maugréa Thomas. Tu mourras de vieillesse qu'elle ne sera même pas devenue adolescente.

Le dragonien attendait, tendu, la décision finale concernant cette petite consoeur. Trop bas dans la hiérarchie, il ne pouvait donner son avis. Nerveux, il caressa le crâne chauve et écailleux du poupon, qui s'amusait à lui attraper les doigts en gazouillant. Dans sa culture, tous les petits devaient vivre. Anxieux, il chercha du soutien parmi les humains alentours. Si l'adoption par Gérald était refusée, personne d'autre n'obtiendrait la permission de la laisser grandir. Ils devraientl'abandonner aux loups.

Xavier surprit son regard implorant, et réfléchit. Il craignait que son cadet ne tue le bébé et développe une certaine indifférence face à la mort. D'un autre côté, il désirait apaiser les tensions entre les dragoniens, soumis à l'esclavage depuis des lustres, et les hommes. L'aîné se savait appartenir à une génération d'idéalistes. Pourtant, les faits démontraient que les dragoniens, une fois libres de vivre parmi les hommes comme bon leur semblait, cohabitaient et contribuaient sans peine à l'enrichissement de leur seigneurie. De plus, grâce à leur longevité, ils devenaient de véritables mémoires vivantes. Se concentrant de nouveau sur Hubert, Xavier devina que le garde veillerait personellement au bien-être du nouveau-né. Et Gérald, bien qu'immature, n'était pas non plus inconscient. S'arrêtant sur sa décision, Xavier interrompit la conversation stérile entre son frère et leur père.

  • Lui confier cette enfant pourrait lui inculquer la discipline, Père. De plus, combien de fois les dragoniens ont-ils démontré leur valeur au combat, lorsque la sécurité de leur famille entrait en jeu ? Si Gérald parvient à entrer dans les bonnes grâces de cette dragonienne, imaginez toutes les possibilités qui s'offriraient à lui et à vos petits-enfants. Notre famille pourrait y gagner une protectrice, douée comme les siens de magie, et ce sur plusieurs générations.

Le père et le fils s'échangèrent des regards calculateurs. Quelques histoires d'imprégnation existaient. Aussi, la magie dragonienne s'étiolait de génération en génération. Tous deux tentèrent d'estimer l'âge de la morte. Ils observèrent le lustre de ses écailles ainsi que l'usure de ses gencives. Ils lui donnèrent environ mille ans, un âge vénérable pour une esclave, certainement encore gorgée de magie. Si celle aux yeux de cuivre était de son sang, alors elle serait encore en mesure de lancer des sorts impressionnants. Ils savaient aussi pouvoir compter sur la garde d'enfants Kassia, plus ancienne encore, pour éduquer cette future mage. La nouvelle dragonienne allait coûter cher à nourrir, certes. Mais de plus en plus d'avantages à la lier à leur famille inspiraient les deux nobles.

  • Es-tu bien conscient de t'engager à vie auprès d'elle ? s'enquit lugubrement Thomas.

Gérald s'éclaira d'un coup.

  • Oui Père.
  • Nous la ramenons au château. Montre-nous le chemin, Gérald.

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